Algérie | Mariage des mineures, déni et souffrances muettes

Présentée comme un «plaidoyer contre le mariage des mineures en Algérie», l’étude réalisée par le Ciddef et soutenue par l’ambassade du Canada lève un pan de voile qui entoure le phénomène du mariage des adolescentes en Algérie.

Se basant sur une enquête du ministère de la santé, menée en 2012-2013, avec le soutien de l’Unicef et de l’Unfpa, le Ciddef relève que 7 années après avoir revu à 19 ans l’âge du mariage, 47 000 femmes de 15 à 19 ans étaient mariées.

Ce nombre varie fortement selon la région de résidence. Il est nettement plus élevé dans l’Oranie, dans les Hauts-Plateaux du Centre et de l’Ouest, ainsi que dans le Sud et l’est nettement moins à l’Est.

Pour le Ciddef,

«l’évolution de l’âge moyen au mariage peut masquer et masque de fait d’importantes disparités aussi bien entre régions qu’entre groupes sociaux».

L’étude montre que même si les mineures mariées sont beaucoup plus souvent de milieu rural (4,2%) qu’urbain (2,5%), des données recueillies au niveau de l’état civil de quelques communes de la wilaya d’Alger montrent que ce phénomène n’est pas vraiment absent.

Ainsi, de 2012 à 2016, le Ciddef a constaté 23 mariages de mineures dans la commune de Baba Hassen, 11 à Hussein Dey, 7 à Saoula et 20 à Mahelma.

Selon l’étude, les femmes dont le niveau d’instruction est le plus bas sont les plus sujettes au mariage précoce.

Les sans-instruction représentent une proportion de 11,9%, celles qui ont un niveau primaire à 14,9%, moyen à 3,6% et secondaire à 1,4%.

Le niveau de vie, précise l’étude, n’a pas une grande influence sur le mariage précoce, puisque les mineures mariées sont deux fois plus nombreuses parmi les 20% les plus pauvres que parmi les 20% les plus riches.

De graves incidences

«Cette situation, qui n’est pas sans provoquer de profonds effets sur les plans physique, intellectuel, psychologique et émotionnel, met fin aux possibilités d’éducation et de croissance individuelles ; elle expose les adolescentes à une activité sexuelle et à des grossesses précoces et souvent non désirées, aux maladies sexuellement transmissibles, à des violences physiques, psychologiques, sexuelles et à l’isolement.

Souvent plus âgé, l’époux a eu des expériences sexuelles et expose l’adolescente aux infections sexuellement transmissibles, dont le VIH.

Le non-respect de l’immaturité sexuelle de l’adolescente lors du premier rapport sexuel et même des suivants occasionnant des lésions graves, voire parfois invalidantes»,

explique l’étude.

Plus grave encore, «parce que les adolescentes ne sont prêtes ni physiquement ni moralement à accoucher, elles sont confrontées aux risques liés à la grossesse, à l’accouchement, l’allongement de la période de procréation, mais surtout aux risques d’une augmentation du nombre de grossesses en l’absence de contraception et à ceux associés à une première grossesse (la mortalité maternelle est 2 fois plus élevée chez les mères adolescentes que chez les mères plus âgées), à l’avortement, à l’accouchement avant terme, la naissance de mort-nés et de la transmission du VIH de la mère à l’enfant».

«Même résiduels, ajoutent les auteurs de l’étude, les mariages d’adolescentes persistent. Le faible taux des mineures mariées pèse moins sur les politiques publiques.

Si les risques sanitaires sont les mêmes que pour toute femme, les conditions de leur prise en compte et de leur prise en charge ont changé, de même que le regard de la société sur le mariage des adolescentes a aussi évolué.

En effet, les structures sanitaires ne sont pas adaptées pour les besoins spécifiques des adolescentes enceintes, les services de pédiatrie ne sont pas conçus pour les besoins d’une adolescente mariée, et les services pour adultes ne sont pas adaptés pour les adolescentes, alors que celles qui sont mariées manquent d’informations sur les structures dont elles ont besoin pour la contraception, la prévention contre les IST, la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant, le suivi de leur grossesse et les soins qui l’entourent, l’accouchement et la préparation à la maternité».

Sur un autre chapitre, l’étude du Ciddef aborde le volet juridique de la question du mariage précoce en Algérie, tout en prenant en compte la réglementation internationale et africaine relative aux droits de l’enfant et des femmes pour mettre l’accent sur une disposition de droit qui permet au violeur d’épouser sa victime mineure pour éviter la sanction.

«Comment les juges de notre pays ont-ils pu utiliser cet article (326) en cas de viol d’une mineure, le combiner à l’article qui qualifie le viol de crime, et proposer à l’auteur (de ce crime) d’épouser sa victime pour l’absoudre du crime commis ?»

Pour qu’une agression sexuelle soit qualifiée de viol, deux conditions sont requises : le non-consentement et la pénétration.

Or, dans l’article 326 du code pénal, l’enlèvement est supposé avoir été commis sans violence, menace ou fraude. Ceci sous-entend que la victime est consentante, que l’enlèvement n’est pas une agression sexuelle, mais résulte d’une entente entre «l’auteur et la victime», selon l’esprit et le contexte de la disposition française qui a réglé ce cas par le mariage pour laver l’affront subi par la famille.

D’ailleurs, si les parents n’acceptent pas le mariage ordonné par le juge, ils peuvent en demander l’annulation et poursuivre l’auteur de l’enlèvement.

De même, au cas où le ravisseur (violeur) a épousé sa victime mineure, divorce avant qu’elle n’atteigne la majorité, les parents ont alors toute la latitude pour le poursuivre.

L’utilisation de cet article pour absoudre un violeur de son acte est dangereuse pour la santé psychologique de la victime mineure.

Transposer cet article 326 au cas des viols est un moyen de ne pas rendre justice à la victime. Il est temps pour l’Algérie de le supprimer de sa législation.

C’est ce que le mouvement associatif demande et c’est ce que lui recommande le comité des droits de l’enfant qui le qualifie de violence.

Le Ciddef plaide pour une étude sur le mariage des mineures en Algérie,

«une adaptation des services sociaux, sanitaires, juridiques aux problèmes particuliers des jeunes adolescentes mariées, mais aussi pour veiller à la scolarisation de l’ensemble des filles sur le territoire national, à la poursuite de leurs études, à œuvrer à l’autonomisation des filles, à sensibiliser et mobiliser les familles sur les risques des mariages précoces, à fixer un âge minimum au-dessous duquel une dispense d’âge ne peut être accordée, à supprimer les dispositions de l’article 326 du code pénal, à revoir l’article 7 de ce code, de manière à préciser la notion d’‘‘intérêt’’ et d’‘‘aptitude au mariage’’ et à faire assister le juge par des experts pour entendre et apprécier le consentement de l’enfant».

Source : http://www.elwatan.com/

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