Rennes | La justice et l’aide à l’enfance étrillées par une enfant victime de viols répétés

Dans leur ouvrage « SignalementS », Karine Jambu, victime de viols, et sa tante Laurence Brunet-Jambu, évoquent les carences des services de protection de l’enfance


Victime de viols répétés, Karine Jambu et sa tante Laurence Brunet-Jambu publient le livre Signalements pour dénoncer l’inaction de l’aide à l’enfance. — C. Allain 20 Minutes
  • Victime de viols répétés sous les yeux de ses parents alors qu’elle n’avait que quatre ans, Karine Jambu critique la justice et l’aide à l’enfance, qui n’ont pas su la protéger.
  • Avec sa tante Laurence Brunet-Jambu, elle publie le livre SignalementS où elle dénonce l’inaction des services.
  • En 2018, Roland Blaudy, son bourreau, a été condamné à trente ans de prison. Deux mois plus tard, l’Etat était condamné pour déni de justice en raison de son inaction.

Elle a choisi de parler, au nom des autres enfants victimes de viols. Aujourd’hui âgée de 22 ans, Karine Jambu a vécu une enfance atroce. Née d’une mère reconnue coupable d’avoir tué son bébé à coups de couteau et qui ne l’a jamais aimée, la petite fille n’aurait jamais dû grandir auprès de ses parents. Malgré les nombreux signalements, elle n’a jamais été placée. Violée depuis l’âge de 4 ans au domicile familial par un « ami » sous les yeux aveugles de ses parents, elle a vu son bourreau Roland Blaudy être condamné à trente ans de prison l’an dernier par la cour d’assises de Rennes.

Engagée dans un combat contre l’État qu’elle a déjà fait condamner, Karine Jambu vient de publier SignalementS, un livre coécrit avec sa tante Laurence Brunet-Jambu. L’une des seules personnes qui a toujours cherché à la protéger. « L’objectif de ce livre, c’était de libérer la parole, que ça puisse donner une certaine force à d’autres personnes pour témoigner », explique la jeune femme, un brin timide.

L’ouvrage, où sa tante raconte la vie de Karine depuis sa naissance, est surtout une vaste critique de la protection de l’enfance. Des magistrats butés aux assistants sociaux défaillants, les deux femmes peignent un tableau sombre du milieu.

« Je crois qu’on ne se rend pas compte de ce qu’on fait vivre aux enfants victimes. On pense que la justice est juste, mais elle ne l’est pas du tout. Dans la magistrature, il y a 80 % de gens qui travaillent bien. Et 20 % qui n’ont rien à y faire. Quand vous avez ces gens en face de vous, votre dossier est plombé. Ces gens pourrissent des vies », lance Laurence Brunet-Jambu, amère.

Lors du procès aux assises, l’avocat général avait d’ailleurs présenté ses excuses à Karine, estimant que la justice « avait manqué de clairvoyance ». Deux mois plus tard, l’État était condamné pour déni de justice.

Accompagner la parole de l’enfant

Et pourtant, la fillette qu’elle était a toujours été suivie par les services sociaux. Mais jamais ces derniers n’ont jugé bon de l’enlever à ses parents. « Un enfant, il faut que sa parole soit accompagnée, qu’il se sente en confiance, qu’il ne soit pas stressé, qu’il sache qu’il faut qu’il parle pour son bien », lance Laurence Brunet-Jambu. Sa nièce confirme.

« J’avais peur sans cesse. Peut-être que si on m’avait dit « tu retourneras pas chez tes parents », peut-être que j’aurais osé parler. Ça m’aurait peut-être aidée ».

Au lieu de cela, Karine a parfois dû faire face à des juges méfiants, qui mettaient en doute les alertes concernant ses parents.

Pour appuyer ses critiques, la tante de Karine a décidé de citer nommément les personnes « qui n’ont pas voulu protéger » sa nièce dans son livre. Ne craint-elle pas d’être attaquée pour diffamation ? « C’est ce qu’on attend », lance-t-elle, en étrillant le médecin de famille, toujours installé à Chantepie. Ce dernier n’avait pas su déceler les sévices dont Karine était victime et avait rédigé deux certificats assurant que l’enfant vivait normalement. Et la petite fille était rentrée chez elle, au lieu d’être placée.

« Il n’a jamais examiné Karine ! Au tribunal, il a défendu les parents. C’est indéfendable. Elle savait à peine lire à 10 ans. Et elle n’avait aucun retard ? », s’emporte la tante. « Pour lui, tout était normal », embraye Karine, dépitée. Jamais elle n’a revu ses parents depuis le procès aux assises en juillet 2018. « Ils sont comme morts pour moi ».

Grâce à sa tante et son oncle, qui l’ont adoptée, l’enfant traumatisée qu’elle était a réussi à se reconstruire petit à petit, allant jusqu’à obtenir son bac. Elle est aujourd’hui TISF, ou technicienne de l’intervention sociale et familiale. « J’interviens dans les familles en difficultés qui sont suivies par l’aide sociale à l’enfance ».

Une revanche sur la vie ? « Non. Mais les TISF, quand elles venaient, c’étaient les seuls moments où j’avais quelqu’un qui s’occupait de moi. Je voulais apporter ça aux enfants ».

« On m’appelle d’un peu partout. Des enfants comme Karine »

Dans le même temps, sa tante s’est démenée pour lancer des procédures judiciaires à l’encontre des personnes qui n’ont pas su l’écouter. En coulisses, certains la surnommaient « la folle », tant elle a harcelé les instances judiciaires. « J’ai appuyé là où ça faisait mal », estime Laurence Brunet-Jambu. Femme engagée, elle est aujourd’hui présidente de l’association Alexis Danan de Bretagne et se bat « pour protéger les enfants ». « On m’appelle un peu de partout. Des affaires incroyables à chaque fois. Des enfants comme Karine, qui ne sont pas protégés ou victimes de décisions de justice abracadabrantes ».

Pour elle, il faut poser « cinq milliards d’euros sur la table » pour la protection de l’enfance et des victimes de violences conjugales. « Un véritable plan Marshall », seule solution pour protéger les jeunes victimes. Laurence Brunet-Jambu a également mis au point une méthode appelée Calliope.

Un véritable guide d’accompagnement pour toutes les personnes censées recueillir la parole d’un enfant. Sa méthode, elle la présente aujourd’hui aux futurs juges en formation à l’école de la magistrature. La plus belle des revanches.

Source : 20minutes.fr

 

Source(s):