Gisors | Le récit de Betty Mannechez en hommage à sa sœur Virginie

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Briser le silence pour ne plus jamais se taire
Betty Mannechez témoigne pour rendre hommage à sa sœur Virginie, tuée en 2014 par leur père alors qu’elle tentait de fuir son emprise. À travers son récit, elle dénonce le silence qui a longtemps étouffé sa famille.

L’image de la famille parfaite. En apparence, Denis et Laurence Mannechez semblaient être un couple aisé et uni, entourés de leurs cinq enfants.

Mais derrière cette façade se cachait une réalité glaçante. Pendant des années, Denis Mannechez a abusé de ses deux filles aînées, avec la complicité de sa femme.

Sur sa fille Virginie, l’aînée, il a exercé une emprise telle qu’il a petit à petit transformé cette jeune femme comme sa nouvelle compagne, imposant une relation incestueuse et destructrice.

Aujourd’hui, Betty Mannechez, la cadette et victime de son père, témoigne pour sensibiliser et rendre hommage à sa grande sœur, assassinée en 2014 par leur père, alors qu’elle venait de le quitter.

Betty raconte le pouvoir malsain exercé par son père et le long silence qui a pesé sur la famille.

Un climat de peur

Betty Mannechez se souvient du climat qui régnait dans la maison familiale. La violence et la peur sont omniprésentes.

“Quand il passait le pas de la porte, il fallait qu’il ait le sentiment de se dire : ‘je suis chez moi, je suis le maître et je contrôle tout’. On vivait, si je peux dire, avec la mort”, livre-t-elle.

Dans cette atmosphère pesante, les liens entre les cinq enfants se distendent. Les parents n’encouragent aucune forme de relation fraternelle, laissant chacun se débrouiller dans l’isolement. La seule chose que Denis Mannechez transmet à ses enfants, c’est la peur.

“Il avait un regard puissant. […] Je me souviens qu’on l’attendait sur les marches de l’escalier comme des marionnettes. Il fallait qu’on soit que pour lui quand il rentrait. […] On ne pouvait pas devenir nous, car sinon ça voulait dire qu’il n’y avait plus de contrôle. Et s’il n’y a plus de contrôle, il n’y a plus de famille”, retrace la cadette. 

Le contrôle est repris grâce aux punitions. Martinet, coup de chaussure, rester à genoux pendant des heures…

“On s’est donc construit avec ce personnage qui était notre papa sans savoir que dans les autres familles ça ne se passait pas comme ça”, raconte-t-elle.

Et un jour, c’est allé plus loin :

“On a été abusées par notre père. On a voulu se libérer de ce poids auprès de notre mère. Mais cela a duré pendant plus de dix ans.”

Le premier viol

Betty se souvient de la scène du premier viol qu’elle a subi par son père. C’était en 1981, un dimanche après-midi.

Denis Mannechez vient chercher sa cadette dans la cuisine et lui demande de monter avec lui dans sa chambre. Passé le pas de la porte, tout devient flou pour la jeune fille.

“La seule chose dont je me souviens, c’est qu’il me déshabille et que je suis dans le noir”, relate Betty.

Ils ont été surpris par la sœur aînée, Virginie, et elle referme aussitôt la porte. Après cet acte incestueux, les deux sœurs se retrouvent et Virginie pose de nombreuses questions à sa sœur.

“Elle a attendu le retour de ma mère puis m’a pris par la main pour qu’on aille la voir dans la cuisine et lui a dit :

‘ce que papa me fait, il l’a fait aussi à Betty.’

Ma mère n’a pas réagi”, lance Betty tout en soulignant que l’enfer allait continuer.

Une mère antipathique

Laurence Mannechez est mère au foyer et participe parfois aux viols avec son mari.

“Elle m’a même fait avorter de mon père trois fois, dans trois hôpitaux différents pendant les dix ans où il m’a violée. Elle racontait que je faisais le mur et que je couchais à droite à gauche”, rapporte avec sang-froid la jeune femme, marquée par sa première interruption volontaire de grossesse (IVG).

La mère de famille avait même mis en place un planning sur les périodes menstruelles des deux sœurs pour prendre désormais des précautions.

“C’était marqué le jour où mon père pouvait nous violer”, pointe Betty qui fuit cette réalité en faisant des fugues.

Et à chaque fois que son père sent qu’il va se faire prendre, ils déménagent jusqu’à leur arrivée à Cuise-la-Motte, dans l’Oise, à quelques kilomètres de Compiègne.

Une maison recluse dans la forêt et perchée sur une colline.

“Je n’ai jamais vu mes parents aussi heureux. […] On était bien caché et sans voisin”, se rappelle-t-elle.

Nouvelle maison, nouvel enfer

La propriété isarienne est constituée d’une maison en forme de U et d’un chalet. Les deux fils ont été mis dans le chalet en totale indépendance

Betty explique qu’elle ne les verra presque plus.

Quant à la maison, elle a été divisée en deux. Une partie est investie par Laurence, Betty et le cinquième enfant. L’autre est réservé pour Virginie et Denis.

“Mon père était cinglé et obsédé par Virginie. Il ne fallait pas y toucher ou dire quoi que ce soit sur elle. Il nous l’a enlevée. C’était devenu sa chose”, explique Betty.

L’aînée s’était résignée à cette vie, car elle n’avait, selon sa cadette, “jamais connu autre chose”.

L’ex-cadre commercial et la mère au foyer feront moins de deux ans de détention provisoire et seront jugés deux fois : une fois en 2011, puis en appel en 2012 à Amiens.

Pendant ce procès à huis clos, Betty revient sur ses témoignages et retire sa plainte afin d’aider sa sœur Virginie à ne pas perdre la garde de son fils né de l’inceste.

Durant l’audience, les avocats de Denis Mannechez, Hubert Delarue et Franck Berton, ainsi que ceux de la partie civile, avec Eric Dupond-Moretti, auraient travaillé conjointement pour trouver une issue favorable pour la famille, selon Betty.

Ils auraient plaidé ensemble qu’il s’agissait d’un “inceste heureux et consenti”

La cour d’assises avait condamné Denis Mannechez à cinq ans de prison, dont trois avec sursis, couvrant sa période de détention provisoire.

Il sort donc libre.

Virginie et Denis ont ainsi pu se retrouver et vivre en concubinage près de dix ans avec leur petit garçon.

Mais de son propre chef, en septembre 2014, Virginie Mannechez a quitté son père, emporté son fils et effacé ses traces pour le fuir.

“Il lui a foutu une balle dans la tempe et une dans son épaule”

Mais Denis Mannechez, toujours obsédé, la recherche. De son côté, Ninie, comme la surnomme Betty, sera hébergée, avec son fils, quelques jours par son patron garagiste dans l’Eure en Normandie.

“D’après ce que j’ai appris par la suite, Denis se travestissait et se nourrissait dans sa voiture. Il la surveillait constamment et la suivait partout. Et il l’avait déjà retrouvée une fois”, explique Betty.

Prise par la peur, Virginie décide d’aller avertir la gendarmerie de Gisors, mais il est trop tard.

Dans une colère noire, Denis Mannechez la retrouve dans le garage le 7 octobre 2014.

Sur les coups de 19h, il ouvre le feu sur son patron, puis sur Virginie, qui succombe à ses blessures alors qu’elle conduit la dépanneuse.

“Il lui a foutu une balle dans la tempe et une dans son épaule où elle avait fait le tatouage de leur relation”, témoigne Betty les yeux embués de larmes.

Quatre ans après le drame, en décembre 2018, Denis Mannechez sera condamné à perpétuité pour ce double assassinat, mais il mourra quelques jours plus tard à la prison de Fresnes, dans le Val-de-Marne.

“On a tout perdu en fait. Pas de liberté, pas de sécurité, pas de liens, pas de famille reconstruite, pas de vrais coupables punis, une femme morte, un enfant qui n’a plus de parents, et puis des adultes brouillons que nous sommes aujourd’hui”, pleure Betty.

Un ouvrage, des lecteurs et un pas en avant

En 2021, Betty Mannechez décide d’écrire un livre sur son récit.

“Ça m’a fait énormément de bien, notamment de remettre ma sœur à sa place et d’avoir aussi le regard des gens, porteur d’amour”, avoue-t-elle.

Les retours de ses lecteurs lui réchauffent le cœur et la guérissent.

“Aujourd’hui, mon sourire, je le dois à mes lecteurs, mais je le dois aussi à mes enfants. Je les aime tous et ils font toujours partie de nos vies, et celle de Virginie surtout”, sourit Betty en regardant désormais vers l’avant.

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