France | Jean-Paul Laborde : “Nous devons restaurer la dignité des enfants “
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 20/02/2021
- 18:00
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Jean-Paul Laborde est avocat à la cour d’appel de Toulouse, conseiller honoraire à la cour de cassation et ancien sous-secrétaire général des Nations Unies.
Un mot barbare qui recouvre bien des situations, des sentiments et surtout des épreuves.
La prescription pénale allume l’espoir des délinquants et soulève la désespérance des victimes.
Elle m’a poursuivi toute ma vie ; dans mes fonctions de magistrat du Ministère Public ou du siège en France que magistrat du siège, à l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime lors de la négociation de la Convention mondiale contre la criminalité transnationale organisée ou encore dans mes fonctions de Sous-Secrétaire général et directeur exécutif du contre-terrorisme au Conseil de sécurité de cette organisation.
Également, à l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée dont je suis l’ambassadeur itinérant ou avec mes collègues et amis de l’Association internationale de droit pénal.
Finalement, c’est aussi toujours un débat aux Écoles de St-Cyr où j’enseigne, à l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, à la Fondation pour la Recherche Stratégique auxquelles je participe et avec mes confrères du Barreau.
Combien de fois m’a-t-on opposé en France le trop fameux principe de la prescription qui permettrait de ne pas revenir sur des choses du passé en remettant en cause l’ordre et la paix publique d’aujourd’hui.
Mais quelle paix, quel ordre public?
Lorsque j’étais procureur de la République à La Réunion, j’ai pu voir la détresse de ces enfants violés dans le secret des familles à tel point que nous avions mis en place une procédure spécifique pour les entendre: jamais dans les commissariats ou les brigades de gendarmerie, toujours dans des maisons de justice par des officiers de police judiciaire en civil et en présence de psychologues, avec des techniques d’entretiens non suggestifs, bref la procédure Mélanie…
On m’avait pris pour un rêveur, mais je vois que le cauchemar est toujours là. Des procédures peu incitatives malgré le travail accompli par les associations d’aide aux victimes et des policiers, gendarmes et magistrats qui font souvent ce qu’ils peuvent.
Dans les instances internationales, on insiste toujours sur l’importance de l’œuvre de justice pour permettre aux victimes d’infractions pénales de réparer les blessures.
La résistance à la dénonciation des faits, le sentiment de culpabilité des victimes et de leurs proches, les pressions familiales… l’omerta. Et la prescription file, file, dévore le temps mais pas la mémoire.
Certes, de grands progrès ont été accomplis à coup de lois successives mais quand posera-t-on véritablement la question de l’imprescriptibilité des crimes contre les enfants?
Dans les instances internationales où j’ai servi et sers encore, on insiste toujours sur l’importance de l’œuvre de justice pour permettre aux victimes d’infractions pénales de se reconstruire, de réparer les blessures. Et, entre autres, pour les viols et autres abus sexuels particulièrement sur les enfants.
Certes, c’est souvent dans le cadre de reconstruction de pays en guerre que l’on voit les effets dévastateurs de l’oubli de crimes de ce type commis sur les victimes très précisément dans le but du succès d’opérations de guerre mais pas seulement.
Parmi les principes de la justice pénale édictés au niveau international par la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale de l’ONU, on insiste toujours sur le fait qu’il n’y pas de véritable paix sociale sans l’acte de justice car il n’y a pas de reconstruction possible pour les victimes sans procès pénal.
D’ailleurs même au niveau des crimes internationaux, on se pose la question de la gravité de ces infractions.
La preuve en est, également, que lors des négociations du Statut de Rome, la question de l’incorporation des infractions graves liées à la criminalité transnationale dans le Statut de la Cour pénale internationale qui était en voie de création a été évoquée.
Et ne faut-il pas relever que les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas.
Que valent nos arguments juridiques pour la défense de la prescription face à la détresse exprimée par Camille Kouchner et par d’autres témoignages poignants?
Certes, parmi les crimes en discussion figuraient principalement ceux liées au protocole contre la traite des femmes et des enfants, protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée appelée Convention de Palerme (on est en 1998!) et donc des atteintes très précises à la dignité de l’être humain ; ces incriminations n’excluaient pas les viols répétés commis, même en dehors des périodes de guerre, par les groupes criminels organisés afin de soumettre les femmes et les enfants que ces groupes voulaient ensuite utiliser «comme de la marchandise».
Certes, la Convention de Palerme précise, dans son article 11, que dans les pays où la prescription existe, celle-ci ne doit être acquise qu’au terme d’une durée la plus longue possible .
Mais, lorsque ces viols sont commis contre un groupe ciblé, durant des hostilités internationales ou pas, tout change, ces viols deviennent des crimes contre l’humanité et ils sont imprescriptibles, y compris dans notre douce France. L’oubli, l’ordre public, la paix civile… envolés!
Et pourtant, une pensée m’obsède toujours aujourd’hui: la protection de la dignité de l’enfant, certes seul et non pas pris comme membre d’un groupe ciblé, solennellement proclamée dans la Convention des Nations Unies Relative aux Droits de l’Enfant, n’exige-t-elle pas cette imprescriptibilité des abus sexuels sur ces êtres sans défense?
À la lecture du livre de Camille Kouchner, Familia grande, cette problématique revient violemment à la surface.
Ne voit-on pas que «l’intérêt supérieur de l’enfant», selon les termes même de la Convention, exige cette imprescriptibilité.
Les valeurs de nos sociétés résident dans la protection de ce qu’il y a de plus sacré…l’intérêt supérieur de l’enfant que tellement de pays se sont engagés à protéger par la ratification de cette Convention et qui n’est toujours pas mis au centre dans de nombreux pays ; l’enfant qui, au passage, a ce statut protecteur jusqu’à sa majorité à 18 ans parce qu’il est et reste «enfant» jusqu’à cet âge dans ce texte international .
Le courage dans la protection de l’enfant exige que nous allions plus loin.
Que valent nos arguments juridiques pour la défense de la prescription face à la détresse exprimée dans le livre de Camille Kouchner et d’autres témoignages poignants, y compris dans le cœur de ceux qui ne savent pas écrire sur leur détresse?
Honnêtement? Rien.
Nous devons restaurer la dignité des enfants qui souffrent de ces abus sur notre planète, conformémént aux droits de l’enfant reconnus au niveau international.
D’ailleurs, de nombreux états, y compris au sein des États-Unis d’Amérique (où 46 états ne connaissent pas la prescription pour les infractions graves) car ils estiment que le trouble social crée par ces infractions ne mérite pas l’oubli. Il en va de même pour de nombreux pays de common-law et, en tout premier le Royaume Uni.
Une décision significative de la Cour inter-américaine des droits de l’Homme nous trace la voie ; elle décide, en effet, que pour les violations les plus graves aux droits fondamentaux de la personne humaine, la prescription est contraire aux normes intangibles qui constituent l’essence des droits de l’Homme.
Les abus sexuels sur les enfants ne seraient-ils donc pas des violations graves à ces normes internationales intangibles?
Si nos sociétés ne savent pas protéger les enfants, que nous reste-t-il?
Que l’on ne se méprenne pas: l’opinion exprimée dans cette tribune ne relève ni de l’angélisme ni de la mièvrerie. La question est bien celle du degré de dignité que, dans notre 21ième siècle, la Communauté internationale veut accorder à l’Enfant.
C’est pourquoi nous nous devons de prendre une position qui restaure la dignité des enfants du monde qui souffrent de ces abus sur notre planète, position conforme aux droits de l’enfant reconnus au niveau international.
Pourquoi donc la France qui a toujours été et est encore aujourd’hui considérée comme la patrie des droits de la personne humaine ne prendrait-elle pas la tête de cette initiative commune du village mondial en inscrivant dans sa législation l’imprescriptibilité des crimes commis contre les enfants?
Elle honorerait, sans aucun doute, la tradition du pays des Lumières….en allumant une petite lueur au fond du cœur des enfants du monde.
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