Un homme libéré au bout de 3 mois alors qu’il était condamné à 9 ans de prison pour le viol de sa fille

Condamné à 9 ans de prison pour viol, il est libéré au bout de 3 mois

Illustration Lepoint

Placé en détention en mars 2019 après une plainte pour viol de sa fille, un homme a été libéré après trois mois d’emprisonnement. Explications.

Il aura traversé une procédure judiciaire de vingt ans, soldée par deux arrêts de cours d’assises le condamnant à neuf ans de réclusion criminelle, sans passer plus de quelques mois en prison. Le voilà déjà libre. Jean-Paul L., incarcéré en mars pour le viol de sa fille, est sorti en début de semaine. Libre, mais très amaigri (il ne pèse plus que 56 kilos). Quand le juge, statuant en juin sur sa demande de mise en liberté (DML) après seulement trois mois passés en prison, lui a demandé ce qui se passait, au vu de son état physique effrayant, il a rétorqué : « la justice ».

Et quand le magistrat lui a fait remarquer qu’il avait été reconnu coupable du viol de sa fille par deux fois et que l’erreur judiciaire dont il se prévaut ne constitue certainement pas une raison suffisante pour le faire sortir de prison, il a répliqué : « Vous me demandez, je vous réponds », selon des propos rapportés par l’un de ses avocats, Me Damien Legrand, qui l’assiste depuis des années, aux côtés de son autre conseil, Me Loïc Bussy.

Jean-Paul L., qui a formé un pourvoi en cassation contre la décision de la cour d’assises du Pas-de-Calais, a finalement été libéré mardi, à la surprise générale, et placé sous contrôle judiciaire.

Une première enquête classée sans suite

Tout commence en février 2001, lorsque Cindy se présente à la police pour y dénoncer des abus sexuels commis par son père depuis 1997. La jeune fille a 14 ans, fait partie d’une fratrie de six enfants, et affirme avoir subi des attouchements et avoir masturbé Jean-Paul L. à sa demande, lorsque ses frères et sœurs étaient couchés. Ce dernier nie farouchement. À l’époque, le parquet enquête, interroge la fratrie, mais aussi la mère, Nathalie, qui ne vit plus avec Jean-Paul L., mais qui affirme ne pas croire aux accusations portées par sa fille.

Le procureur manque d’éléments de preuve objectifs, comme souvent dans pareille affaire, l’expertise médico-légale ne confirme ni n’infirme rien, et le psy n’est pas d’une grande aide. Cindy a un « discours négatif sur les hommes », note l’expert, à qui il paraît cependant impossible « de se prononcer sur la crédibilité des propos, à cause de l’absence d’une émotion particulière ». Il n’y a « aucun ressenti traumatique », précise-t-il, affirmant que l’adolescente est « avide d’imaginaire » et a tendance à « broder autour de son vécu afin de lui donner une tonalité passionnelle ». L’enquête est classée sans suite.

Nouvelle enquête six ans plus tard

En 2007, le parquet rouvre une enquête à la suite d’une nouvelle plainte de Cindy qui, cette fois, affirme avoir subi des viols, en l’espèce en ayant été contrainte de faire des fellations à son père. La jeune femme, qui est elle-même devenue mère entre-temps, explique avoir eu honte de raconter cela aux policiers la première fois. Elle précise que Jean-Paul L. lui ordonnait, lorsqu’elle le massait, de faire comme si elle « mangeait une glace ». Propos qu’elle répétera également à plusieurs membres de son entourage, dont son éducateur.

Pour contester le classement sans suite, Cindy fournit des éléments nouveaux, complètement contradictoires avec de précédents témoignages : d’abord, une attestation de sa mère, Nathalie, qui, alors qu’elle avait déclaré ne pas croire aux propos de Cindy, affirme maintenant par écrit avoir elle aussi été violée par son ex-compagnon. Ensuite, une attestation de Dorothée, la sœur de Jean-Paul L., qui affirme avoir été violée, petite, par son frère. Enfin, une attestation de l’une de ses sœurs, Louise, affirmant avoir vu Cindy, un soir, remonter dans leur chambre en pleurs.

Une expertise psy qui diffère du tout au tout

Une information judiciaire est ouverte et tous les témoins de l’affaire à nouveau entendus. Le discours des frères et sœurs va alors varier, certains d’entre eux affirmant croire désormais Cindy, d’autres s’attardant, avec le recul, sur de possibles gestes ambigus ou paroles déplacées du père. L’ex-petit ami de Daphnée, l’une des sœurs, affirmera même avoir appris que cette dernière avait également subi des abus sexuels, ce qui n’a pas pu être corroboré par la suite.

L’expertise psychologique, réalisée en 2008, diffère du tout au tout de la première, menée en 2001. Cette fois-ci, l’experte remarque des « traits autodépressifs et des perturbations de l’estime de soi, des hommes et de sa sexualité » pouvant être liés aux faits dénoncés. Cindy a désormais des idées suicidaires, des troubles du sommeil et de l’appétit. Et la psy de souligner une « symptomatologie très importante » en lien avec les faits dénoncés.

Non-lieu demandé par le procureur et le juge

Le procureur comme la juge d’instruction, après de nouvelles investigations, vont pourtant tous deux réclamer un non-lieu. Le motif ? Ces revirements restent « inexpliqués » et il n’y a, selon eux, pas d’éléments objectifs nouveaux. Les charges restent insuffisantes, notent-ils. Ce qui n’est pas l’avis de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai, saisie par la partie civile, laquelle va décider, en mai 2014, du renvoi aux assises de Jean-Paul L. À l’époque, et pour résumer, la cour considère que Cindy donne suffisamment de détails pour que sa parole soit prise au sérieux.

En 2017, vingt ans après les premiers faits qui lui sont reprochés, sans avoir passé un jour en prison, ni même avoir été astreint à un contrôle judiciaire en particulier, Jean-Paul L. comparaît donc pour la première fois aux assises. Un incident d’audience survient : Louise, l’une des sœurs de Cindy, reconnaît à la barre ne pas avoir écrit l’attestation selon laquelle elle l’avait vue remonter en pleurs dans sa chambre. Elle a, par contre, bien apposé sa signature sur la feuille. Avant ou après que l’attestation a été rédigée ? Ce point n’a pas été vérifié, assure Me Legrand, qui, aux côtés de Me Bussy, a déposé une plainte pour faux avec constitution de partie civile.

9 ans de prison ferme

Cela n’empêche pas les jurés de condamner Jean-Paul L. à la peine de huit ans d’emprisonnement et à verser 20 000 euros en réparation du préjudice. L’accusé est envoyé derrière les barreaux, mais n’y reste qu’un mois. Sa demande de mise en liberté est immédiatement acceptée. Deux ans plus tard, en mars 2019, la peine infligée à Jean-Paul L. en appel est aggravée à 9 ans de prison et 22 000 euros de préjudice. Les jurés considèrent que les accusations de Cindy ont toujours été circonstanciées et spontanées, que la réalité des séances de massage a « été attestée par les membres de la famille », et que la jeune femme n’a pas été guidée dans ses déclarations par un esprit de vengeance ou par un quelconque complot familial visant Jean-Paul L.

Ce dernier forme aussitôt un pourvoi en cassation, préparé par Me Spinosi. Ce recours n’est pas suspensif (la peine court), mais ses avocats parviennent pourtant à le faire sortir de prison au bout de trois mois, à la première demande de mise en liberté déposée, comme en première instance. Une décision rare, de l’avis de plusieurs personnes interrogées par Le Point, dans une affaire d’une telle gravité et avec un tel quantum de peine. Les juges ont simplement estimé que Jean-Paul L. s’était toujours conformé aux obligations de son contrôle judiciaire, n’avait jamais tenté de fuir ou de faire pression sur les parties civiles ou les témoins, et qu’il avait donné des garanties de représentation avant que son pourvoi ne soit examiné par la Cour de cassation.

Rien d’autre que l’application rigoureuse de la règle de droit et de la présomption d’innocence.

La plainte pour faux est, quant à elle, toujours à l’instruction et il semblerait qu’aucun acte d’enquête n’ait été mené. « Une fois la machine lancée, elle ne s’arrête plus », commentent Mes Legrand et Bussy. Ils ajoutent : « C’est une décision [de remise en liberté, NDLR] que tout le monde perçoit comme exceptionnelle, mais elle n’est rien d’autre que l’application rigoureuse de la règle de droit et de la présomption d’innocence. Notre espoir, c’est que la Cour de cassation fasse du droit et écarte la compassion victimaire qui a guidé la cour d’assises du Nord et celle du Pas-de-Calais. » Interrogée par Le Point, l’avocate de Cindy n’était pas en mesure, à l’heure de publication de cet article, de commenter cette remise en liberté.

* Le prénom a été modifié

Source : lepoint

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