Suisse | Table ronde sur la prévention de la pédocriminalité à Lausanne
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- 21/04/2018
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En Suisse, une fille sur trois et un garçon sur cinq ont été abusés sexuellement. On estime à 50’000 le nombre d’agresseurs. Des hommes et des femmes qui sont “passés à l’acte”. Encore tabou il y a quelques années, la question de la prévention prend de l’ampleur.
“Aimez-vous les enfants plus qu’ils ne le voudraient? Des solution existent.” En Allemagne, le réseau de prévention Kein täter werden (ne pas devenir un agresseur) a diffusé en 2010 un spot publicitaire explicite pour aider les personnes qui éprouvent une attirance sexuelle envers des enfants à ne pas passer à l’acte.
L’association allemande propose aux “pédophiles abstinents” des thérapies pour apprendre à vivre avec leurs fantasmes sexuels en évitant les agressions physiques ou la consommation de pornographie infantile sur Internet.
“En Suisse, il y a de la pédophilie dans tous les milieux.
Dans l’Église comme partout, explique Marie-Jo Abey, vice-présidente du Groupe SAPEC, association de soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse.
La plupart sont abstinents.
Il faudrait les aider davantage et oser en parler”.
Raison pour laquelle, le Groupe SAPEC a mis en place une table ronde pour parler prévention.
Elle réunissait le 18 avril 2018 à Lausanne différents intervenants et différentes compétences.
L’occasion pour Bruno Gravier, professeur et médecin-psychiatre au CHUV, de rappeler la nécessité de l’accompagnement psychiatrique des pédophiles compte tenu du nombre de pédocriminels en Suisse.
“50’000 personnes.
Non pas des hommes et des femmes qui sont envahis par des fantasmes, mais des pédophiles qui sont passés à l’acte.
On parle ici d’actes répréhensibles pénalement.
Or, tous ne sont pas condamnés, faute de quoi il faudrait quintupler le parc pénitentiaire”.
Le psychiatre se méfie d’une conception binaire du problème.
D’un côté les “bons” pédophiles qui éprouvent de la culpabilité et luttent pour ne pas passer à l’acte et, de l’autre, les “méchants”, incapables de la moindre empathie.
“Le monde n’est pas divisé en deux”.
Il ne faut pas perdre de vue la complexité du spectre de personnes attirées par des enfants.
Il souligne chez beaucoup de ses patients pédophiles “la difficulté d’éprouver de la culpabilité.
Ils envisagent cette pulsion comme quelque chose qui les envahit de l’extérieur et non pas de l’intérieur.
La souffrance et la culpabilité sont liées aux émotions.
Or, un des problèmes majeurs de la prise en charge de ces personnes se situe dans le fait que l’accès à leurs émotions reste très difficile”.
Cette culpabilité est davantage présente chez les adolescents auteurs d’agressions sexuelles, estime Marco Tuberoso de l’association ESPAS (Espace de soutien et de prévention – abus sexuels).
L’accompagnement auprès des jeunes se révèle donc particulièrement important.
Tout comme la nécessité de lever les tabous pour parler des abus sexuels, ajoute le psychologue.
Et d’en parler sans peur.
“Oui, la réalité existe, mais il ne faut pas voir le mal partout.
C’est important d’en parler pour protéger les enfants, mais également les adultes.”
Dans son travail auprès de l’association – mandatée notamment par le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg pour accompagner les agents pastoraux –, Marco Tuberoso rencontre parfois des adultes qui fixent une distance radicale avec les enfants.
“On a encore le droit de prendre un enfant dans les bras”, affirme-t-il, en insistant sur la nécessité de clarifier les limites.
Autre élément auquel se confronte parfois ESPAS: la crainte de certaines associations de mettre en place un processus de prévention en leur sein.
Par peur du qu’en dira-t-on, en somme:
“ S’il y a prévention, il s’est forcément passé quelque chose.
Ce n’est pas toujours le cas.”
S’il n’y a pas de méthode Coué pour lutter contre la pédophilie, tous s’accordent sur la nécessité de de parler de cette thématique sans tomber dans la peur et de manière un peu plus sereine.
Participant à la table ronde, Mgr Charles Morerod a fait part des difficultés liées à la gestion des cas présumés de pédophilie dans son diocèse.
“J’ai écrit récemment à un prêtre: ‘je vous ai dénoncé à la justice’.
Je n’avais que des soupçons.
Que faut-il faire dans un tel cas?
Ce n’est pas simple, d’autant qu’on ne peut pas condamner des innocents.
Dans ma position, je le dis et je le répète, je ne peux pas ne pas informer la police.
Mais j’ai peur qu’on me cache dès lors encore plus de choses.
Je ne vois pas de solution parfaite”, a reconnu l’évêque.
Source : Cath
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