Suisse | «J’avais 15 ans et ce jour-là j’ai eu la peur de ma vie»
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
- 15/12/2016
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Il y a les cas, qui se comptent par centaines, d’abus sexuels dans le football anglais. Ils bouleversent le monde. Et il y a l’histoire de René, junior B dans un club vaudois. Une histoire dont on pourrait se dire qu’elle n’est pas si grave. Que René s’en est bien tiré. Qu’il a eu peur, c’est tout.
Certes, il est vivant, il n’a pas été violé, mais cet homme de 60 ans, quand il raconte ce qui lui est arrivé à l’adolescence, en pleure encore.
«Ce jour-là, j’ai eu la peur de ma vie. Et ce souvenir ne m’a jamais quitté. Il a influencé ma vie.»
Il ne se plaint pas. Il ne se pose pas en victime. Il veut juste témoigner pour dire que les petites et grandes saloperies dans le monde du football, comme dans d’autres milieux, ne datent pas d’aujourd’hui.
Il ne doute pas que d’innombrables victimes d’entraîneurs malfaisants se taisent depuis longtemps. Que leur silence tissé de honte et de culpabilité totalement injustifiées protège des auteurs qui savent très bien en profiter.
René a appelé la rédaction de 24 heures il y a quelques jours pour faire part de son envie de raconter, dans le but d’aider les victimes à parler, ce qu’il n’a pas osé faire pendant des décennies.
Ce jour-là, René, junior B au FC Ouchy, boit quelque chose dans un bistrot lausannois avec ses copains d’équipe. C’est samedi. Il a envie d’aller au cinéma.
En fait, il goûte depuis quelque temps une liberté retrouvée après des années passées dans divers pensionnats où il a subi de terribles agressions sexuelles, non pas par des éducateurs ou des adultes, mais des “durs” dont il partageait le dortoir.
«Pour moi, le football, que j’aimais depuis que mon père m’emmenait voir le LS et les seigneurs de la nuit, c’était quitter la nuit, le sombre, c’était la lumière. Faire du foot dans un vrai club au moment où je pouvais enfin vivre chez mon père, un homme formidable, c’était le rêve.»
«J’ai arrêté le football»
Il n’y a pas de film intéressant cet après-midi-là. Arrive M., l’entraîneur, dans le bistrot.
«Il était souvent dans notre sillage, à nous suivre, à s’asseoir avec nous.» Il propose à René de venir boire un verre chez lui: «Avec le recul, je me revois dire oui. Monter dans son fourgon VW, je n’aurais jamais dû mais j’étais, comme tous les enfants de ce temps-là, formé à respecter l’adulte, à lui faire confiance. Et sortant du pensionnat, j’étais soumis encore davantage à l’autorité.»
Il arrive chez M., près de Morges. Celui-ci veut faire boire de l’alcool à l’adolescent. Puis il passe à l’attaque. Les mains. Les mots. La pression.
A l’évocation de ces instants, René est en larmes: «Je me suis pissé dessus de peur. Et je suis parti me réfugier et m’enfermer dans les toilettes.» M. ramènera René en ville après de longues palabres.
«J’ai immédiatement arrêté le football. J’ai compris, après réflexion, pourquoi certains joueurs qui étaient vraiment moins bons que les autres avaient leur place sur le terrain et étaient si proches de lui. Pourquoi il venait nous parler sous la douche. Il choisissait. Plus tard, en discutant, j’ai appris qu’il avait sans doute sévi dans le hockey sur glace.»
René a traîné cette histoire pendant plus de trente ans avant d’en parler à une compagne. Son père n’a jamais rien su: «J’avais trop peur de lui en parler. C’était un sacré bon type mais je pense qu’il aurait lui-même fait payer ça à M. s’il l’avait appris.» Rien au papa. Rien à personne. Vivre avec le secret. L’humiliation reste en René qui l’assume seul.
«Ce jour-là, j’ai perdu le football, la confiance, et dès ce moment j’ai souvent gardé la tête en bas. Avec mes questions: pourquoi moi? Pourquoi avoir dit «oui je viens»? Où était ma faute?»
«Je n’oublierai pas»
De nombreuses années plus tard – et c’est là qu’on mesure l’impact de la chose qui lui est arrivée, même si sur la hiérarchie des violences pédophiles, comme il dit, «ç’aurait pu être plus grave» –, René peut décrire le visage, l’allure de M. dans les moindres détails.
«Cheveux gras gominés, visage sec, corps mince, pantalons du dimanche usés. Un bus VW plein d’autocollants. Je n’oublierai pas. Me venger? J’y ai pensé, mais comment et à quoi bon? Je préfère témoigner, à mon niveau, avec mon histoire, pour dire que le football est un terrain facile, idéal pour les prédateurs. Que des gestes, des intentions, des attitudes pas forcément dramatiques dans leur issue peuvent modifier le cours de la vie des jeunes gens. En Suisse comme ailleurs.»
Mais René pense-t-il que des M. – dont il ne veut même pas savoir s’il vit encore – sont encore en activité dans le football d’aujourd’hui, en Suisse?
«Oui, c’est sûr. Mais je pense que les jeunes de 15 ou 16 ans sont plus aptes à se défendre, mieux informés que nous ne l’étions. Par contre, je pense que les prédateurs sexuels peuvent s’en prendre à des plus jeunes enfants, encore naïfs, ou innocents.»
On peut remercier René. Il reste anonyme pour ne pas être identifié seulement comme une victime d’un pédophile. Et pour protéger son fils largement adulte.
«Je garde foi en la vie, j’ai toujours été optimiste, à voir le bon plutôt que le mauvais.» Et il rappelle que trois ans après ce sale après-midi, il est retourné dans un club de football, à Crissier, où il a vécu «des moments de sport et d’amitié magnifiques, même si je n’avais pas beaucoup de technique!»
Source : www.24heures.ch
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