Thyez | Yanis se tue après la remise en liberté de son agresseur sexuel

non

3 condamnations pour des faits similaires et la justice le relache
Yanis, adolescent haut-savoyard, s’est suicidé le 30 mars dernier après avoir appris la remise en liberté de l’homme qui l’avait agressé sexuellement lorsqu’il avait 12 ans. Sa famille, sous le choc, déplore un manque d’informations et d’accompagnement.

Ce jeudi 13 février 2025, Farid annonce à son fils que l’homme qui l’a agressé sexuellement lorsqu’il avait 12 ans est sorti de prison.

Et cette réponse de Yanis, il a du mal à y croire pleinement.

“Alors, je n’insiste pas, mais je lui dis que nous, sa famille, on est là pour lui s’il a besoin”, précise le père.

Ce jour-là, Yanis bricolait une vieille Audi A3 sur le parking de leur immeuble, à Thyez (Haute-Savoie).

Une voiture qu’il rêvait de conduire le jour de sa majorité, le mercredi 2 avril.

Date à laquelle il n’a pas soufflé ses 18 bougies : l’adolescent est mort trois jours plus tôt, le dimanche 30 mars.

“Il s’est tué”, déclare sans détour Sarah, l’une de ses grandes sœurs.

C’est elle qui l’a retrouvé inconscient au petit matin, avant qu’il ne décède dans une ambulance quelques heures plus tard.

Les analyses sont claires : c’est un suicide.

Une lettre écrite par le jeune homme sur son téléphone portable le confirme.

France 3 Alpes a pu la consulter.

Yanis y explique les raisons de son geste.

Il y met en avant “la remise en liberté de son agresseur.

Un homme déjà condamné

L’agresseur de Yanis est sorti de prison au début du mois de février.

Il a bénéficié d’un aménagement de peine après avoir manifesté un “bon comportement” en détention.

À l’issue du procès, le 12 octobre 2023 au tribunal de Bonneville, l’homme avait été déclaré coupable d’agression sexuelle et écopé de cinq ans de prison ferme et de 15 ans de suivi socio-judiciaire.

Il avait déjà effectué précédemment un an de détention provisoire.

Depuis sa remise en liberté, le condamné est sous bracelet électronique et a des horaires de sorties autorisées, encadrées par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).

C’est ainsi qu’il va purger le restant de sa peine.

L’homme a aussi une obligation de suivi psychologique qu’il doit justifier auprès du SPIP et du juge d’application des peines (JAP).

Cet homme, c’est l’ancien voisin de Yanis et sa famille.

“On s’entendait très bien avec lui. Il jouait avec les enfants…”, raconte Farid.

Melissa, l’aînée de la fratrie, le coupe : “Il était même là à mes 18 ans.”

Au moment où nous les rencontrons, ils viennent d’enterrer leur fils, leur frère.

La famille raconte son histoire d’un ton calme, mais les visages sont fermés et les regards tristes.

“Pourquoi, quand nous avons emménagé, personne ne nous a informés que nous nous installions en face d’un pédocriminel ?”, interroge le père, en boucle.

Avant l’agression sexuelle de Yanis, l’homme avait déjà été condamné pour des faits similaires, en 2007 et en 2014.

La famille s’attendait à cette remise en liberté anticipée de l’agresseur de Yanis.

Leur avocate les avait prévenus de cette possibilité.

Toutefois, ils déplorent de ne pas en avoir été informés en amont.

“Je l’ai appris par inadvertance, en discutant avec une connaissance qui l’a croisé. Ça a été un choc”, raconte Farid.

Il poursuit : “Oui, j’ai pris la décision d’en parler à Yanis dans la foulée. Je savais que ça lui ferait du mal, mais je préférais qu’il l’apprenne de ma bouche plutôt qu’en le croisant dans la rue.”

Bien que l’homme ait l’interdiction d’entrer en contact avec l’adolescent, aucune contrainte de périmètre ne lui a été imposée.

Il s’est donc réinstallé dans son ancien logement, situé dans la commune voisine de celle où la famille a déménagé après son arrestation en 2022.

“La peur de le croiser, la peur de ce qu’il fera aux autres. (…) Je suis dévasté et profondément blessé, mais comme on m’a de nombreuses fois dit ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, alors de cette faiblesse, j’espère en tirer une certaine force, même si pour l’instant, le doute et la peur sont bien trop présents”, écrivait Yanis dans une story Instagram publiée le dimanche 16 février, trois jours après avoir appris la sortie de prison de celui que ses parents appellent “son bourreau”.

“Yanis était capable d’entendre que l’on fasse sortir son agresseur à la moitié de sa peine. Et c’est déjà très dur à entendre. Mais qu’on le fasse sortir sans même l’en informer et sans avoir une seule attention envers lui, cela lui a été insupportable”, déplore Steffy Alexandrian, fondatrice et présidente de l’association Carl qui accompagne les enfants victimes de violences sexuelles et intrafamiliales.

Elle était très proche de Yanis.

C’est à elle que l’adolescent s’est livré pour la première fois.

En septembre 2022, il lui avait lancé un appel à l’aide via le formulaire de contact de l’association et en message privé sur Instagram.

“Je vous écris ce message pour parler. Cela fait déjà trois ans, trois ans que je survis, que je souffre, que je me tais”, lui avait écrit le jeune garçon, alors âgé de 15 ans.

Yanis n’a jamais cessé de se confier à Steffy Alexandrian.

“C’était un garçon drôle, gentil et délicat”, assure la bénévole, qui soutient désormais les parents “dans l’après”.

Elle a notamment lancé une cagnotte pour couvrir les frais liés aux obsèques de Yanis et financer les vacances d’été des enfants accompagnés par l’association Carl.

Quel accompagnement pour la sortie de prison ?

Pourquoi la famille n’a-t-elle pas été informée de la remise en liberté de l’agresseur de Yanis ?

Rien n’oblige les institutions judiciaires à le faire, indique le procureur de la République de Bonneville, Boris Duffau.

Cependant, il assure que le juge d’application des peines (JAP) de Bonneville tient à prévenir systématiquement les victimes dès lors qu’il s’agit d’infractions de nature sexuelle.

“Normalement, les parents de Yanis ont donc été destinataires d’un courrier les informant de la sortie de détention de l’agresseur et des mesures mises en place”, assure le procureur, qui dit avoir une copie de la lettre en question sous les yeux au moment où nous échangeons avec lui au téléphone.

Le courrier aurait été envoyé au domicile de la famille, à Thyez, sans recommandé “parce que ce n’est pas obligatoire”, souligne le magistrat, qui a refusé de nous montrer le document.

Il ajoute : “Est-ce qu’il a été reçu ? Ça, je ne sais pas.”

“Non, on ne l’a pas reçu”, répondent fermement les parents.

“Le parquet est bien évidemment sensible à la situation”, assure également Boris Duffau, tout en ajoutant que “les circonstances du suicide [de Yanis] sont dramatiques”. Mais pour le procureur, la justice a fait son travail dans le cadre de ce que l’application de la loi permet.

Il interroge toutefois : “Est-ce qu’il faudrait un accompagnement plus important ou autre ? Ça, je ne sais pas…”

Jointe par téléphone, Dominique*, une des personnes mandatées pour faire un bilan sur la situation du condamné avant sa sortie de prison informe avoir alerté sur le comportement “interpellant” de cet homme lorsqu’il était encore en détention.

“Je l’ai rencontré à plusieurs reprises et il était en boucle sur Yanis. Pour lui, c’était une histoire d’amour et le jeune garçon avait été consentant”, rapporte-t-elle en qualifiant l’agresseur d’”enfant dans un corps d’adulte”.

Pour Dominique, ce discours était problématique : “C’est déjà ce qu’il disait lors du procès. Donc, ce qu’il me confiait montrait qu’il n’avait pas évolué depuis. C’est pourquoi j’ai émis une alerte dans mon bilan, mais ça n’a pas été pris en compte.”

Elle estime que les paroles de l’agresseur de Yanis étaient celles d’un homme capable de récidiver.

“C’était la troisième fois qu’il était condamné pour agression sexuelle. Mais on aménage sa peine et on le laisse aller s’installer à proximité de la victime…”, déplore-t-elle.

Vers une loi “Yaya” ?

Pour Steffy Alexandrian, l’histoire de Yanis ne doit pas s’arrêter là.

La présidente de l’association Carl, également juriste en droit de la protection de l’enfance, informe qu’une fois le temps du deuil passé, elle se rapprochera de parlementaires avec l’objectif de faire passer “une loi Yaya”, en hommage au surnom donné à l’adolescent.

“Cela pour que tous les mineurs victimes d’infractions sexuelles soient systématiquement prévenus avant la sortie de prison de leur agresseur”, détaille-t-elle.

En effet, que la famille de l’adolescent ait ou non reçu la lettre du JAP de Bonneville, le fait est qu’aucune législation n’oblige la justice à le faire.

Pour l’heure, en France, seules les personnes victimes de violences conjugales ont nécessairement cette information : selon un décret du 24 décembre 2021, l’autorité judiciaire doit aviser la victime de la sortie de détention du conjoint violent, qu’il soit en attente de jugement ou déjà condamné.

Elle doit aussi “prévoir expressément” de “s’interroger sur la nécessité” de mesures de surveillance pour le conjoint et de protection pour la victime.

“Avec l’association Carl, on veut la même chose pour les mineurs victimes d’infractions sexuelles”, appuie Steffy Alexandrian.

À noter que, selon l’UNICEF, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle toutes les trois minutes en France.

* Prénom d’emprunt à la demande de l’intéressé qui souhaite garder l’anonymat

Source(s):