Toulouse | Il recrute et surveille les jeunes filles depuis sa cellule

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Descente dans une criminalité odieuse et sans limite
La gendarmerie a démantelé ces derniers mois un réseau de proxénétismes dirigé depuis la maison d’arrêt de Béziers et actif notamment à Toulouse. Vingt personnes dorment en prison.

Une fille de 15 ans qui pleure, épuisée psychologiquement et physiquement et un homme qui hurle.

Qui lui intime l’ordre de coucher, encore.

D’accueillir d’autres clients, encore. Pour gagner plus d’argent, encore.

Cet échange, glaçant, illustre un esclavage moderne et une prostitution qui a quitté les trottoirs pour gagner les réseaux sociaux.

Ce qui ne change pas, ce sont ces jeunes femmes, une dizaine, exploitées à Toulouse mais aussi lors de courts séjours à Paris, en Suisse ou en Belgique.

« Souvent en fugue, perdues et qui pensent d’abord à gagner de l’argent, à s’habiller avec des vêtements de marque et jouer sur des smartphones dernier cri pour avoir le sentiment de vivre », confie une source proche du dossier.

Cette vaste enquête a commencé voilà un an quand des gendarmes de Balma, recueillant les confidences d’une éducatrice affolée, « ont fait un super boulot », insiste un officier.

Recoupement et localisation, avec le soutien des enquêteurs spécialisés de la brigade des recherches de la compagnie de Toulouse-Saint-Michel, ont montré l’ampleur de ce trafic d’êtres humains.

La section recherches de Toulouse a enchaîné à l’automne sous l’autorité du juge d’instruction Fabrice Rives, créant une cellule nationale.

Cela a permis de suivre de petites équipes un peu partout dans et autour de Toulouse.

Et même plus loin, à Paris.

Entre mi-janvier et mercredi, les enquêteurs ont interpellé vingt-trois personnes, vingt-deux ont été mises en examen, vingt sont incarcérées !

En fuite, le dernier a été arrêté jeudi sur la côte méditerranéenne où il fumait un joint.

Ces jeunes majeurs, recrutés par téléphone, jouaient les protecteurs pour « rassurer » les filles, confier préservatifs et lubrifiants et la drogue pour supporter les rencontres tarifées.

Une jeune femme, séduite par les promesses, avait été recrutée pour récupérer l’argent des passes.

Que sont devenus les 250 000 € minimum gagnés ces huit derniers mois ?

Les perquisitions ont permis de récupérer 18 000 €, très loin des bénéfices estimés.

Réinvesti ? Dans le trafic de drogue ? Les enquêteurs le soupçonnent mais manquent de preuve.

Ce dossier, exemple d’un phénomène qui inquiète le parquet, trouble les spécialistes qui craignent une explosion de cette prostitution où les filles, uniques victimes, croient gagner un avenir argenté.

Avec des hommes toujours prêts à en profiter ou à les exploiter.

Lors de leurs investigations, les gendarmes de la section de recherches de Toulouse-Saint Michel ont identifié neuf jeunes femmes dont plusieurs mineures qui étaient proposées aux clients.

Des hommes de tous âges, peu gênés par la jeunesse de ces Belles-de-nuit modernes.

« Au départ elles acceptent pour l’argent. Le sexe ne constitue pas un obstacle. À les entendre, c’est même normal », confie une enquêtrice.

Avant d’ajouter : « souvent leur entourage familial est absent, elles ont grandi dans un sentiment d’abandon et sont contentes de vivre leur vie, de pouvoir flamber. Seulement très vite les choses se gâtent, leur part financière diminue. Menacées, oralement ou physiquement, elles ne trouvent pas la force de s’échapper ».

Particularité de cette organisation : son chef, désigné par l’instruction toujours en cours.

“Mowgli”, le chef du réseau de proxénétisme sème la terreur derrière un pseudo d’enfant

Condamné par la cour d’assises des Pyrénées-Orientales en 2022, “Mowgli” purge 25 années de réclusion criminelle.

Ce qui ne l’aurait pas empêché d’être très actif dans un réseau de proxénétisme qu’il aurait entièrement organisé depuis sa cellule.

Mowgli, le P’tit d’homme de Kipling, popularisé par Walt Disney.

L’image est immédiate.

Difficile d’imaginer un homme vociférant, menaçant.

Pourtant « Mowgli », pour les jeunes femmes qui vendaient leurs corps ces derniers mois à Toulouse, ce serait le chef.

Celui qui aurait d’abord su les faire rêver avant de les exploiter.

Le même qui, toujours depuis sa cellule, dirigerait les protecteurs, embauchés pour jouer les gros bras et surveiller les filles.

Celui aussi qui aurait mandaté des « flingueurs » pour éliminer la concurrence.

Le conditionnel s’impose parce que cet homme de 28 ans a joué au Roi du silence devant les gendarmes.

Et qu’il y a peu de chance qu’il se montre plus bavard devant le juge d’instruction Fabrice Rives, qui a beaucoup de questions à lui poser.

« Avec un suspect qui passe ses journées au téléphone, on ne manque d’ores et déjà pas d’éléments », glisse une source proche du dossier.

Sur le volet proxénétisme, son action serait centrale.

Faut-il que « Mowgli » soit malin pour arriver à recruter filles et garçons sans laisser imaginer qu’il agissait toujours depuis sa cellule de prison.

Et quand, lassés de ne jamais voir ce chef exigeant, certains de ses complices ont pensé voler de leurs propres ailes, cela s’est terminé par des coups de feu.

Un garçon de 17 ans est mort début janvier, à Toulouse.

La faute à « Mowgli » ?

Les soupçons existent, les preuves moins.

En revanche quand une semaine plus tard, des individus ont voulu jouer du couteau toujours pour contrer les ambitieux, des éléments prouveraient directement son aversion des autoentrepreneurs…

Deux autres instructions judiciaires sont ouvertes sur ces affaires.

Quant à ses complices supposés, mis en examen et incarcérés, eux aussi seraient restés très discrets sur le rôle supposé du chef.

 “Un phénomène dont le développement nous inquiète”

Tels sont les mots du parquet de Toulouse.

Procureur-adjoint, Sylvain Courdesse s’inquiète d’un phénomène décomplexé qui fonctionne sur le mode du trafic de stupéfiants.

En quoi ce dossier de proxénétisme est-il particulier ?

Par son importance, ses flux financiers et la jeunesse des protagonistes. Les prostituées, dont plusieurs sont très jeunes, restent des victimes aux yeux de la loi même si dans cette organisation, au moins l’une d’elles recrutait aussi. Parmi les protecteurs, on retrouve également des garçons mineurs. C’est une organisation semblable à celle qui se retrouve dans les trafics de stupéfiants où les plus jeunes servent aux surveillances ou à la vente de produits.

Ces prostitutions de mineures, sur Toulouse, est-ce nouveau ?

Ce phénomène dont le développement nous inquiète a déjà été identifié en France notamment dans les banlieues parisiennes ou marseillaises. À Toulouse pas encore même si le tribunal correctionnel vient de juger cette semaine un dossier presque similaire. Sur ce dossier actuellement à l’instruction, nous nous trouvons devant une équipe très organisée, qui n’hésite pas à se déplacer y compris à l’étranger et qui génère beaucoup d’argent.

Avez-vous une idée des bénéfices dégagés ?

Selon les calculs des gendarmes, au minimum 250 000 € sur huit mois. Une fourchette basse, probablement plus haute dans la réalité. Peut-être que toutes les prostituées n’ont pas été identifiées. Nous avons manqué de temps pour identifier les flux financiers. Avec des victimes mineures, nous nous devions d’intervenir rapidement.

Vous évoquiez un lien avec le trafic de drogue.

Certaines similitudes sont troublantes. Notamment par l’utilisation des réseaux sociaux. Les filles ne vont pas chercher les clients sur le trottoir mais via des annonces. Cela facile les contacts, peut-être que cela déculpabilise les jeunes femmes et leurs clients. Et la mise en place est simple, rapide : une annonce, une location, des clients… Cela explique les déplacements observés dans le cadre de l’enquête loin de Toulouse.

Ce dossier, ouvert au criminel, sera-t-il jugé devant une cour d’assises ?

C’est encore trop tôt pour l’affirmer. Mais les faits reprochés, la personnalité de certaines personnes dans l’organisation du proxénétisme peuvent le justifier.

 

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