Strasbourg | Interview entre le journal l’Express et le Gynecologue Israël Nisand au sujet de la détection des violences sexuelles par les médecins

Abus sexuels: les gynécologues montent au front

Des sages-femmes discutent dans une salle de repos, le 16 novembre 2009 à la maternité du CHU de Bordeaux. JEAN-PIERRE MULLER/AFP

Le professeur Israël Nisand souhaite que médecins et sages-femmes affinent leur écoute pour mieux détecter les violences.

Président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, le professeur Israël Nisand s’associe à l’action lancée par l’association Stop aux violences sexuelles auprès des professionnels de la périnatalité pour prévenir au plus tôt ces agressions sur les mineurs. A l’occasion du colloque qui se tiendra à Strasbourg ce 19 novembre après une projection du film Les Chatouilles, d’Andrea Bescond, ce gynécologue de combat explique le rôle clé des médecins.

 

Le professeur Israël Nisand, gynécoloque au CHU de Strasbourg, le 24 février 2012 à la maternité de Villefranche-de-Rouergue.PASCAL PAVANI/AFP

 

L’EXPRESS. Quel rôle peuvent jouer les professionnels de la périnatalité dans la détection des violences sexuelles ?

Israël Nisand : La grossesse est un moment de grande vulnérabilité chez les femmes. Des événements traumatisants comme des violences sexuelles dans l’enfance ou durant la vie conjugale peuvent resurgir lors de cette période, surtout lorsque l’on sait qu’une femme sur cinq est concernée par ce type d’agressions.

Notre service du CHU de Strasbourg, qui est en pointe depuis une dizaine d’années sur le sujet de la bientraitance envers les futures mères, souhaite envoyer un message aux professionnels de la périnatalité, avec le soutien du Collège national des gynécologues obstétriciens et l’association Stop aux violences sexuelles : il faut que tous, gynécologues, obstétriciens, sages-femmes, soient davantage à l’affût des signaux qui peuvent indiquer des antécédents de cet ordre. Qu’ils montrent, par leur attitude avec les patientes en consultation ou durant la grossesse et l’accouchement, qu’ils sont prêts à entendre et aussi à comprendre.

Comment doivent-ils procéder ? En suivant un protocole particulier ?

Surtout pas ! Nous voulons éviter le “truc”, le gadget. Tout repose sur la capacité d’écoute et de compréhension du professionnel. Il arrive, par exemple, qu’une femme soit très difficile à examiner, parce qu’elle est trop crispée, ou parce qu’elle est gênée. On peut saisir l’occasion pour amener les choses avec tact dans la conversation, en posant des questions, du genre :

“Puis-je vous aider ?” “Vous est-il arrivé quelque chose par le passé dont vous souhaiteriez me parler ?”,

etc. Il n’y a pas de “bon” moment pour poser ce genre de questions, rien n’est automatique. On lance un hameçon, et parfois, il “mord” des années plus tard…

Cela vous est-il arrivé ?

Oui, je me souviens d’une patiente qui souffrait de saignements entre les règles extrêmement difficiles à juguler. Je sentais bien qu’elle éprouvait des difficultés dans son rôle de mère. Un jour, j’ai abordé le sujet d’un éventuel épisode pénible durant l’enfance. Elle a écarté farouchement cette hypothèse. Et puis, deux ans plus tard, elle est revenue en consultation et m’a confié :

“Vous aviez raison, docteur : j’ai découvert que j’avais subi des attouchements sexuels de la part de mon père, lorsque vous avez évoqué quelque chose de ce genre, je n’en avais pas le souvenir.”

Le corps médical est-il prêt à une telle écoute?

Le frein principal est l’histoire de chacun. Recueillir la parole d’autrui peut faire remonter des choses douloureuses de sa propre vie. Par ailleurs, beaucoup de médecins – et ce, quel que soit leur âge – n’aiment pas penser que le psychisme est susceptible d’entraîner des lésions organiques. Et pourtant, les douleurs pelviennes chroniques trouvent très souvent leur origine dans des actes de violences sexuelles, qui peuvent également avoir une influence dans le déclenchement d’endométrioses et de cancers du sein.

Mais comme il est impossible de prouver scientifiquement ce lien, certains médecins préfèrent mettre de côté le psychisme et s’en tenir à la manifestation organique de la pathologie. Alors que les “dénis de grossesse”, qui donnent des bouffées d’angoisse à tous les professionnels confrontés à ce genre de problèmes, montrent combien corps et esprit ont partie liée. D’ailleurs, ces interférences ne s’observent pas seulement dans les dénis de grossesse, mais dans toutes les pathologies obstétricales. Il est clair qu’il faudrait davantage de psychologues dans les maternités. Rares sont celles qui en disposent dans leurs équipes.

Quelles seront les prochaines étapes de votre campagne de sensibilisation ?

Le fait que le Collège national des gynécologues, qui est une instance scientifique, s’engage dans cette campagne est très important pour toucher le plus grand nombre de médecins. Nous ferons du sujet l’un des axes de notre communication l’an prochain. Et la rencontre d’aujourd’hui sera filmée, afin que cette vidéo puisse être distribuée à tous les CHU qui le souhaitent.

Source : lexpress

Source(s):