Affaire Matassoli | Une des victimes semble avoir tué le curé pédocriminel

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L’une des victimes du prêtre pédocriminel de l’Oise se suicide
Le père Roger Matassoli a été découvert mort à son domicile le 4 novembre. DR
Les témoignages sont glaçants. Dans l’Oise, un curé longtemps adulé par la population locale a été retrouvé mort, dans son bureau. Il a été tué par l’un des garçons auxquels il s’en prenait sexuellement.

Actu du 08/06/2025

« Il a été détruit » – 5 ans après le meurtre de l’abbé Matassoli, l’une des victimes du prêtre pédocriminel de l’Oise se suicide.

Abusé et violé par l’abbé Matassoli dans les années 1980, Esteban V., 51 ans s’est défenestré début avril à Beauvais. Il était par ailleurs le père d’Alexandre, ce jeune homme qui avait tué le religieux après avoir été, lui aussi, abusé.

« Ma vie n’a été qu’un calvaire. »

Lorsque nous avons rencontré, Esteban V. chez lui, à Beauvais, le 3 décembre 2019, c’est un homme « brisé » qui nous faisait face. Au Parisien, il avait accepté d’ouvrir sa porte et de nous accueillir dans cet appartement où il vivait reclus depuis plusieurs semaines les volets fermés. À l’époque, nous venions l’interroger sur le meurtre sauvage de Roger Matassoli, ce prêtre pédocriminel de 91 ans que son fils Alexandre venait de tuer en lui insérant un crucifix dans la gorge. S’il n’avait pas tenu à s’exprimer sur ces faits, trop douloureux pour lui à verbaliser, il avait livré un témoignage poignant.

La voix chevrotante, il était revenu sur les abus sexuels et viols qu’il avait subis par l’abbé quand il était enfant dans les années 1980. Rongé par la culpabilité, il expliquait aussi comment il avait vécu pendant des années sous l’emprise du religieux. Au point de continuer à le côtoyer une fois devenu adulte et de lui rendre visite avec son fils Alexandre qui sera à son tour violé par l’homme d’Église.

« Cet homme a brisé toute une famille », s’étranglait-il.

Depuis cette rencontre, Esteban tentait de se reconstruire sans jamais vraiment y arriver. Après des années de souffrance, cet homme à la santé mentale fragile a fini par se donner la mort le 5 avril dernier à l’âge de 51 ans.

Une dizaine de témoignages accablants

Selon nos informations, Esteban s’est défenestré depuis son appartement du 9e étage de l’immeuble où il vivait avec sa compagne dans le quartier Argentine. « L’enquête a été confiée au commissariat de police de Beauvais dont les conclusions de la procédure en recherche des causes de la mort ont conduit à privilégier la thèse du suicide », nous confirme le procureur de la République de Beauvais, Frédéric Trinh. Derrière cette fin tragique, difficile de ne pas entrevoir le traumatisme crée par le prêtre pédocriminel. Après la mort de ce dernier une dizaine de victimes se sont signalées.

C’est au sein du presbytère de Saint-André-Farivillers, petit village de l’Oise où Esteban vivait avec sa famille, que les agressions sexuelles de Roger Matassoli ont commencé. Enfant de chœur au sein de la paroisse locale, il avait alors 7 ans. « Chez nous, à cause de travaux, on ne pouvait plus se laver, le père avait proposé que je vienne prendre une douche. En sortant, j’avais une serviette autour des hanches, il l’a retirée et m’a dit : Tu sais, j’ai fait les camps scouts, j’en ai vu d’autres. Je n’y ai pas prêté attention mais après, les douches avec lui, c’était tout le temps », nous avait-il raconté.

Et d’accuser le prêtre de l’avoir abusé et violé jusqu’à ses 14 ans, évoquant même des agressions sur plusieurs enfants à la fois.

D’après lui, ses frères faisaient également partis des victimes, ce que ces derniers ont toutefois toujours nié. Si les abus sexuels finissent par cesser, l’emprise du prêtre sur Esteban, elle, perdure. C’est d’ailleurs à Roger Matassoli qu’il demandera de célébrer son mariage avec Sandrine (le prénom a été changé) avec qui il aura quatre enfants, dont Alexandre.

Une culpabilité intergénérationnelle

Après avoir gardé ses secrets longtemps enfouis, Esteban décide de se confier à son père en 2011. Trois mois plus tard, ce dernier se suicide ébranlé par cette révélation. 

Terrassé par ce drame, il décide d’écrire à Roger Matassoli — dont il s’était un peu éloigné — pour lui expliquer « que si papa s’est suicidé, c’est de sa faute ». 

Mais cette lettre, le religieux aurait refusé de la lire.

Esteban, lui, décide alors d’en finir et tente de se jeter sous les roues d’une voiture. À l’hôpital, un homme vient lui rendre visite : son agresseur.

« Il venait me voir régulièrement, m’apportait des cigarettes, des choses à manger. Il m’a acheté alors que j’étais seul et fragile psychologiquement. Et m’a fait comprendre de ne pas dire de bêtises », relatait Esteban. 

Il continuera de fréquenter le religieux jusqu’au meurtre de celui-ci, le 4 novembre 2019 à son domicile d’Agnetz, tué par son fils, Alexandre. Âgé alors de 19 ans, ce dernier lui avait enfoncé les yeux dans ses orbites, asséné des coups, et étouffé Roger Matassoli en insérant un crucifix dans la gorge. Un psychiatre avait décelé « les symptômes typiques d’une schizophrénie résiduelle et paranoïde ».

Se rangeant derrière les rapports d’expertise concluant à une « abolition du discernement », la justice l’a déclaré pénalement irresponsable deux ans plus tard. 

Esteban, lui, n’aura jamais réussi à se relever des traumatismes qu’il a vécus. Victime également du père Matassoli, Michel (le prénom a été changé) a fait sa connaissance à l’occasion des réunions de victimes d’abus sexuels au sein de l’Église catholique dans l’Oise. 

« Ça n’allait vraiment pas très bien. Et il culpabilisait beaucoup vis-à-vis de son fils », confie Michel, qui a été abusé et violé de ses 9 à 14 ans dans les années 1970 par le même prêtre.

« Chaque année, il avait des coups de moins bien et se faisait hospitaliser, reprend-il. On essayait de s’appeler chaque semaine mais c’est vrai que depuis décembre je n’avais plus trop de ses nouvelles. » 

« Il s’en est voulu d’avoir entraîné Alexandre chez l’abbé, soupire son ex-femme Sandrine. Il en était malade de cette histoire, il parlait souvent de la mort et je savais pertinemment que ça finirait par arriver. Quelque part, il a été à nouveau victime de Roger Matassoli. »

« J’espère que là où il est, il se sent mieux »

Tout comme Jacques, un homme abusé lui aussi par le prêtre quand il était enfant et retrouvé mort dans la Seine en 1989 à l’âge de 27 ans. 

« Il était dans un état délirant. On ne saura jamais s’il s’est suicidé », nous avaient confié ses sœurs. 

Lors des funérailles d’Esteban, l’évêque de l’Oise était présent. « C’est lui qui a fait la messe. Ça me fait bien rire quand on voit leur rôle dans cette histoire », lâche Sandrine en référence aux multiples alertes ignorées par le diocèse qui n’avait sanctionné Matassoli qu’en 2015 malgré une première plainte en 1984. 

Contacté, le diocèse de l’Oise n’a pas souhaité « s’exprimer dans l’immédiat ».

Dernièrement, Esteban affirmait avoir pardonné et s’était réconcilié avec l’église. 

« Mais je pouvais sentir qu’il était, pour une grande part, dans le déni », avance Georges-Emmanuel Hourant, qui avait participé avec lui à la création d’un collectif de victimes d’agressions sexuelles par des prêtres de l’Oise. Présent lors de la messe des obsèques, il déplore que « les origines de la souffrance d’Esteban » n’aient pas été évoquées. « Seulement le bon catholique qui servait fidèlement l’église », soupire-t-il.

Quant à Alexandre, âgé de 24 ans, il est sorti depuis deux ans de l’hôpital psychiatrique où il avait été interné d’office après avoir été déclaré pénalement irresponsable du crime qu’il a commis.

Vendredi après-midi, nous avons pu nous entretenir quelques minutes avec lui au téléphone. Voix calme et posée, le jeune homme indique « être apaisé » et « mener une vie lambda » après avoir suivi une formation pour être informaticien. « Je vais beaucoup mieux aujourd’hui », assure-t-il. À propos de son père, qu’il ne voyait quasiment plus, il dit de lui qu’il « a été détruit ».

« J’espère que là où il est, il se sent mieux, veut croire son fils. Il cherchait la paix, aujourd’hui il l’a trouvée. »

 

 

    “Il n’y a pas de mal à se faire du bien”,

assénait le père Matassoli, à l’une de ses très jeunes victimes, dans les années 70. L’homme de Dieu, qui fut vicaire de la paroisse de Clermont, dans l’Oise, puis curé du petit village de Saint-André-Farivillers (Oise, Hauts-de-France) est connu de la population locale comme l’un de ces ecclésiastes qui s’en prenait sexuellement aux enfants – il n’a cependant jamais été jugé ou reconnu coupable.

“Tout le monde savait sans savoir”,

explique un chasseur du coin. Il dit avoir croisé le religieux dans les années 1990, sur une route de la région.

“Il avait une main sur le volant, l’autre dans le slip d’un enfant”,

détaille-t-il au micro du journaliste Hugo Wintrebert qui signe un long et glaçant dossier sur l’affaire.

Dorénavant, le père Matassoli est mort. Sa dépouille a été découverte le 4 novembre 2019, après une interpellation sans lien apparent de prime abord.

Un jeune garçon, de 19 ans, est arrêté au volant d’une Renault Scenic marron qui ne lui appartient pas. Rapidement, les forces de l’ordre réalisent qu’il n’est pas en mesure de fournir les papiers du véhicule et qu’il n’a pas de permis de conduire. Il est alors placé en garde-à-vue.

Le véhicule appartient en fait à Roger Matassoli, alors âgé de 91 ans. Les parents de l’adolescent, apparu hagard devant les forces de l’ordre, sont contactés.

Son père connaît bien l’ancien curé : il a officié dans la paroisse de son village. Pire ! Il fut, a-t-il expliqué à notre confrère, l’une des victimes du vieil homme. Après l’appel des policiers, il décide donc de prendre la route. Pour s’assurer de l’état de l’individu qui, si longtemps, l’a torturé.

Le père de famille n’ira pas jusqu’à entrer dans la demeure du père Matassoli. Mais par la fenêtre, il distingue un cadavre. Celui de son ancien bourreau. C’est par crainte d’être accusé qu’il reste dehors.

Les gendarmes ne tardent pas : ils retrouvent l’ancien curé

“les yeux enfoncés dans leurs orbites, un crucifix planté au fond de la gorge”.

L’autopsie permet ensuite d’affirmer qu’il est

“mort pas asphyxie avec traces de coups violent à l’abdomen, au crâne et au visage”.

C’est l’une de ses (nombreuses ?) victimes qui, semble-t-il, a fini par le tuer.

Monseigneur Jacques Benoit-Gonnin, l’évêque de Beauvais, apprend la nouvelle le jour même. Alors qu’il venait d’arriver à Lourdes pour participer à la conférence des évêques de France sur la réparation matérielle que l’Eglise doit offrir aux victimes de pédophilie, il est frappé par l’évidence : il s’agit là de la vengeance d’un paroissien. Il adresse d’abord un message à la famille de Roger Matassoli ; puis, le lendemain, un second destiné aux victimes de l’ancien curé.

C’est que ces dernières sont nombreuses, poursuit le mensuel. Le curé arrive au village dans les années 70. Les premiers soupçons commencent en 1984. Avant cela, ceux qui osaient s’étonner de la présence de tant d’enfants – essentiellement des jeunes garçons – à la maison curiale étaient simplement traités d’anticléricaux.

Pourtant le magazine dépeint une souffrance bien réelle, ô combien glaçante. Colette, la petite dernière d’une famille nombreuse, avait 8 ans à l’époque des faits. Elle en a 60 désormais et explique comment l’abbé a ruiné la vie de plusieurs de ses grands frères.

Paul et Jacques, respectivement 20 et 22 ans alors, devaient prendre des douches avec le père Matassoli. Il les caressait, les prenait en photo dans des poses suggestives, glissait la main dans leur sous-vêtements ou leur faisait faire du jardinage nus.

En 1986, Paul meurt après un accident de tracteur. Jacques meurt 5 ans après s’être confié à sa petite sœur. Il avait 27 ans quand, devenu banlieusard, il s’est noyé dans la Seine. Impossible de dire s’il s’agit d’un suicide ou non. Odile, l’une de ses sœurs, en est convaincue : s’il n’avait pas été victime de pédophilie, il serait sans doute encore en vie aujourd’hui.

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