Suisse | La police fédérale piège des pédocriminels sur les sites de rencontres pour ado

A Berne, des agents de la police fédérale se font passer pour des jeunes filles sur Internet, afin de tendre un piège aux prédateurs sexuels

«Salut, ça va?» C’est ainsi que Sacha* commençait toujours ses conversations sur Internet.

En ce 21 novembre 2016, ce Suisse de 21 ans traîne sur le chat de Skyrock à la recherche d’une éventuelle rencontre.

Le site de la radio française s’adresse en priorité aux adolescents, à qui il permet de rencontrer «des milliers de nanas et de mecs».

Une oasis, pour Sylvain, qui est secrètement attiré par les fillettes.

Même s’il est en couple depuis deux ans avec une Fribourgeoise de son âge, Sacha ne parvient pas toujours à contrôler ses pulsions pédophiles.

Sur sa tablette Lenovo, il a téléchargé près de 90 images pédopornographiques dures.

Quand les images ne suffisent plus, il se rend sur la Toile sous le nom d’«Enzo32» et se met à draguer les très jeunes utilisatrices.

En général, il finit par se sentir coupable et met un terme à la conversation: Sacha n’est encore jamais allé jusqu’au bout de son penchant criminel.

SMS, puis conversation téléphonique

Mais le 21 novembre 2016, le virtuel ne lui suffit plus.

Sur Skype, au bout du clavier, «Swissgirl13» répond à ses avances.

Elle lui explique être âgée de 13 ans.

Sentant que sa proie mord à l’hameçon, Sacha lui demande si elle veut bien avoir un rapport sexuel avec lui.

«Swissgirl13» semble intéressée.

Puis s’ensuivent des échanges de SMS et une conversation téléphonique.

Un rendez-vous est pris le 28 novembre à 13 heures au centre commercial de La Praille, à Carouge.

En vue de la rencontre, Sacha précise:

«Petite condition, que tu sois bien rasée […] partout.»

Arrivé sur place à l’heure dite, le jeune homme tombe non pas sur une enfant, mais sur des officiers de police, qui l’appréhendent immédiatement.

«Swissgirl13» était en fait un agent sous couverture.

Les faits ont été relatés dans une ordonnance pénale rendue le 26 juin 2017.

Après son interpellation par la police genevoise, qui avait été avertie par les experts de Berne, Sacha a été placé en détention provisoire pendant 142 jours.

Il a été condamné par le parquet à une peine de 180 jours avec sursis.

En outre, il doit s’astreindre à un suivi thérapeutique et sera suivi de près par le service de probation pendant cinq ans.

Sacha est désormais sous surveillance.

Lors de la procédure, il a émis des remords et le souhait d’être soigné pour sa déviance.

Outre celui de pornographie, le Suisse a été condamné pour «tentative de délit impossible d’actes d’ordre sexuel avec des enfants».

Impossible, précisément car «Swissgirl13» n’existait pas.

Son avocat, Me Nicolas Daudin, ne souhaite pas s’exprimer sur l’affaire.

Enfants dragués au bout de trois minutes passées sur un chat

La même «Swissgirl13», toujours sur le forum de discussion Skyrock, a participé à l’arrestation d’un autre pédophile suisse il y a plus de trois ans.

Marc* a été condamné le 21 août dernier à Genève.

Sur le chat en ligne, sous le pseudonyme de «bogosscnou», il avait envoyé la photo d’un pénis en érection à sa jeune correspondante, qui avait dit être âgée de 12 ans, en la menaçant de révéler à ses parents leurs échanges si elle ne se filmait pas en train de se masturber sous ses yeux.

Le jeune Marc, père d’un bébé, possédait aussi plus de 1000 fichiers pédophiles, dont certains étaient des vidéos sexuelles avec des nourrissons.

Marc a lui aussi été condamné, entre autres, pour «tentative de délit impossible d’actes d’ordre sexuel avec des enfants».

Il écope d’une peine de prison avec sursis, mais sera surveillé de près par les services spécialisés pendant cinq ans.

Combien d’autres Suisses, qui souffrent du même mal que lui, restent en dehors des radars?

Selon des estimations de la Prévention suisse de la criminalité (PSC), les enfants qui surfent sur des chats sont dragués au bout de trois minutes environ.

A Berne, la police fédérale (fedpol) compte plusieurs commissariats dont le rôle est de coordonner ces cas avec les polices cantonales et les partenaires internationaux, tels qu’Europol.

Leur mission?

Repérer les personnes, en Suisse, qui consomment de la pornographie infantile ou qui ont des conversations sexuelles avec des mineurs sur Internet.

«On parle de lutte contre la pédocriminalité et non contre la pédophilie», nuance Anne-Florence Débois, porte-parole de la fedpol.

Entre 30 et 40 dossiers par mois

Pour repérer les suspects, la police fédérale a plusieurs sources.

Elle reçoit des informations de ses partenaires du monde entier, comme en mai dernier, quand les Etats-Unis ont communiqué à Berne les noms de 46 suspects à la suite d’un coup de filet.

A cela s’ajoutent les données reçues par les agents dans les cantons, ou les enquêtes effectuées à Berne.

Une fois les soupçons établis, les dossiers sont transmis aux polices cantonales, qui sont chargées d’ouvrir une procédure pénale.

Pour des raisons de confidentialité, il n’est pas possible de parler aux agents qui se font passer pour des mineurs sur des forums de discussion.

«Nous transmettons chaque mois aux cantons entre 30 et 40 dossiers liés à la pédocriminalité», révèle Anne-Florence Débois.

Soit environ 420 suspects par année.

A cela s’ajoutent les affaires levées par les cantons eux-mêmes.

Combien de dossiers jugés?

En 2016, 363 personnes ont été condamnées en Suisse pour «acte d’ordre sexuel avec des enfants» et 710 personnes l’ont été pour «pornographie», des cas qui concernent notamment les fichiers pédopornographiques.

Parfois, les coupables le sont pour ces deux chefs d’accusation en même temps.

Même si la tendance est à la diminution de ce type de condamnations, ces statistiques restent conséquentes.

Valérie Le Goff-Cubilier, psychiatre au CHUV, note que la pédophilie s’associe souvent à une gradation des actes.

«D’abord, ils commencent par télécharger des photos d’enfants nus, puis dans des postures sexuelles de plus en plus violentes, jusqu’à des images extrêmes, de mort, explique-t-elle.

C’est là qu’ils essaient d’entrer en contact avec un enfant vivant.»

D’où l’importance de stopper le cercle vicieux avant qu’il ne fasse une victime de plus, dont l’existence sera marquée à jamais.

* Prénom fictif.

Source : Le Temps

Source(s):