France | Le scandale des mineurs placés dans les foyers de l’ASE et prostitués

oui

Pédocriminel En liberté

Dossier du journal Le Parisien publié ce 24 septembre 2024
Mais selon Hélène David, responsable du pôle « ado sexo » de l’association Agir contre la prostitution des enfants, il serait faux et illusoire de penser que l’exploitation sexuelle des mineurs ne menace que les enfants vulnérables de l’Aide sociale à l’enfance. 

L’Aide sociale à l’enfance est devenue un réservoir pour les réseaux de prostitution de mineurs. Une inégalité des chances au carré

L’édito d’Olivier Auguste, directeur adjoint des rédactions du Parisien-Aujourd’hui en France.

Qui trouve-t-on dans les foyers de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ? Des garçons et des filles orphelins et sans autre famille pour les accueillir. Des garçons et des filles nés de parents inconnus ou abandonnés ensuite. Et, le plus souvent, des garçons et des filles dont le père ou la mère ont été, partiellement ou totalement, temporairement ou définitivement, privés de leur autorité parentale, au « mieux » parce qu’incapables — d’un point de vue matériel, intellectuel, affectif… — d’élever leurs enfants, au pire parce que maltraitants.

Or l’ASE, comme le montre le dossier que nous publions aujourd’hui, est devenue un réservoir pour les réseaux de prostitution de mineurs. Pour les adolescents concernés (en réalité, les adolescentes, dans l’immense majorité des cas), c’est ajouter du malheur au malheur.

Tolérer une inégalité des chances au carré. Un scandale qui doit nous révolter tous, à commencer par les présidents de conseil départemental, en charge de l’ASE.

Cela se produira-t-il ? Comme la santé mentale, dont le Premier ministre, Michel Barnier, souhaite faire la grande cause nationale 2025, l’Aide sociale à l’enfance fait partie des sujets sur lesquels il est difficile de mobiliser.

Collectivement, nous avons tendance à détourner le regard, à vouloir croire que « cela n’arrive qu’aux autres », comme pour conjurer un mauvais sort. Un déni qui tourne à l’apathie envers ces jeunes. Comme un deuxième abandon, par la société tout entière

En France, 15 000 mineurs de l’aide sociale à l’enfance, censés être protégés par l’État, seraient victimes de prostitution

Les éducateurs se disent impuissants. En crise, le secteur de la protection de l’enfance appelle à la mobilisation nationale, le 25 septembre.

Robin (le prénom a été changé) sent le danger. « Ça rôde », dit-il, mains ouvertes. À tout moment, un proxénète peut lui enlever une de « ses gamines ». Des filles fragiles, fracassées par la vie, proie idéale d’un « petit copain », grand du quartier ou prédateur en ligne.

Alors, dans ce foyer de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) d’Île-de-France, l’éducateur ne les lâche pas. Surveille leurs fréquentations. Dort sur place. En ce moment, Alya (le prénom a été changé), ado perdue en quête d’amour, l’inquiète. Le soir, dans sa chambre, elle discute sur les réseaux sociaux avec un homme au profil douteux.

« Je lui dis : Attention, il va te prostituer dans un Airbnb ! »

Rien n’y fait. Pour la protéger, décision a été prise de l’envoyer quelque temps en province.

Voilà pour Alya. Et les autres ?

« Malheureusement, certains éducateurs ne s’intéressent pas à eux, regrette Robin. Quand l’un fugue, ils n’essaient même pas de l’appeler ! Ils font une déclaration à la police et basta. Tous sont débordés, en burn-out ! »

En France, 15 000 des 20 000 mineurs prostitués seraient suivis par l’ASE. Un chiffre noir, établi par le professeur en psychologie Aziz Essadek. Mais ce scandale ne fait guère de bruit. Ou alors, il n’est pas entendu.

Une mère, Dorine (le prénom a été changé), crie aujourd’hui sa détresse dans Le Parisien :

« Où est ma fille ? »

Clara (le prénom a été changé), 17 ans, tombée entre les mains d’un réseau de prostitution, a disparu de son foyer depuis février. Aujourd’hui, on perd donc la trace d’enfants censés être protégés par l’institution.

Un secteur sinistré

Comment est-ce possible ?

« Les départements sont exsangues. On n’arrive plus à faire face à la hausse du nombre des jeunes placés », nous confie, sous anonymat, un cadre de la protection de l’enfance.

Leur nombre — 208 000 en 2022 — pousse le système déjà fragile au bord du gouffre. L’enveloppe budgétaire des départements — près de 10 milliards d’euros chaque année — ne suffit pas.

En 2023, il a fallu revoir les ambitions à la baisse, la faute à la chute du marché immobilier dont une partie des taxes est reversée aux départements.

« On devait ouvrir des places, renforcer le soutien psychologique… Tout vient d’être reporté », se désole le cadre.

Pour la première fois, le secteur de la protection de l’enfance appelle à manifester contre ces prises en charges « indignes » mercredi 25 septembre.

Manque de moyens, manque de bras… La profession n’attire pas. Trop dur, trop lourd.

« À défaut d’éducateurs, on embauche des personnes sans diplôme », reconnaît le responsable.

« Certains ne signalent même pas des faits de prostitution ! » s’insurge Héma Sibi, porte-parole du Mouvement du nid, association de soutien aux victimes.

Ce n’est pas le seul dysfonctionnement. Une commission d’enquête parlementaire sur l’ex-Ddass est d’ailleurs en cours

Les proxénètes abordent les ados en ligne

Comment surveiller ces enfants sur un fil lorsque, faute de place, ils sont hébergés à l’hôtel ? ballottés d’un foyer à l’autre ?

« C’est presque impossible, lâche Thomas Willot, ex-éducateur et porte-parole du syndicat Sud dans le Nord. Même sans ces dysfonctionnements, on n’a pas les moyens de lutter contre des réseaux organisés. Des proxénètes rôdent devant les foyers. Des jeunes prostituées placées en recrutent d’autres. Les éducateurs sont désemparés. »

Il n’a pas oublié ces moments de détresse lorsqu’il s’apercevait le soir qu’un lit était vide. Une gamine avait fugué et seule la prostitution l’attendait. « Put… que c’était dur ! »

À son retour, le lendemain, l’une lui avait confié : « Je ne mérite que ça… » Surtout ne pas la braquer, garder le lien, lui répéter qu’ici, on l’aime.

« Ces jeunes vont si mal. Ils se sentent condamnés. La prostitution, c’est une forme de suicide social. »

Quête d’amour, traumas, parents défaillants… Cette grande fragilité, les prédateurs en profitent. Pour protéger ces enfants, il faudrait une forteresse. Elle n’existe pas. 

Au-delà de l’ASE, le fléau de l’exploitation sexuelle des ados explose. Entre 2016 et 2020, le nombre d’affaires de prostitution sur mineurs a bondi de +68%.

« On ne peut pas juste pointer les foyers, explique Héma Sibi. Aujourd’hui, ce phénomène a pris énormément d’ampleur dans les banlieues, les petites villes et les campagnes via les réseaux sociaux. »

Les proxénètes « abordent » en ligne des jeunes vulnérables et les exploitent sur des sites « d’escorting », où il suffit de quelques minutes pour tomber sur des images glaçantes, visages de collégiennes en sous-vêtements. Les clients leur attribuent même des notes

Contacté, le ministère sortant en charge de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles n’a pas souhaité réagir.

Il serait faux et illusoire de penser que l’exploitation sexuelle des mineurs ne menace que les ados fragiles de l’Aide sociale à l’enfance

« Aujourd’hui, n’importe quel enfant peut être exploité sexuellement ! »

Hélène David, responsable à l’association Agir contre la prostitution des enfants, alerte sur l’ampleur prise par ce phénomène. Et les victimes sont de plus en plus jeunes. Certaines ont aujourd’hui 12 ans.

Que constatez-vous ?

HÉLÈNE DAVID.

Que la prostitution, ou l’exploitation sexuelle, des mineurs explose en France depuis 2021-2022. Le Covid a été un accélérateur. D’un côté, les jeunes, en quête d’amour, de lien, d’amis, ont passé un temps fou sur les réseaux sociaux. Certains se sont même inscrits sur des sites de rencontre. De l’autre, les « clients » se sont mis à « chasser » en ligne. Ils se sont dit : plus besoin d’aller à l’autre bout du monde pour obtenir un acte sexuel tarifé auprès de très jeunes filles. Les proxénètes, aussi, ont investi le Web. Quand ils tombent sur le profil d’une adolescente qui se met en scène, ils la contactent, la valorisent, lui font miroiter une vie de luxe. Et le piège se referme. Les réseaux sociaux sont une jungle et les victimes — filles ou garçons —, parfois très jeunes.

Quel âge ont-ils en moyenne ?

La majorité a autour de 15 ans. Mais cette année, la proportion des ados de 13 ans, même 12 ans, augmente ! Ce qui est révoltant, c’est la « décomplexion » totale des « clients ». Ils osent dire « elle aime ça », « elle adore le fric », « je pensais qu’elle avait 19 ans », alors qu’elle a un visage de bébé. Je parle là d’hommes de 25-30 ans, parfois mariés, qui rejettent la culpabilité sur l’enfant.

Les victimes sont-elles toujours en situation de vulnérabilité ?

Certaines ont subi des agressions sexuelles, de la maltraitance, du harcèlement. Mais croire que seuls les mineurs de l’ASE sont concernés est totalement faux. On n’en est plus là. Nous faisons face à un problème de société bien plus vaste. Aujourd’hui, n’importe quel enfant peut être exploité sexuellement ! Peu importe le niveau social, si les ados ont accès à Internet sur leur téléphone, qu’on ne leur apprend pas à s’en servir, que le contrôle parental n’est pas suffisant, il est extrêmement facile de les manipuler. À 13-15 ans, période de construction, ils cherchent à être intégrés, aimés, admirés. Les réseaux de prostitution le savent parfaitement. Parfois, ils les recrutent en moins de 24 heures.

« Je vois des enfants complètement détruits. L’une d’elles m’a dit : Je suis une merde au fond d’une poubelle. »

De quelle façon ?

Il arrive qu’une fille en 6e ou 5e propose à une copine d’aller à une fête. Sur place, alcool, cannabis, gaz hilarant lui sont offerts. Elle ne le sait pas mais cette soirée est un guet-apens. Elle est violée sous soumission chimique par un ou plusieurs hommes. Dès lors, ils ne la considèrent plus comme humaine, c’est un objet. Le lendemain, ils poursuivent la manipulation en lui répétant : « T’es une pute, c’est toi qui voulais. » Elle intègre alors qu’elle n’est plus rien. Ses proxénètes l’obligent à recruter deux à trois autres filles. Elle leur propose ces soirées, et les suivantes se retrouvent à leur tour brisées. Une mère qui vit en province vient de me dire qu’elle cherchait sa fille. Elle a été emmenée par une « copine » en Seine-Saint-Denis. Où est-elle ? La maman compte faire le tour des hôtels pour la trouver.

Comment expliquer que l’exploitation sexuelle des ados soit devenue si courante ?

La pornographie biaise totalement l’idée que les jeunes ont de la sexualité. Pour eux, le premier rapport doit être comme dans les films X. Les adolescentes voient des actrices qui ont l’air d’être au septième ciel à l’écran. Certaines se disent naïvement qu’elles peuvent se faire de « l’argent facile » et s’inscrivent sur des sites d’escort. Elles n’ont jamais eu de relation sexuelle et n’imaginent pas la souffrance qu’occasionne cette activité. Quand elles le découvrent, il est trop tard.

Que vous disent les victimes que vous rencontrez

Je vois des enfants complètement détruits. L’une d’elles m’a dit : « Je suis une merde au fond d’une poubelle. » Ça prend aux tripes. Leurs traumatismes sont tellement profonds qu’il est très long de les guérir. On implique toujours la famille. C’est indispensable. On travaille d’abord sur l’estime de soi pour les valoriser et leur faire comprendre qu’elles sont dignes d’être aimées. On leur donne envie de vivre. Puis nous leur trouvons des activités : équithérapie, boxe, atelier photo… Mais ce n’est qu’un premier travail, nous ne sommes pas psychiatres. Le problème, c’est qu’il faut attendre trois ans pour avoir une place dans un centre médico-psychologique. La France n’en est qu’au tout début de la prise en charge spécialisée des mineurs prostitués. Il y a urgence.

 

Témoignage :  Elle a rapporté 17 000 euros à son mac : placée en foyer, sa fille de 17 ans est victime de prostitution

Dorine, 38 ans, n’a plus vu sa fille depuis le mois de février. L’adolescente a fugué après avoir été placée dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de l’Oise, et est tombée dans un réseau de prostitution dont elle n’est, selon sa mère, toujours pas sortie.

Dorine (tous les prénoms ont été changés) pensait sa fille en sécurité. Mais Clara, 17 ans, entrée dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de l’Oise en janvier 2023, a peu à peu plongé dans la prostitution.

« Nous avons vécu de durs moments, cela l’a détruite, relate sa maman. Elle a eu besoin de s’éloigner et a voulu vivre en foyer. »

« Ma fille a été violée en 2020 en rentrant de l’école, puis, en 2022, son père est mort d’une grave maladie, relate cette habitante de l’Oise. Elle était incontrôlable, voulait s’autodétruire, mentait, a eu de mauvaises fréquentations qu’elle ramenait à la maison. On a tenté une formation professionnelle et un internat… puis on a fait appel à l’ASE pour la protéger. »

Clara intègre à 15 ans le centre départemental de l’enfance et des familles (CDEF) de Senlis.

« Trois mois plus tard, elle était déscolarisée, soupire Dorine. Ils ont tout arrêté. En avril, on me dit qu’elle a disparu. Idem en octobre. Ma fille a été hospitalisée plusieurs fois, sans qu’on ne me prévienne. Je voyais une photo d’elle sur les réseaux avec un plâtre, des brûlures, des hématomes. Quand j’appelais, on me disait qu’elle tombait souvent dans l’escalier. »

Puis Dorine voit des photos de sa fille en petite tenue, avec des hommes.

« J’ai tout de suite pensé au pire. »

Quand elle la voit, Clara lui parle d’un homme « qui traîne devant le foyer », qui lui fait des cadeaux.

« Lors d’un rendez-vous chez le juge, je l’ai revue avant qu’elle ne disparaisse à nouveau, poursuit-elle. Depuis, j’ai été appelée plusieurs fois par des commissariats de banlieue parisienne qui m’ont parlé de possession de drogue, suspicion de prostitution… »

La mère de famille tente d’alerter le foyer, en vain, selon elle.

« Je suis aussi allée en gendarmerie avec ma fille, qui a été entendue, assure Dorine. L’ASE sait que ma fille est dans un réseau de prostitution mais n’a rien fait non plus. Comme elle fugue, elle n’est plus sous leur responsabilité, mais c’est parce qu’elle était là-bas qu’elle en est arrivée là. »

Depuis début 2024, par décision de justice, Clara est suivie par l’action éducative en milieu ouvert (AEMO). Une éducatrice la rencontre pour la conseiller et veiller sur elle, en tout cas lorsqu’elle arrive à la localiser. C’est elle qui a confirmé à Dorine l’intolérable vérité.

« Elle a un mac. Un B2 comme elle l’appelle, soupire sa mère. C’est lui qui lui prend ses rendez-vous via des sites Internet. Au début, les filles vont dans de grands hôtels, boivent du champagne. Puis, on leur loue des Airbnb et après, ça termine dans des caves. Clara se serait arrêtée juste avant ça. Elle aurait rapporté 17 000 euros à son mac. Une soirée avec elle pouvait valoir de 100 à 800 euros. »

Dorine a donc pris une avocate, Me Charlotte De Boislaville.

« Cette gamine tourne dans un réseau entre Paris, Creil (Oise) et Amiens (Somme), martèle la juriste. L’ASE a été clairement démissionnaire pour Clara. Je récupère trop de leurs enfants et ados devenus délinquants. Je dois aller au tribunal pour enfant au moins trois fois par semaine. »

Il y a délaissement d’enfant, mise en danger…

Concernant Clara, « sa mère a essayé de porter plainte contre l’ASE mais on le lui a déconseillé, donc je vais déposer une plainte auprès du procureur de la République de Compiègne en son nom. Il y a délaissement d’enfant, mise en danger, non-assistance à personne en danger… Les griefs sont nombreux ».

Le foyer visé serait réputé pour « être un nid à délinquants ».

« Cette fille n’est pas un cas isolé, d’autres sont tombées dans la prostitution ou le deal là-bas, confirme un travailleur social qui préfère rester anonyme. Dans ces foyers, les plus faibles ne tiennent pas longtemps ou deviennent parfois à leur tour délinquants. Certains enfants ont dû être éloignés de leurs parents jugés trop dangereux, donc ce ne sont pas ces adultes qui vont réagir. »

Un gendarme confirme cette triste réalité.

« On a plusieurs signalements pour des disparitions tous les mois venant de ce foyer. Il doit y avoir 80 fugues par an. On y trouve des mineurs en danger, de la violence, des agressions sexuelles, du deal, de la prostitution… Je ne jette pas la pierre aux éducateurs, ils font ce qu’ils peuvent, mais tous ces enfants sont mélangés et rien ne ressort de bon. »

On a tous les enfants que les autres ne veulent pas

« On a tous les enfants que les autres ne veulent pas, défend de son côté Sébastien Jeannest, directeur général des services au conseil départemental de l’Oise, qui a la responsabilité de l’ASE. Il n’y a pas assez de places dans les établissements de protection judiciaire de la jeunesse, pas assez de places en psychiatrie infantile, pas assez de places dans les instituts médico-éducatifs… »

Le responsable souligne que

« dans le lot, il y a des cas complexes, violents » et que « nos structures ne sont pas des prisons, ce sont des lieux ouverts ». Forcément, « les personnes mal intentionnées, comme des trafiquants de drogue, savent où aller pour trouver des jeunes vulnérables, corvéables, en rébellion. Ils viennent recruter aux portes des foyers. C’est comme ça partout en France, nous sommes démunis. Nous allons d’ailleurs faire un appel à projet sur la détection de prostitution en ASE car nous sommes conscients du problème ».

Pour sortir définitivement de cette spirale, Clara, toujours sous l’emprise de son proxénète et dont la localisation est aujourd’hui incertaine, doit désormais intégrer un nouveau foyer de vie, loin de l’Oise, spécialisé dans l’aide aux jeunes tombées dans des réseaux de prostitution.

« Son éducatrice m’a dit qu’elle est d’accord, et personne n’aura l’adresse, pas même moi, souffle Dorine. J’espère pouvoir un jour retrouver ma fille, la voir à nouveau sereine et joyeuse. »

Complément avec une archive du Parisien datant du 13 mai 2024

« Je pensais répondre à une personne majeure » :

sept clients de Mina, prostituée à 15 ans, jugés à Paris.

L’adolescente, séquestrée par ses proxénètes dans un appartement de la rue des Boulets, à Paris, avait appelé à l’aide plusieurs clients, qui n’avaient rien fait.

L’image est saisissante.

Sept hommes alignés à la barre du tribunal judiciaire de Paris. Tous les looks, tous les âges. Costumes, jean, chaussures de chantier. Ils ont entre 25 et 65 ans, sont juriste, électricien, infirmier, surveillant, chauffeur de personnalité, éducateur en formation. Tous ont sollicité les faveurs d’une prostituée, rue des Boulets, à Paris XIe, le 21 ou le 22 février 2022. Sur l’annonce, une jeune femme de « 19 ans sans tabou ». En réalité, dans le studio se trouvait Mina (son prénom a été modifié), 15 ans, séquestrée par des proxénètes filles… de 13 à 17 ans.

Huit clients en deux jours, 80 euros pour vingt minutes, 200 euros l’heure

« J’avais dit aux proxénètes que je voulais pas »,

dit la jeune fille, qui n’arrive plus à parler quand la présidente lui demande comment elle a vécu ces jours atroces. Silhouette fluette, jean, baskets et grand sweat à capuche noir, Mina a aujourd’hui 17 ans, mais quand on l’entend, on la dirait au collège. Les policiers ont pu la libérer après avoir vu une vidéo où on la voyait tabassée par ses proxénètes parce qu’elle avait tenté de s’enfuir.

Un premier procès a eu lieu devant le tribunal pour enfants de Paris, un autre suivra aux assises, et ce lundi, c’est l’heure des comptes pour ces sept hommes qui vivent à Paris, dans les Hauts-de-Seine ou le Val-d’Oise, jugés pour recours à la prostitution de mineurs et non-assistance à personne en danger.

« Je pensais répondre à une personne majeure », se défend le juriste,

premier interrogé et mal à l’aise à la barre. Son ADN a été retrouvé sur un préservatif.

« J’étais bien sur place mais je n’ai jamais vu la victime ».

Il pense que c’est une autre, « la numéro 6 » sur la planche photo, avec qui il a eu un rapport sexuel… Elle avait 13 ans, fait remarquer la présidente…

Plusieurs ont rebroussé chemin, comme l’électricien, qui

« prévoyait une petite passe avant de rentrer à la maison ». « Envoyer des SMS, ça fait passer le temps dans les bouchons », dit-il.

Il comprend aujourd’hui que même la seule sollicitation est passible de poursuites.

Mina reconnaît cinq prévenus sur sept.

« Je suis navré, moi, je ne la reconnais pas » rétorque l’infirmier, 65 ans, qui « ne pensait pas que les mineures de 15-17 ans étaient sur des sites de prostitution ». « Moralement, je sais que c’est pas bien. Je pense à ma famille, mes enfants… »

« Et vous pensez à la jeune femme ? »

« Non, je reconnais que je n’y pensais pas ».

Plus c’est trash, plus ça rapporte

La présidente fait remarquer que

« c’est comme les stups, ça continue tant qu’il y a des consommateurs, et plus c’est trash, plus ça rapporte ».

Elle demande à tous le regard qu’ils portent désormais sur la prostitution et la violence qu’il peut y avoir derrière.

« Avant, je voyais ça comme un échange de bons procédés, j’avais pas l’impression d’abuser d’une situation de faiblesse »

avance un quadra, poursuivi en outre pour non-assistance à personne en danger.

Car Mina, qui n’a jamais dit son âge, aurait demandé de l’aide à trois clients, ceux qui lui semblaient les « plus gentils », disant qu’elle était retenue de force. Elle s’est même enfuie dans la rue, en pleine nuit, réclamant de l’aide à un passant et un client. Personne n’a rien fait.

Une proxénète l’a fait remonter de force avant de la passer à tabac, en filmant cette pluie de coups avant d’allonger la liste des prestations pour la punir.

« Si elle m’avait dit qu’elle était en danger, je vous assure que j’aurais appelé la police »,

se défend Bernard, son pseudo des réseaux, 52 ans, costume gris, dont l’ADN a été retrouvé sur un body de Mina. Parole contre parole.

À plusieurs prévenus, les policiers ont montré la vidéo où Mina est tabassée.

« C’est écœurant ce qu’elle a vécu, réagit l’un d’eux, la quarantaine, costume marine, deux enfants, en couple et « habitué » de la prostitution. Les gens qui ont fait ça méritent… la mort. C’est le cœur d’un parent qui parle. Je m’excuse aussi pour le mal que je lui ai fait subir. » Lui n’a « pas souvenir de cette journée » du 22 février : « Je fais beaucoup de rencontres, dans la pénombre, c’est très courant, je ne force personne, si j’ai eu une relation, c’était consenti »,

dit-il en se présentant comme « quelqu’un de gentil et normal ». Il avait négocié deux heures à 500 euros

« Je n’ai jamais eu d’attirance envers les mineures, en plus sa morphologie, c’est pas mon genre »,

se défend maladroitement encore un jeune marié, 30 ans, qui préfère les physiques « pulpeux ».

L’affaire l’a « empêché de dormir pendant deux mois ».

Mina assure qu’il avait promis d’appeler la « police, ou son cousin ».

Lui dit qu’elle « doit confondre ». Son ADN aussi a été retrouvé dans un préservatif, dans cet appartement où, fait remarquer la présidente, il n’y avait que des mineures. Le procès se poursuit ce mardi.

Jusqu’à 30 mois de prison requis contre sept clients

Les sept prévenus ont tous nié ou indiqué ne pas se souvenir de cette journée. Leurs avocats ont plaidé la relaxe.

Le délibéré sera rendu le 4 juin.( ndlr : les verdicts n’ont pas été médiatisés ) 

« Elle a l’apparence d’une mineure, les joues d’un enfant, comment ne pas se poser la question de sa minorité, au moment où les clients entrent dans l’appartement, ils ne pouvaient ignorer sa minorité. »

La procureure Chann Balbot, parle de Mina (son prénom a été changé), assise au second rang, entourée de ses éducatrices, derrière son avocate et son administrateur ad hoc.

L’adolescente, aujourd’hui âgée de 17 ans, a tenu à rester jusqu’au bout de ce procès de deux jours. Le deuxième d’une série de trois rendez-vous judiciaires. Ici, devant la 15e chambre du tribunal judiciaire de Paris, sept clients sont jugés depuis lundi. Ils sont serrés dans l’autre rangée, et retiennent leur souffle dans l’attente des peines qui vont être requises contre eux.

Aucun d’eux n’a cherché à l’aider

« Ils s’en tirent bien, a plaidé juste avant Me Pauline Souvie-Ninet, pour l’Amicale du Nid, partie civile. Pas de garde à vue, sauf pour un, pas de perquisition de leur appartement, on n’a pas cherché s’ils détenaient des images pédocriminelles, leur famille n’a pas été informée, on cherche encore à les protéger. Aucun d’eux n’est venu avec sa valise, convaincus de rentrer chez eux le soir. »

La procureur ne requiert effectivement pas de mandat de dépôt, mais des peines de prison avec sursis probatoire contre tous de 18 ou 24 mois.

Deux peines de prison ferme sont requises, pour le chauffeur de personnalités, âgé de 43 ans et l’apprenti éducateur de 30 ans, pour non-assistance à personne en danger. Mina a répété qu’elle avait demandé de l’aide à trois clients pour sortir des griffes de ses tortionnaires, après avoir été battue de mille façons, étranglée avec un cordon de chargeur, ses cheveux coupés n’importe comment. Punition pour avoir tenté de s’enfuir. Aucun client n’a appelé la police, ni même un taxi pour la faire fuir.

Contre deux prévenus désignés, la procureure a requis deux ans de prison dont un an ferme, et 30 mois dont 18 ferme, avec un bracelet,

« pour qu’ils sentent dans leur corps la violence ce qu’a vécu la jeune fille ».

Les reconnaissances tardives de Mina, qui a désigné certains prévenus à l’audience ?

« Elles s’expliquent par des troubles post-traumatiques », explique la procureure.

L’électricien et le juriste qu’elle a mis hors de cause, se voient réclamer une amende de 1 000 euros pour le premier, qui a fait demi-tour.

Mais une peine de 18 mois de sursis probatoire est demandée contre le second. Si son ADN a été retrouvé dans un préservatif, c’est qu’il a eu un rapport sexuel avec une autre jeune fille présente dans l’appartement, or, elles étaient toutes mineures.

Et contre tous, le parquet réclame une obligation de soins, un stage de sensibilisation contre les achats d’actes sexuels, l’indemnisation de la victime, ainsi que l’inscription au fichier des auteurs d’infraction sexuelle (Fijais) de plusieurs prévenus

En écho, la défense a plaidé la relaxe.

« Aucun élément ne permettait de savoir que derrière cette annonce se cachait une mineure victime de réseau de proxénétisme » oppose Me Mathieu Quinquis, avocat de « Bernard », 52 ans. Tour à tour, les avocats ont dénoncé une « enquête à l’emporte-pièce », un « dossier mal ficelé ».

« Les déclarations ne sont pas des preuves »,

a enchéri Me Younes Faher, pour le client « 500 », en référence au montant qu’il proposait pour

« deux heures de prestations, avec sodomie nature ».

« On plaint cette jeune fille pour ce qu’elle a subi mais je plains aussi ces hommes, pour leur vulnérabilité. Ceux que vous jugez sont aussi des miséreux, ce ne sont pas des bourreaux, il faut résister à la tentation de les condamner pour rien »,

a exhorté Me David Cazeneuve, rappelant que les prévenus ont eu recours à un site autorisé,

« la loi le permet, mais eux s’ils achètent, ils sont en tort, il n’y a pas de logique juridique là-dedans ».

La plus lourde peine a été requise contre son client, apprenti éducateur.

Ils ont pris son corps d’enfant, l’ont abîmée, consommée

« J’apporte tout mon courage et tout mon soutien à la victime », a conclu le prévenu quand la parole a été redonnée à ceux qui souhaitaient ajouter quelque chose.

Mina les a entendus présenter des « excuses », dire « je ne suis pas un monstre », avoir « pris conscience » de l’envers de la prostitution.

« Je m’engage à sensibiliser contre ce fléau » a lâché Bernard.

Cinq heures plus tôt, l’avocate de Mina Me Sarah Girand a indiqué que cette audience avait été

« une violence supplémentaire » pour l’adolescente, face à des « hommes adultes qui n’avaient pas eu de mots pour elle, qui s’apitoient sur eux-mêmes, alors qu’ils ont pris son corps d’enfant, l’ont consommée, abîmée, consumée ». « Quand on lui dit qu’on ne se souvient pas d’elle, on continue à dire qu’elle n’est personne et ne mérite rien », plaide-t-elle.

Le délibéré sera rendu le 4 juin.

 

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