France | Plongée sordide au cœur d’un groupe pédocriminel sur les réseaux sociaux

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« Je suis un prédateur, un chasseur »
En 2022, la gendarmerie a infiltré un groupe d’échanges de fichiers à caractère pédocriminel. Alors que le renvoi devant une chambre criminelle de plusieurs membres vient d’être requis, « 20 Minutes » lève le voile sur un système de prédation machiavélique.

Là, une adolescente qui danse de manière suggestive. Ici, une fillette en maillot de bain ou une autre posant lascivement.

Fin août 2022, les gendarmes de la section de recherches d’Orléans sont alertés sur l’existence d’un groupe Facebook dans lequel de nombreuses photos de mineurs sont postées.

Les clichés, tout comme les commentaires, flirtent avec la légalité. Pas vraiment répréhensibles pénalement, mais suffisamment inquiétants pour pousser un gendarme sous couverture à infiltrer le groupe.

Son intuition se vérifie rapidement. En quelques clics, un certain « Max » l’invite sur Telegram et sur Messenger.

« Tu aimes aussi les enfants ? »

, s’enquiert-il.

Le groupe Facebook était en réalité un « appât » pour les pédocriminels.

En quelques jours, l’enquêteur sous couverture est invité à intégrer un premier groupe – rapidement délaissé pour un second – sur le réseau social ICQ, fermé depuis 2024.

Pour y accéder, il faut montrer patte blanche. En clair, envoyer un fichier à caractère pédocriminel. Une « précaution » car le but du groupe est ouvertement criminel : ses membres s’échangent des photos ou vidéos d’agressions sexuelles et de viols d’enfants et d’adolescents.

Les enquêteurs s’aperçoivent que parmi les milliers de fichiers échangés, la majorité des victimes n’est pas recensée dans les bases de données internationales. Ces dernières n’ont donc probablement jamais été identifiées. Autre spécificité : les membres parlent français et les victimes semblent également francophones.

Un système bien rodé

Le parquet d’Orléans vient de requérir le renvoi devant la cour criminelle de quatre membres de ce groupe, a appris 20 Minutes de sources concordantes. Trois d’entre eux pour viols sur mineur, le dernier pour corruption de mineur. Un cinquième homme, également mis en examen pour viol, s’est suicidé en détention. Enfin, un Belge, le « Max » qui a invité le gendarme, a été condamné par la justice de son pays à dix ans de prison.

Les investigations étant désormais closes, c’est au juge d’instruction d’acter ou non leur renvoi.

Mais au-delà du cas spécifique de ce dossier, les investigations ont levé le voile sur un système de prédation aussi sordide que bien rodé.

« Cette affaire est malheureusement un cas d’école de toutes les méthodes utilisées par les pédocriminels pour approcher les enfants »

, estime Me Frédéric Benoist, l’avocat de l’association La Voix de l’enfant.

Chaque mis en cause semblait avoir sa propre méthode pour obtenir des images.

A commencer par Noé R., l’administrateur des deux groupes.

A lui seul, cet homme de 37 ans, déjà condamné pour corruption de mineur et agression sexuelle sur mineur, est à l’origine de la diffusion de plus d’un millier de photos et vidéos à caractère pédocriminel. Incarcéré après sa seconde condamnation, il a reconnu être repassé à l’acte dès sa sortie de détention.

Pas moins de 38 victimes prises dans les filets de son stratagème machiavélique ont été recensées. Parmi celles identifiées, les plus jeunes ont 8 ans, les plus âgées 13 ans.

« Je suis un prédateur, un chasseur, je ne peux pas dire le contraire »

, a-t-il reconnu lors de sa garde à vue, en avril 2023.

Il l’a d’ailleurs admis sans détour, il choisissait des victimes fragiles, chez lesquels il ressentait une « faille » pour gagner plus facilement leur confiance.

Noé R. ciblait sur les réseaux TikTok ou Instagram des profils de préadolescentes ou de fillettes et multipliait les demandes d’ajouts. Lorsque les victimes l’acceptaient en « ami », la conversation basculait rapidement sur Snapchat.

Tapi derrière son ordinateur, le prédateur utilisait de faux profils, notamment celui de « Louis » et « Margot », soi-disant frère et sœur, pour mettre en confiance ses victimes. Louis jouait le rôle du petit copain qui quémandait un « nude », Margot intervenait derrière soit pour rassurer, soit pour faire du chantage lorsque la victime résistait.

« Si besoin, il [le mis en cause] utilise des clichés d’autres victimes pour convaincre les nouvelles »

, notent les enquêteurs.

Une fois la première photo compromettante obtenue, le piège se refermait invariablement sur les fillettes. Noé R. – ou plutôt son alias Louis – se montrait de plus en plus oppressant pour obtenir des clichés toujours plus sexualisés. Si la victime refusait, Margot intervenait et jurait que son frère allait se tailler les veines ou diffuser les photos sur Snapchat.

« Il n’hésite pas à mettre sa menace à exécution, soit de manière fictive, en utilisant un autre compte lui appartenant, soit de manière effective, en diffusant les clichés sur des groupes de discussion auxquels appartient la victime »

, précisent les gendarmes.

Une incrimination « innovante »

Par ce sordide stratagème, Noé R. aurait ainsi poussé des fillettes parfois âgées de 7 ou 8 ans à se masturber avec des objets, à prendre des poses humiliantes et dégradantes ou à se filmer sous la douche. Les enquêteurs ont également constaté qu’il avait fait chanter les deux sœurs aînées – 13 et 10 ans – d’une fratrie de quatre filles pour obtenir non seulement des clichées d’elles mais également de leurs petites sœurs.

Si aucun contact physique n’a été mis à jour, la justice a estimé que pousser des victimes vulnérables à s’infliger des pénétrations relevait du viol.

« C’est assez innovant cette incrimination, analyse Me Frédéric Benoist. C’est le même principe que dans les affaires de live-streaming où des hommes commanditent depuis leur ordinateur des viols d’enfants. »

Au cours de la procédure, le trentenaire a reconnu les faits mais nié la qualification de viol. Son avocate n’a pas souhaité s’exprimer.

Mais les modes opératoires mis à jour dans ce dossier ne sont pas uniquement virtuels. Les gendarmes ont rapidement acquis la certitude que parmi les clichés échangés, certains provenaient de viols commis par les membres du groupe. A commencer par ces vidéos d’une main d’adulte faisant des « va-et-vient sans équivoque » dans la culotte d’une toute petite fille.

En identifiant le lieu où ont été tournées ces images, les enquêteurs sont remontés à un homme de 62 ans, Manuel C. Les perquisitions ont permis de mettre à jour pas moins de 400.000 fichiers à caractère pédocriminel.

L’analyse des vidéos, également postées sur le darkweb, a permis d’établir que Manuel C. aurait agressé à onze reprises en trois semaines cette fillette de son entourage, âgée de 5 ans au moment des faits. En garde à vue, l’homme n’a eu de cesse de minimiser, reconnaissant uniquement une agression sexuelle, n’hésitant pas à faire porter la responsabilité de ses actes sur l’enfant qui « venait [le] chercher par la main pour jouer au “bébé” […] et écartait les jambes ».

Une adolescente de 15 ans, atteinte d’un trouble autistique, figure également parmi les victimes. Plusieurs vidéos d’elles faisant une fellation ou en plein acte sexuel ont été postées sur le groupe.

« J’étais obligée de dire oui sinon je ne savais pas comment il allait réagir »

, a confié l’adolescente aux enquêteurs.

« Il », c’est Hervé D., un homme de 51 ans. L’homme a reconnu avoir abordé l’adolescente sur Instagram et s’être rendu à cinq reprises dans sa commune pour obtenir des faveurs sexuelles qu’il a filmées et dont il a posté certains extraits.

« Je l’ai sûrement manipulé en vue d’obtenir des faveurs sexuelles »

, a-t-il admis devant le juge d’instruction.

Le suspect a également ajouté l’adolescente dans plusieurs groupes pédocriminels – dont ceux infiltrés – la jetant en pâture à d’autres hommes. Parmi eux, figure Jérémie P., 51 ans. A deux reprises, il a réservé un hôtel pour avoir des relations sexuelles avec elle, allant même jusqu’à lui proposer de l’argent.

S’il s’est finalement désisté – assurant qu’il s’agissait seulement « d’un fantasme » –, les enquêteurs ont découvert plus de 200.000 fichiers à caractère pédocriminel chez lui.

Plusieurs membres du groupe ont rapporté qu’il avait également sous-entendu qu’il pourrait livrer sa propre fille à d’autres hommes. Il a reconnu ces propos mais s’est défendu en disant qu’il s’agissait là encore d’un fantasme. Aucune preuve d’un passage à l’acte n’a été mise en lumière. 

Contactés, leurs avocats n’ont pas donné suite.

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