Paris | Gérard Miller le psychanalyste star du PAF accusé de viols

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Silence radio du côté de ses collaborateurs de plateau et de ses amis LFIstes
Le psychanalyste star du PAF, 76 ans, est accusé de viols et d’agressions sexuelles par plusieurs dizaines de femmes. Des faits qu’il réfute, alors que l’enquête minutieuse des journalistes Alice Augustin et Cécile Ollivier tend à démontrer un système de prédation bien rodé.

Un coup de fil, en décembre 2023.

Journaliste au magazine Elle, Alice Augustin reçoit l’appel d’une femme souhaitant l’alerter sur Gérard Miller, le psychanalyste qui a eu son rond de serviette dans les émissions audiovisuelles de Laurent Ruquier.

Un homme cultivé et charismatique, doté du sens de la repartie, politiquement engagé à gauche, admiré par des hordes d’étudiants à l’université Paris-8, où il a enseigné.

Un père de famille de six enfants, nés de deux unions différentes. Il serait aussi « un prédateur », selon cette femme, qui l’accuse d’avoir « essayé de l’hypnotiser » quand elle était « toute jeune ».

« Je sais qu’il l’a fait à une fille que je connaissais à l’époque, ajoute-t-elle. Et figurez-vous qu’hier, une autre amie m’a fait comprendre qu’elle avait eu aussi affaire à lui, avec de l’hypnose. »

C’est le point de départ d’une investigation qui, dans la mouvance de #MeToo, va faire écho aux affaires Matzneff, Depardieu, Jacquot, Doillon et Ruggia, et libérer la parole de celles qui se disent victimes de Miller.

À ce jour, elles seraient plus d’une dizaine à avoir déposé plainte pour viol et près d’une trentaine à relater des agressions sexuelles, des faits qui auraient été commis entre 1988 et 2020 et que réfute en bloc le psychanalyste, présumé innocent.

Alors que la justice a ouvert une enquête, toujours en cours, les grands reporters Alice Augustin et Cécile Ollivier décrivent, dans « Anatomie d’une prédation (https://www.babelio.com/livres/Ollivier-Anatomie-dune-predation/1780151) », paru le 10 avril chez Robert Laffont, un scénario de séduction et de manipulation bien rodé.

Qui est vraiment Gérard Miller, le psy vedette de la « bande à Ruquier », starisé par la télévision, engagé aux côtés de la France insoumise (LFI) et de Jean-Luc Mélenchon en 2017 ?

CÉCILE OLLIVIER.

Tout le monde le décrit comme extrêmement brillant, affable, cultivé et prévenant, car il fait preuve de courtoisie, même auprès de ses victimes présumées.

Mais il se sert de son intelligence et de sa finesse d’esprit pour aborder des jeunes filles fragiles, souvent issues de milieux modestes, et les inviter chez lui. Psychanalyste, il sait ce qu’est la manipulation mentale, il en connaît les ressorts.

De nombreuses femmes disent s’être prêtées à une séance d’hypnose ou de relaxation, pendant lesquelles elles auraient perdu leurs capacités de discernement et de réaction, et il en aurait profité pour les agresser sexuellement ou les violer.

Comme prise au piège, l’une d’elles nous raconte qu’elle se serait sentie telle la grenouille plongée dans l’eau froide, qui ne se rend pas compte que l’eau chauffe petit à petit, jusqu’à l’ébouillanter.

Vous avez interviewé plusieurs dizaines de femmes qui, toutes, décrivent la même approche, parfois au mot près…

ALICE AUGUSTIN.

Oui, cela nous a surprises, car elles ne se connaissent pas.

On a ainsi découvert un scénario bien rodé, qui commence par une forme de séduction sur les plateaux de tournage ou à la fac.

Il glane des numéros de téléphone, courtise ces jeunes filles, qui ont entre 14 et 22 ans, en les invitant à dîner, en les emmenant voir un spectacle, en échangeant avec elles sur leurs devoirs.

Il repère ses proies et leurs failles : il les interroge sur leur père, leur famille, leur histoire. Il les flatte et gagne leur confiance.

CÉCILE OLLIVIER.

Surtout qu’il présente tous les attributs de la puissance : sa famille est riche, son frère a épousé une des filles de Jacques Lacan, qui a créé le département de psychanalyse à l’université Paris-8 et dont les Miller sont les disciples, et, entre 2000 et 2007, il passe à la télé tous les jours de la semaine !

Il jouit d’une aura incroyable, renforcée par son image de progressiste et féministe — il est ami avec Isabelle Alonso et Laure Adler.

Les victimes présumées ne tombent pas sous son charme, en ce qu’elles n’envisagent pas d’avoir une relation intime avec lui, mais elles sont impressionnées et, à leur âge, particulièrement vulnérables.

Il leur fait le coup de l’épate en les emmenant dans son hôtel particulier du XIe arrondissement.

Il les invite à visiter sa salle de cinéma et son bar privé au sous-sol, son cabinet au rez-de-chaussée, décoré de portraits de Mao, et sa pièce « japonaise », équipée de tatamis, baignée d’une lumière rouge feutrée.

C’est là que se seraient déroulées la plupart des agressions sexuelles, après qu’il les aurait invitées à s’allonger et à se déshabiller.

« On n’avait pas encore pris la mesure de cette passion française pour les lolitas, dans laquelle semble aussi s’inscrire Gérard Miller »
Alice Augustin

Et, après cela, coupe-t-il les ponts ?

CÉCILE OLLIVIER.

Non, il maintient le lien, surtout pour entretenir le doute chez sa victime présumée.

ALICE AUGUSTIN.

C’est la méthode du « gaslighting », qui consiste à créer un brouillard émotionnel afin que les femmes ne puissent pas mettre de mots sur le traumatisme qu’elles ont vécu.

Si l’agresseur fait preuve de politesse et de prévenance, s’il leur paie un taxi pour rentrer chez elle et prend de leurs nouvelles dans les jours qui suivent, il n’a pas le visage commun d’un agresseur.

Les plaignantes disent avoir été déboussolées, alors elles se sont tues, longtemps.

Elles se sont enfermées dans un sentiment de honte et de culpabilité, faute d’avoir su, ou pu, lui dire non.

L’un de ses principaux lieux de rencontre aurait été les plateaux de télévision, où fourmillaient des dizaines de techniciens et de chroniqueurs. N’ont-ils vraiment rien remarqué ?

CÉCILE OLLIVIER.

Les techniciens et les assistantes de production qui ont accepté de nous parler disent avoir repéré ce qu’ils appellent « son manège ».

Ils le voyaient discuter avec les jeunes filles au premier rang du public, avant l’émission ou pendant la pause.

En régie, ils entendaient ses conversations aguicheuses. Mais c’était un sujet de raillerie parce que Gérard Miller leur faisait penser au personnage de Michel Blanc dans « les Bronzés », un Don Juan un peu ridicule.

Quant aux chroniqueurs qui entouraient Laurent Ruquier, la plupart n’ont pas souhaité nous répondre.

Les autres — Bruno Masure, Alain Sachs, dont la fille aurait été agressée sexuellement par Gérard Miller, Isabelle Mergault et Isabelle Alonso — avouent tous être « tombés de l’armoire » quand ils ont eu connaissance des faits qui lui sont reprochés.

Je pense qu’ils sont sincères quand ils disent qu’ils n’ont rien vu, mais c’était sous leurs yeux !

ALICE AUGUSTIN.

C’était une autre époque. Le mouvement #MeToo n’avait pas encore révélé les déviances de l’écrivain Gabriel Matzneff ou du cinéaste Benoît Jacquot, qui ont exercé leur emprise sur des adolescentes avec lesquelles ils ont entretenu une relation intime.

On n’avait pas encore pris la mesure de cette passion française pour les lolitas, dans laquelle semble aussi s’inscrire Gérard Miller.

La société d’alors était permissive et complaisante envers ces hommes mûrs qui, sous couvert de drague, abusaient de la jeunesse et de la fragilité des jeunes filles.

Votre enquête déborde du cadre de la télévision et révèle que Gérard Miller aurait eu ces comportements à la fac mais aussi dans sa sphère privée…

ALICE AUGUSTIN.

À Paris-8, où il dirigeait le département de psychanalyse, il était aussi admiré.

Il demandait régulièrement à certaines étudiantes — jamais des étudiants — de rester après son cours, au prétexte d’une idée à développer, et il lançait des hameçons, les invitant à venir chez lui.

Il a aussi tenté sa chance lors de tournages de films, notamment auprès d’Anna Mouglalis et de Marianne Denicourt, qui en parle pour la première fois.

Et il aurait violé la petite amie de son beau-fils, Narjess, lors d’une séance d’hypnose au Club Med, en Tunisie. Elle a porté plainte.

La professeure de piano de ses enfants et une amie de la sœur d’Anaïs Feuillette, son actuelle compagne avec qui il a deux enfants, feraient également partie de ses victimes.

Plus le temps passe et plus le nombre de plaignantes augmente.

« Chez LFI et, plus largement, au sein de la gauche, on nous a opposé un silence gêné. »
Cécile Ollivier

Militant d’extrême gauche, Gérard Miller s’est affiché lors de la campagne présidentielle 2017 aux côtés de Jean-Luc Mélenchon. Comment ce dernier a-t-il réagi ?

CÉCILE OLLIVIER.

Son attaché de presse nous a dit que ça ne servait à rien de lui envoyer nos questions.

Chez LFI et, plus largement, au sein de la gauche, on nous a opposé un silence gêné.

Raquel Garrido, qui est une amie très proche, a refusé de s’exprimer. Son époux, Alexis Corbière, l’a fait du bout des lèvres.

ALICE AUGUSTIN.

La députée Sarah Legrain, à la tête du comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de LFI, a assisté au procès des viols de Mazan, comme à celui de Gérard Depardieu.

Elle s’est exprimée sur ces deux affaires mais, quand on la questionne sur Gérard Miller, elle évacue le sujet, invoquant le fait qu’il n’était pas militant adhérent.

Au terme de votre enquête, que répond Gérard Miller, toujours présumé innocent ?

CÉCILE OLLIVIER.

Il reconnaît une forme d’asymétrie de pouvoir dans les relations qu’il a eues avec ces femmes, compte tenu de son âge et de son statut social, mais il réfute toute allégation de viol ou d’agression sexuelle.

Même s’il dit comprendre le ressenti de ses victimes présumées, il martèle qu’il n’a jamais forcé le consentement de quiconque.

 

« Anatomie d’une prédation », d’Alice Augustin et Cécile Ollivier, Éd. Robert Laffont, 216 pages, 19 euros.


 

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