Maroc Rabat | 10 et 20 ans de réclusion pour les violeurs de Tiflet
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 19/04/2023
- 20:55
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Le 5 mars 2022, la vie de la famille bascule : le père de la victime apprend, au souk hebdomadaire, que sa fille est enceinte, il l’interroge et obtient le récit des horreurs qu’elle a subies.
Nous ne pouvons que nous féliciter de la justesse du verdict.
Meriem Othmani, présidente de l’association INSAF, qui a accompagné la victime tout au long de son calvaire judiciaire, confie à TelQuel à la sortie d’une audience qui aura duré jusque tard dans la nuit de jeudi à vendredi :
“ Puissent tous les potentiels violeurs en avoir connaissance et craindre les sanctions ”
La fillette de 11 ans, violée à répétition pendant un an par trois individus et tombée enceinte de l’un de ses violeurs, a été entendue à huis clos jeudi 13 avril dans l’après-midi.
L’avocate et militante Ghizlane Mamouni qui a assisté au procès avec d’autres confrères raconte :
“ Elle était accompagnée d’une assistante sociale. À sa sortie d’audition, nous avons entendu un cri et des pleurs et l’une des consœurs qui l’a accompagnée à la sortie du tribunal à indiqué que durant sa plaidoirie la fillette à fait un malaise ”
Après plusieurs heures de délibération, la Cour d’appel de Rabat a condamné les trois accusés à 10 et 20 ans de prison ferme.
Un verdict très attendu tant par l’opinion publique que par de nombreux avocats mobilisés pour des peines plus fermes dans les cas de viol sur mineur.
L’avocate Ghizlane Mamouni raconte dans un live Instagram avec le compte @7achak :
“ Le procureur n’a pas requalifié les faits en viol, ça aurait été un pas en avant. On a eu des débats sur le consentement de cette enfant. Mais le président de la cour s’est exprimé avec beaucoup de bienveillance à son égard ”
La question du “consentement”
La question du consentement de l’enfant, justement, a été utilisée par la défense des accusés.
L’avocate poursuit :
“ Le consentement a été soulevé par la défense des accusés qui a soutenu que la fillette rejoignait de son plein gré son premier agresseur qui, selon son avocat, n’a commis aucune violence ”
Elle souligne que la loi marocaine ne pose aucune condition de non-consentement ou de majorité sexuelle comme c’est le cas dans d’autres pays, et donc que la question “n’a pas formellement été posée dans ce jugement” malgré les tentatives des avocats de la défense.
Le “consentement” était d’ailleurs leur seul argument, tant les preuves sont accablantes.
L’avocate Ghizlane Mamouni poursuit :
“ Une grossesse a résulté du viol et la gamine a quand même 11 ans, ce qui a fédéré même les plus conservateurs ”
Et d’ajouter :
“ Le père a été confondu par le juge, d’abord via le test ADN et ensuite parce qu’il voulait ‘prendre en charge’ l’enfant.
Donc le juge lui a dit : pourquoi tu veux prendre en charge un enfant dont tu dis que tu ne connais pas la mère’ ? ”
L’audience, où les faits insoutenables — viols répétés, sodomie, hurlements de l’enfant — ont été détaillés, a également permis de mettre en avant le témoignage de la nièce de l’un des accusés (qui s’est rétractée), témoin des exactions, voire complice.
Cette dernière, aujourd’hui âgée de 14 à 15 ans, fait d’ailleurs l’objet d’une enquête diligentée par le président de la cour.
Les trois accusés ont quant à eux nié les faits jusqu’au bout.
“Je ne la connais pas”, a même osé le violeur et père de l’enfant confondu par son ADN.
Le deuxième est allé jusqu’à reprocher aux parents de la petite de n’avoir pas remarqué sa grossesse, une remarque vite recadrée par le prédisent de la cour.
Un verdict inédit
Le procureur du roi a déclaré pendant son réquisitoire :
“ Si c’était possible, j’aurais requis la peine capitale ”
à propos de cette affaire qui cristallise toutes les revendications des défenseurs des droits des femmes.
Une prise de position radicale, à la mesure de l’émoi provoqué par l’affaire à travers le royaume.
Et le verdict, salué par militants, avocats et associations, contraste nettement avec les peines prononcées en première instance.
Dans son live avec Sarah Benmoussa, la fondatrice de la page Instagram 7achak, Ghizlane Mamouni commente :
“ On passe de 18 mois de prison à 10 et 20 ans. J’espère que ce jugement fera office de jurisprudence dans les cas de viol sur mineur ”
Bien que la requête de la défense en début d’audience de requalifier les chefs d’accusation en “viol” ait été rejetée par le juge, les lourdes peines des trois violeurs sont inédites.
L’avocate poursuit :
“ La mobilisation des associations, à l’instar de l’INSAF qui aide la petite depuis le début, mais aussi des médias a permis de mettre en lumière les failles du Code pénal dans les cas de violences sexuelles sur mineur ”
Et de mettre en avant le caractère inédit de ce verdict :
“ On a des cas comme celui-là tous les jours au Maroc, il ne faut pas l’oublier. Et à chaque fois, on trouve des circonstances atténuantes pour les agresseurs, mais ce verdict est une première, c’est important. ”
18 mois !
Les juges de la cour de Rabat avaient condamné, le 20 mars, les 3 accusés à 18 mois pour deux d’entre eux et 2 ans de prison ferme pour le père de l’enfant, justifiant leur décision par des “circonstances atténuantes”.
Des condamnations et justifications qui avaient provoqué un tollé.
Stephanie Willmann, avocate et co-fondatrice de l’ONG MRA (Mobilising for rights associates) expliquait à TelQuel :
“ Le problème, c’est que dans le Code pénal, selon l’article 147, si les juges estiment que la peine normalement prévue est excessive par rapport à la gravité des faits ou à la culpabilité de l’auteur, ces derniers ont le droit d’accorder aux agresseurs le bénéfice de circonstances atténuantes et réduire la peine prévue par la loi ”
Ghizlane Mamouni dénonce par ailleurs une forme de “mascarade” :
“ La même semaine, alors que l’indignation suscitée par le cas de S. De Tiflet était sur toutes les bouches, nous avons assisté à plusieurs condamnations à des peines de deux ans ou moins d’emprisonnement ”.
Dans son édition du 5 avril, le quotidien Assabah à ainsi révélé que le tribunal de première instance d’El Jadida venait de condamner à deux ans de prison le violeur d’une fillette de 6 ans, malgré le fait que la cour “ait té convaincue de sa culpabilité grâce au témoignage de l’enfant et aux éléments fournis par l’enquête menée par la brigade judiciaire”.
Le 17 avril , le tribunal de première instance de Fès condamnait lui aussi deux hommes accusés de viol sur mineure à des peines très légères : deux ans de sursis pour l’un, un an et huit mois de prison ferme pour le second.
Des affaires peu relayées par la presse et qui ne soulèvent donc pas la même indignation que celle de la petite fille de Tiflet. Elles sont pourtant monnaie courante.
Une étude menée en 2020 par le collectif Masaktach (sur 1169 procès en novembre 2019) sur le traitement judiciaire des affaires de violences sexuelles met d’ailleurs en évidence des chiffres qui interrogent :
Pour les 44 agresseurs condamnés pour viol sur mineur, la durée moyenne de la peine est de 3 ans et 1 mois, et 80 % des prévenus condamnés pour viol ont écopé de peines moins lourdes que celles prévues par la loi, l’article 486 du Code pénal condamnant le viol sur mineur d’une peine de réclusion de 10 à 20 ans.
Reconstruction
Quant aux victimes, le chemin vers la reconstruction reste semé d’épines. Comment survivre à un tel procès ?
“ Comment survivre tout court ? ”, nous coupe Meriem Othmani.
L’INSAF a pris en charge la victime depuis le début des procédures :
“ Nous l’avons prise en charge, elle et son bébé, effectué des visites médicales et psychologiques, et réussi à la faire inscrire à l’école ”
La présidente de l’association poursuit :
“ Il nous reste à organiser le soutien scolaire pour qu’elle puisse rattraper son retard ”
Elle précise cependant que la jeune victime reste traumatisée par les sévices qu’elle a subis et la charge de l’enfant issu du viol.
“ La gravité d’un viol doit être comprise par tout le corps judiciaire ”
conclut la militante.
Les avocats de la fillette comptent d’ailleurs se pourvoir en cassation pour qu’elle obtienne une indemnité plus conséquente que les 140.000 dirhams prévus par le verdict en appel.
Pour Ghizlane Mamouni, il s’agit une fois pour toutes d’interdire aux juges de trouver des circonstances atténuantes aux personnes accusées de violences sexuelles sur mineurs :
“ Je ne pense pas qu’il faille compter sur la bonne volonté de juges très peu formés aux questions de pédocriminalité pour protéger les fillettes marocaines ”
Militants, avocats et associatifs comptent tous sur la très attendue réforme du Code pénal pour remédier à ces failles qui placent les victimes dans un état d’extrême vulnérabilité sans leur rendre justice.
L’avocate conclut :
“ Il faut leur interdire de prononcer des circonstances atténuantes dans ces cas et dans tous les cas de violences sexuelles. Cette interdiction doit être prévue dans le Code pénal.
La réforme annoncée par le gouvernement par la voix du ministre de la Justice, doit prévoir cette interdiction ”
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