France | Témoignage de Myriam, violée pendant 6 ans alors qu’elle était enfant
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
- 17/04/2019
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Myriam, aujourd’hui 28 ans, reprend doucement goût à la vie. Après avoir été abusée pendant six ans par un ami de ses parents lorsqu’elle était enfant, la jeune femme est sortie du silence il y a moins de dix ans. Une prise de parole aussi douloureuse que salvatrice.
Pour rappel, 14,5 % des femmes et 3,9 % des hommes âgés de 20 à 69 ans ont été victimes de violences sexuelles au cours de leur vie, selon une enquête INED réalisée en 2016.
Adoptée par son beau-père dès son plus jeune âge, Myriam rencontre son père biologique pour la première fois à l’âge de 5 ans. Ses parents viennent tout juste de se séparer.
Son père ne vient pas seul. Il est accompagné d’un ami d’enfance, aussi très bon ami de sa mère. Myriam garde peu de souvenirs de cette première rencontre. Si ce n’est lui, cet ami, cet autre, celui qui deviendra son violeur pendant six années et détruira sa vie.
Myriam a accepté de se confier à nous autour d’un café. Aujourd’hui, elle a 28 ans. Il y a quatre ans, le second procès a eu lieu. Son saboteur est en prison, il en a pris pour 18 ans. Revenir sur son passé, encore présent, encore douloureux, fait du bien à Myriam. Et paradoxalement du mal. Ça exige de fouiller, de revivre ce que l’on essaie d’enfouir.
En nous livrant son histoire, Myriam n’a qu’un souhait : inviter les femmes victimes de viol à sortir du silence. Parce que ces mecs-là, ça recommence. Et parce que poser des mots sur ce qui semble indicible est un pas essentiel vers la reconstruction de soi-même.
À peine Myriam rencontre-t-elle son père et A., l’ami de ses parents, que ce dernier ne repart plus ou presque. Au départ, il passe régulièrement chez sa grand-mère, où elle vit avec sa mère. La première fois qu’A. viole Myriam, c’est dans la cave. Elle entend du bruit, va voir ce qu’il se passe. Elle s’attend à tomber sur son oncle, présent cette semaine-là. Mais elle tombe sur A. qui gare son scooter.
« Il m’a foutu au sol. Je crois que j’ai eu tellement peur que je n’ai pas réagi. J’ai compris qu’il se passait quelque chose de pas normal mais je ne savais pas quoi faire. Je n’étais qu’une gamine, j’étais prise au piège. Le soir-même, je saignais. J’ai dit à ma mère que je m’étais fait mal à vélo en me cognant sur ma selle. Déjà, je prenais sur moi, sans bien réaliser ce que cela impliquait. Cette blessure, cette trace et cette preuve, c’était ma faute »
Très rapidement, Myriam et sa mère déménagent. A. les suit.
« Il était en galère de tunes. Ma mère lui propose de s’installer chez nous. Elle tenait à le dépanner. En échange, il allait nous garder, mon frère, ma sœur et moi, et nous conduire à l’école. Ma mère avait des horaires de travail décalés, ça l’arrangeait »
À partir de là, tout bascule. Myriam ne connait pas un seul jour de “répit”. Elle se rappelle parfaitement d’un jour en classe de CP. A. vient la chercher à midi. Normalement, elle déjeune à la cantine. Il lui réserve une surprise : un saut au restaurant avec son frère et sa sœur, qu’ils vont aller récupérer de ce pas à la maternelle. Elle le croit. Mais ils ne vont pas déjeuner, ils vont à la maison. Il la viole.
« J’ai essayé de mettre des stratagèmes en place. J’avais cinq ans, six ans, sept ans, et je cherchais comment l’éviter. Les jours de piscine, je craignais qu’il m’habille et m’enfile mon maillot de bain avant le départ à l’école. Alors je me levais très tôt et j’enfilais mon maillot de bain, je remettais mon pyjama par-dessus, puis je me recouchais. Quand la porte claquait, que ma mère quittait la maison à l’aube, je frémissais, je le redoutais. Porter mon maillot de bain ne changeait rien. Il me violait dans ma chambre, au réveil. Souvent, il me menaçait. Il me disait de me laisser faire, sinon il ferait la même chose à ma sœur »
La nuit, Myriam ne dort plus. Elle n’ose pas se lever pour aller aux toilettes en pleine nuit car A. dort dans le salon. Elle fait pipi au lit. Le matin, elle met ses draps dans la machine, qu’elle dissimule sous les affaires de sa mère pour que cette dernière ne devine rien.
« Pour autant, je suis certaine que ma mère savait. Mais elle savait sans savoir. Elle était dans le déni. Mes cousines aussi se doutaient de quelque chose, je le sais. Mais tant que ça ne vous arrive pas à vous, votre vue est brouillée, votre cerveau ne peut assimiler ce qu’il voit ou pressent, car c’est bien trop dramatique pour être accepté ».
À 9 ans, Myriam a “l’occasion” de parler. C’était le jour de son anniversaire. Sa tante vient de parler à sa mère dans la cuisine. Elle a des soupçons. La situation ne lui échappe pas. Myriam se retrouve à table, devant ses bougies, à crouler sous mille questions. Elle nie tout.
« Toutes ces questions qui me tombaient dessus, c’est comme si j’étais coupable. On voulait savoir ce qu’il se passait, ce que j’avais fait. Mais je n’avais rien fait. Cette scène m’a paralysée. Longtemps après, j’ai regretté de ne rien avoir dit ».
À 11 ans, Myriam est formée. A. est d’autant plus à l’affût. Mais Myriam tente d’être plus maligne que lui. Elle apprend à s’enfuir chez la voisine le mercredi pour jouer. Seulement, quand elle revient, il lui dit qu’elle va le payer.
« Un mercredi midi, je rentrais déjeuner. Mon frère et ma sœur étaient censés être là, je me sentais en sécurité. Avant d’entrer dans notre appartement, je lui ai demandé s’ils étaient bien là. Il m’a dit que oui. Mais en réalité, il les avait envoyés faire des courses. Quand je m’en suis aperçu, j’ai couru me planquer dans ma chambre, j’ai bloqué la porte avec le lit superposé. Il avait plus de forces que moi. Il m’a eue. Je criais, je me débattais, j’espérais que les voisins entendent. Mais en pleine journée, en semaine, impossible ».
Myriam n’ose pas en parler à ses copines. Elle est étouffée par un sentiment de honte. Elle commence à se scarifier, à bout. Elle fait plusieurs tentatives de suicide. Elle en veut à sa mère de ne rien voir, de ne pas entendre ses appels au secours. Six ans que ça dure, six ans qu’elle souffre.
« J’ai testé plein de choses pour que A. se dispute avec ma mère. Je me disais que ça allait durer à vie et qu’il finirait par s’en prendre à ma sœur. Je devais sauver nos peaux. Comme si j’étais responsable. Un jour, j’ai trouvé le truc. J’ai inventé une histoire autour de l’argent. J’ai dit à ma mère que j’avais surpris A. au téléphone en train de se plaindre d’elle, de ses moyens. Ma mère l’a allumé, elle l’a mis dehors ».
Son départ soulage Myriam mais l’angoisse demeure. Tout le mal est fait. Elle est abîmée. Elle continue de se scarifier. Ses profs remarquent que quelque chose ne va pas. Elle est convoquée chez le médecin scolaire régulièrement, qu’elle voit ensuite tous les mercredis.
« Cette femme a sauvé ma vie. Je la voyais une fois par semaine. On parlait de tout mais pas de ça. Elle était là, c’était déjà énorme, rassurant. Petit à petit, j’ai commencé à m’ouvrir. Sans trop me dévoiler, j’ai donné des indices. Elle a fini par faire un signalement. Moi, je ne voulais pas qu’elle le fasse. J’ai perdu confiance et j’ai arrêté de lui parler, mais je la voyais toujours. En même temps, je ne pouvais pas lui reprocher, j’étais en danger et j’avais besoin de son aide. Elle a été la première à faire quelque chose, je ne l’oublierai jamais ».
Suite à ça, Myriam est convoquée devant le juge. Elle a 14 ans. Quand sa mère ouvre le courrier, elle ne comprend pas. Elle lui demande ce qu’il se passe et si “c’est grave”. Elle imagine que Myriam a fait une connerie, qu’elles vont avoir d’énormes problèmes. Alors, à l’audience, Myriam nie tout, incapable de s’exprimer.
Après ça, Myriam quitte le cursus scolaire classique et démarre un apprentissage dans la petite enfance. Chaque jour, elle cache ses bras marqués par ses blessures et ce secret trop lourd à porter.
Pendant son apprentissage, Myriam se rapproche d’une éducatrice de quartier. Elle lui dit tout. Elle se sent prête à parler mais pas à porter plainte. Jusqu’au jour où elle aperçoit A. près de chez elle. Elle a 17 ans. Il fait du vélo, nonchalamment, limite en sifflant.
Et là, elle a un déclic face à cette pourriture qui “passe du bon temps” tandis qu’elle est détruite. Elle appelle une de ses tantes, lui dit qu’elle veut porter plainte, qu’elle doit parler à sa mère, jouer les intermédiaires. Elle le fait, mais sa mère s’oppose à une telle déclaration qui va souiller la famille. Myriam se sent seule. Dans une autre dimension.
Elle prend rendez-vous chez son généraliste, feint des insomnies indomptables, obtient des somnifères et les avale dans un parc lors d’une pause déjeuner. Au bout de quelques minutes, elle se sent inchangée. Elle se lève et retourne au travail. Là-bas, elle fait un malaise. Ses supérieurs appellent les pompiers. Lorsque Myriam se réveille, elle demande à joindre Alicia, son éducatrice, sa référente.
« Je ne me souviens de rien. Ils m’ont rattrapée de justesse. Après plusieurs jours, toujours hospitalisée, j’ai dénoncé tous les faits à la pédopsychiatre. Elle m’a prise sous son aile. Je suis restée en pédopsy pendant 4 mois, j’ai pu déposer plainte, je n’ai pas vu ma famille pendant le premier mois, je refusais. J’ai également été vue par la brigade des mineurs. Étrangement, tout ça ne m’a rien fait. C’était insoutenable d’attendre le jugement. Je voulais me sentir libre et libérée ».
Au procès, cinq ans plus tard, A. nie tout. Il prétend qu’il est victime d’un complot et qu’il s’agit là de fausses accusations. Il dit que la mère de Myriam ne désirait pas Myriam et souhaitait avorter. Que Myriam n’a pas supporté de l’apprendre et qu’elle lui en veut d’avoir été un confident de sa mère, et même celui qui a été acheter la pilule du lendemain.
Il prend 12 ans et fait appel. Lors du nouveau procès en cours d’assise, en 2016, il finit par tout avouer. « Je n’ai même pas été soulagée. J’étais en colère. Il aurait pu m’éviter ce deuxième procès. Ne rien avouer jusqu’ici, c’était continuer à abuser de moi ».
À 21 ans, avant le premier procès, Myriam commence à rencontrer des garçons. Elle partage du sexe, juste du sexe. C’est mécanique, sans goût. Son passé l’envahit et perturbe son rapport aux hommes.
« Pour moi, j’étais encore vierge puisque je n’avais jamais eu de rapports consentis avec quelqu’un. J’ai couché avec un garçon. Puis j’ai été vivre à Paris. Que de folie, de rencontres. J’avais besoin de guérir, de reprendre le contrôle sur ma vie et ma sexualité ».
Depuis, Myriam confie attirer des mecs malsains. Selon sa psy, elle nage en plein choc post-trauma, elle rejoue ses agressions avec d’autres personnes pour essayer de comprendre, aussi parce que son cerveau ne “connait” que ça.
« Je fréquente tous ces mecs car j’ai besoin d’attention, de me sentir importante, de me sentir exister, car A., mine de rien, avait beau me faire tout ça, il a pris le rôle de mon père et j’étais importante pour lui. Je recherchais l’attention que je trouvais plus. (…) C’est important de porter plainte, même si c’est dur, même si la procédure est longue et le procès difficile. Cette démarche aide à se reconstruire. Et à se dire qu’on est victime, pas coupable. Même encore aujourd’hui, je me dis encore que c’est ma faute. Ma faute parce que j’aurais pu parler avant, en fait ».
Désormais, Myriam suit une formation pour devenir éducatrice pour jeunes enfants après avoir travaillé comme aide-soignante en pédopsychatrie pendant cinq ans. Il n’y a pas de “hasard”.
« J’ai également envie de faire de la prévention. Si on m’avait dit : personne n’a le droit de toucher ton corps, je serais peut-être sortie du silence plus tôt. Je me serais sentie moins honteuse. Je ne savais pas ce qui était bien ou mal. J’encourage vraiment les parents à parler de ça avec leurs enfants ».
Myriam et sa mère n’en ont jamais discuté, malgré les procès. Tout le long de son adolescence, la jeune femme s’est braquée contre elle. Moins elle la voyait, mieux elle se portait.
« Mais ce n’est pas elle qui m’a agressée, même si elle n’a pas vu et pas voulu voir. Désormais, je vois moins ma famille, ma mère, mon frère, ma sœur. J’ai mis de la distance, j’en avais besoin. Et j’ai besoin de me sentir en paix avec moi-même, et donc avec eux tous. Je commence à réaliser que mon violeur est en prison. Je me sens de plus en plus libre ».
Pour conclure notre entrevue, Myriam nous dit qu’elle tient à remercier toute l’équipe de pédopsy qui l’a accueillie mais également toutes les personnes qui l’ont soutenue, de ses cousines à ses amies. Enfin, elle nous rappelle qu’il existe une structure spécialisée à Paris, l’Institut de victimologie, pour aider les victimes à sortir de cet enfer.
source : journaldesfemmes.fr
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