Si l’affaire Outreau a fini par sortir, c’est parce que, comme une cocotte minute sur le feu, le couvercle devait sauter dans ce quartier où plusieurs réseaux pédophiles s’entrecroisaient. Il n’a jamais été possible d’établir l’existence de ces réseaux devant la justice, même si tous les protagonistes qui ont parlé, coupables et victimes, ont aussi parlé de réseau. On va aborder aujourd’hui quelques-uns des “dossiers connexes”, tombés dans l’oubli, et pourtant reliés de près à l’affaire Outreau qu’on connait.
On connait plus ou moins bien le procès Outreau : sept condamnations en première instance, quatre en appel. 17 enfants reconnus victimes en première instance, 12 en appel. Mais, l’affaire a été saucissonnée, comme on dit, et plusieurs volets de l’affaire Outreau ont été disjoints. Il est vrai que si tous ces dossiers connexes avaient été jugés dans le cadre de l’affaire Outreau que nous connaissons tous, l’instruction aurait été interminable[1].
En voici quelques-unes dont nous pouvons parler:
Le 26 juin 2001, deux couples sont arrêtés dans le cadre d’un dossier parallèle à l’affaire Delay/Badaoui, pour des faits de pédophilie. A ce moment, un avocat explique dans la presse qu’il y avait 6 ou 7 dossiers similaires dans ce quartier de la Tour du Renard, à Outreau. Cependant, on n’a jamais réentendu parler de ces couples arrêtés.
Le journaliste Frédéric Lavachery, auteur d’un livre sur l’affaire Dutroux, qui a éclaté en 1995 en Belgique, explique que, dès 1999 les renseignements généraux français se sont intéressés au mouvement de citoyens belges contre les réseaux pédophiles, les Comités Blancs, qui ont fait si peur au pouvoir belge. Il écrit :
“En 1999, la profileuse belge Carine Hustebaut avec laquelle je travaillais sur plusieurs dossiers, notamment les cd-rom dits de Zandvoort, m’a demandé si j’étais d’accord de rencontrer une cellule des Renseignements Généraux français qui souhaitaient comprendre ce qui se passait en Belgique. J’ai accepté et nous nous sommes vus à Lille. Nous étions quatre, deux agents des RG, Carine Hutsebaut et moi. Les RG m’ont expliqué que leur cellule avait été mise sur pied pour enquêter sur l’action des Belges face aux réseaux de pédocriminalité dans le but de débusquer d’éventuels réseaux de même nature en France. Pour ma part, je leur ai fait part des raisons de la mobilisation sans précédent de la population belge en solidarité avec les familles victimes de Dutroux et consorts.
Nous nous sommes vus une deuxième fois à Lille. Je leur ai dit que l’objectif de leur cellule n’était nullement de démanteler de tels réseaux mais d’éviter qu’en France une affaire de type Dutroux ne vienne déstabiliser le régime. Penauds, ils m’ont dit que j’avais raison.
Cette mise au point faite, j’ai accepté de les éclairer sur la mobilisation populaire belge, celle-ci étant de toute manière pénétrée par les services de la Sûreté de l’Etat belge et notre action n’ayant rien de clandestin. Ils m’ont demandé s’ils pouvaient assister à l’une des réunions de notre association, le ” collectif des victimes passées en résistance “, lequel était composé d’une quinzaine de personnes victimes de diverses formes de criminalité institutionnelle, dont une diplomate de haut rang et deux gendarmes.
Ayant reçu l’accord des membres du collectif, j’ai donc invité les deux agents des RG à l’une de nos réunions, à proximité de Bruxelles. Ils sont arrivés avec une dame qu’ils ont présenté comme leur chef et ils ont assisté à nos travaux, qui n’avaient rien de confidentiel. Je n’ai plus entendu parler de cette cellule par la suite.
En 2001, la presse a commencé à rendre compte de l’affaire d’Outreau et, très rapidement, il est apparu qu’elle prenait l’exact contre-pied de l’attitude adoptée par la presse belge entre 1996 et 1998.”
Le procès Danger/Vandevelde
Le 12 novembre 2001, alors que l’affaire Outreau fait la “Une” des médias depuis près d’un an, trois couples sont arrêtés. Il s’agit de trois frères, les Danger, mariés à trois sœurs Vandevelde, avec quelques échanges d’un couple à l’autre, et 16 enfants au total (ils ont été placés le même jour). Ils vivaient dans un immeuble en face de chez les Delay. Ce sont les deux aînés de la famille, placés depuis 1999, qui ont parlé à leurs assistantes maternelles.
Un autre couple a également été arrêté dans le cadre de l’affaire Delay/Badaoui, mais on n’en a pas entendu parler davantage.
Les trois couples Danger/Vandevelde ont été arrêtés pour des actes pédophiles répétés sur leurs enfants, ainsi que la grand-mère maternelle, chez qui se seraient déroulés une partie des faits. C’est le procureur Lesigne qui suit l’affaire, comme pour Outreau. Il n’a donc été question que d’une “affaire d’inceste familial“.
Dans le dossier Outreau, on apprend que certains de leurs enfants sont cités comme victimes par les témoins du dossier Delay/Badaoui. L’un des acquittés est cité par une victime comme agresseur d’un des enfants Danger. Une autre victime cite plusieurs enfants Danger comme victimes des Delay. Badaoui, quant à elle, a déclaré qu’une des femmes Vandevelde faisait partie du réseau.
Mais quand certains enfants sont entendus par la police et les psychologues dans le cadre de l’affaire Outreau de base, ils nient avoir subi quoi que ce soit, et se montrent même totalement bloqués au départ. L’un d’eux finit par dénoncer un acquittés, mais jamais ses parents. Il se rétractera lors du procès en appel, permettant d’acquitter ce suspect, qui avait été condamné en première instance.
La presse dépeint les trois couples, défendus par les ténors de l’affaire Outreau tels que Moretti, Berton et Delarue fils,comme des débiles qu’on attaque injustement, à cause du délire de l’affaire Outreau.
En mai 2002, alors que les trois couples sont toujours en préventive, une codétenue d’une des sœurs Vandevelde, ulcérée, est entendue par la police. Elle explique que cette femme est “très intelligente” mais “joue les naïves” (comme tous les accusés dans cette affaire, d’ailleurs). La codétenue déclare qu’elle a dit avoir commis des attouchements sur les enfants, et même qu’elle faisait partie d’un réseau pédophile. En gros, on prostituait les enfants contre de l’argent ou des provisions. Là aussi, il est question de cassettes vidéos, qui auraient “été dégagées avant l’arrivée de la police“.
Finalement, les trois couples sont relâchés discrètement en septembre 2004. Leur procès est reporté à juillet 2005, juste après le procès en appel de l’affaire Outreau.
C’est seulement en mars 2006 que le procès commence, à Saint-Omer, en plein pendant la commission d’enquête parlementaire sur Outreau. Au cours des trois semaines d’audience, les adultes nient les accusations de pédophilie. On apprend qu’en 1997, Christian, l’oncle d’une des victimes, Jessica, a été condamné à 18 mois fermes pour des attouchements commis en 1996. Tout le procès repose sur le seul témoignage de Jessica, qui est évidemment attaquée par les avocats de la défense. Son frère qui accusait un acquitté d’Outreau s’est rétracté, ce qui fragilise encore plus l’accusation. Et les médias s’en donnent à cœur joie, en ne donnant la parole qu’aux avocats de la défense et en rappelant lourdement “le fiasco de l’affaire Outreau”. “Devant la juge, [X] a évoqué la violence de [son compagnon] la forçant à avoir des rapports avec ses frères, à regarder des films pornos en présence des enfants, elle a parlé de ses manières suggestives avec eux? “Depuis, elle dément, affirme Me Hubert Delarue. Elle a subi beaucoup de pressions, été frappée en prison? Elle a fini par broder, dans le climat de psychose pédophile de l’époque.” “, nous dit l’Express du 23 mars 2006.
Leurs enfants ainés se sont plaints en 2001, à l’âge de 15 et 10 ans, de violences sexuelles commises par les adultes, auprès des assistantes maternelles chez qui ils étaient placés. Là aussi, les scènes étaient parfois filmées. Interpellés, les parents nient, de même que certains enfants. Finalement, tous les enfants sont placés en famille d’accueil. Au moins l’un d’eux ne veut plus retourner chez ses parents. C’est lui qui, après avoir dit qu’il n’avait rien vu, rien entendu, a dit avoir vu le viol de sa cousine par son père et ses deux oncles. Pourtant, on a tout fait pour l’intimider : “J’ai bien posé les risques qu’encouraient ses parents quant aux accusations qu’il tenait. Il a maintenu“, a déclaré l’avocat général. Pourtant, un an avant le procès, on a permis aux accusés de revoir leurs enfants.
L’oncle déjà condamné a été cité par les victimes également dans ce dossier, mais il n’est pas renvoyé au tribunal. Contrairement à ce que dit la presse, ce n’est pas parce qu’il était en prison au moment des faits : il n’a fait que 18 mois de taule au maximum, alors que la période infractionnelle va de 1994 à 2001 !
Là aussi, l’aînée dit qu’elle a été violée par ses oncles, son frère et ses cousins, mais une expertise médicale conclut qu’elle est vierge. Echaudés par Outreau, des experts nommés pour de nouvelles expertises des enfants concluent que les témoignages de 9 enfants sur 10 ne sont pas consistants.
Les six sont condamnés à 2 ans de prison (couverts par la préventive) et font appel. En appel, en novembre 2007, cinq sont jugés coupables : deux hommes prennent 6 ans de prison, une femme et un homme ont pris 4 ans et la dernière a pris 2 ans, mais ils ne comparaissaient que pour agressions sexuelles et corruption de mineurs.
A l’issue du procès en appel, l’avocat général a demandé au maximum 8 ans de prison, car selon lui il s’agissait d’une “banale affaire d’inceste” qui n’a “rien à voir avec la première affaire Outreau“. Il a aussi demandé aux jurés de ne pas retenir les viols, “au bénéfice du doute“. “La défense a calculé que l’avocat général avait abandonné dans son réquisitoire 35 viols et 42 agressions sexuelles sur dix victimes” et avait seulement gardé“des délits de violences, de corruption de mineurs et une agression sexuelle de trois accusés sur une seule victime”.
Le 2e procès des Lavier
Le couple Lavier figure parmi les acquittés de l’affaire Outreau. Franck avait été condamné en première instance. Au moment où toute la presse française encensait lesdits acquittés à l’occasion des dix ans de l’affaire Outreau, le procès des Lavier pour corruption de mineurs démarre, en février 2012.
Un an plus tôt, le couple avait été placé en garde-à-vue suite à la fugue de deux de leurs enfants de 10 et 11 ans en plein mois de février. Deux frères de Lavier étaient également arrêtés et poursuivis. Les deux gamins avaient parcouru plusieurs kilomètres en pleine nuit et en hiver pour regagner le domicile de leur assistante maternelle, où ils avaient été placés durant l’incarcération de leurs parents.
Ils ont dénoncé diverses maltraitances, et une enquête est lancée, qui aboutit à la perquisition chez les Lavier, au cours de laquelle plusieurs vidéos de soirée arrosées montrent des gestes sexuellement explicites en présence de mineurs. Dans les extraits des vidéos projetés lors de l’audience, on y voit les Lavier, en compagnie d’amis et de membres de la famille, adopter des positions obscènes auxquels assistent des enfants, parfois pris à partie. “C’est venu dans l’amusement“, souligne Sandrine Lavier. “Et vous trouvez normal d’embrasser votre fille mineure à pleine bouche ?“, tonne la juge. Des photos des maltraitances ont été diffusées aussi, montrant la fille des Lavier couverte de bleus.
Evidemment, cela rappelle certains éléments du dossier Outreau : les partouzes avec les mineurs filmées, les propos équivoques de Lavier à sa belle-fille (“A. suce-moi la bite“) ou à sa sœur (“vivement qu’elle a du poil que je l’encule”), l’ambiance salace qui régnait dans cet immeuble…
Finalement, au tribunal, on laisse tomber la corruption de mineurs et on ne retient que les maltraitances. Déjà extrêmement graves en elles-mêmes, mais largement minimisées : “Il pourrait s’agir de “punition désagréable”, selon le parquet, bien loin des très graves accusations de maltraitance et encore moins de maltraitance sexuelle, portées lors de l’affaire d’Outreau. L’enquête de police a écarté les accusations de maltraitance, comme celles de violences sexuelles”.
“Quelques jours après l’énoncé du verdict, Bernadette Lavier, mère de Franck, se dit extrêmement “déçue”» de la sanction prononcée par le tribunal de Boulogne-sur-Mer, à l’encontre de son fils et de sa belle-fille Sandrine. “Ils ont respectivement écopé de huit et de dix mois de prison avec sursis, pour les faits de violences sur leurs enfants, commente la mère de famille. Je trouve la peine bien légère au regard des preuves et du résultat des examens médicaux. Depuis l’affaire d’Outreau, Sandrine et Franck sont de toutes façons protégés. Ce ne sont plus des citoyens lambda“, écrivait la quotidien local La Semaine dans le Boulonnais.
En dehors de cela, les enfants vivaient dans des chambres sales et sans jouets, qualifiées de “mouroirs” durant le procès, mais équipées de caméras de vidéo surveillance. Il parait, selon les Lavier, que c’était pour vérifier depuis le salon si les enfants faisaient bien leurs punitions, puisque eux ne montaient plus jamais voir leurs enfants, au dernier étage. Accessoirement, à cette époque la grande maison achetée 255000 € avec l’argent des indemnités n’était pas chauffée, car la chaudière était tombée en panne et que le couple n’avait plus d’argent pour la faire réparer. Certes, les avocats ont du couter cher, mais les Lavier ont perçu 500.000 euros à eux deux.
Des photos montrant l’ampleur des maltraitances ont été montrées durant le procès, avec les genoux tuméfiés des enfants suite au supplice du balai (rester des heures avec un balai sous les genoux), les bleus sur les enfants, les expertises médicales étaient à charge, de même que les témoignages de nombreux voisins et copains d’école des enfants, mais en sortant, Lavier trouve quand-même que sa condamnation à 18 mois de sursis, c’est “un peu excessif“.
De fait, on a seulement reconnu qu’ils n’avaient ” pas protégé leurs enfants” (mais contre qui? Eux-mêmes!). Lui aussi était défendu par Me Franck Berton, l’ex avocat de Marécaux et même des Danger, qui intervient aujourd’hui pour Daniel Legrand.
Mais c’est étrange, rien de tout cela dans le documentaire panégyrique de Karine Duchochois devenue journaliste, sur les acquittés. Elle y interviewe les Lavier, qui montrent alors deux chambres très coquettes, avec des cadeaux même pas ouverts, et un couple Lavier qui dit ne pas comprendre la réaction de ces enfants ingrats. Leurs avocats ont encore dénoncé un “harcèlement judiciaire”et fait abusivement référence au procès d’Outreau.
Dans 7 à 8, pareil : on leur laisse largement la parole pour nier en bloc les accusations contre eux, avec l’air innocent et dégagé qu’on leur connait.
Ils ont été condamnés à 8 et 10 mois de sursis. “Ca va, je pensais que ce serait pire“, a commenté Lavier à la sortie du tribunal le jour de l’énoncé du verdict.
L’affaire Rudy L.
Deux autres acquittés, les Legrand père et fils, sont cités par un enfant de la famille comme l’ayant agressé sexuellement. Expulsée de sa maison, la famille Legrand (les parents et les fils G. et Daniel) a résidé durant 5 mois chez une tante, la belle-sœur de Legrand père. Les six enfants de cette tante étaient placés depuis mars 2001, comme Rudy, mais revenaient le week-end.
Entendu en janvier 2002, Rudy L. explique : “Les trois cousins m’ont déshabillé, ils ont baissé mon pantalon et mon slip en bas des jambes, et eux ont fait la même chose“, puis “ils ont mis leur fifi chacun dans mon derrière. Mes cousins m’ont demandé de me mettre à quatre pattes la tête dans le fauteuil, et chacun leur tour ils ont rentré leur fifi dans mon derrière, je ne voulais pas, mes cousins me tenaient“. Ce qu’il déclare est confirmé par sa sœur qui a vu Daniel commettre des attouchements sur des enfants.
Les assistantes maternelles ont aussi entendu leur mère dire à ses enfants : “tu as intérêt à fermer ta gueule et ne plus parler de tes cousins à ta tata” (son assistante maternelle chez qui il a été placé).
Ce qui serait presque amusant si l’affaire n’était aussi terrible, c’est que Legrand père, entendu par la police, déclare ne pas connaitre Rudy L. D’ailleurs, il a dit ne connaitre aucun des enfants victimes. Puis quand le juge lui rappelle qu’il s’agit de son neveu, Legrand déclare : “Ah c’est ça. Disons que le nom me dit quelque chose” et il se rattrape en disant “je sais que ma belle-sœur a un fils qui s’appelle Rudy mais je ne sais pas s’il avait gardé le nom de sa mère et de son père“.
Bizarrement aussi, les deux Legrand ont évité jusqu’au bout de parler au juge et à la police de leur passage chez la mère de Rudy L., durant cinq mois. S’ils ont parlé de ce séjour, c’est parce que les enquêteurs leur ont clairement posé la question. Daniel Legrand n’est peut-être pas très malin, mais il sait mentir par omission.
Au moment de ces révélations, Daniel Legrand fils avait avoué à plusieurs reprises avoir violé les enfants, et il avait même avoué un meurtre. Pourtant il semble bien que cette affaire du possible viol d’un cousin soit tombée aux oubliettes.
Pourtant, Daniel Legrand n’est pas une oie blanche : il a été arrêté pour des chèques volés en Belgique en 1999, et le 30 janvier 2007, il est arrêté par la douane au retour d’Ostende. Il se balade avec 130 g d’héroïne qu’il avait avalée et cachée dans son slip[2]. “Il s’agirait de son quatrième voyage d’approvisionnement en Belgique depuis octobre 2006. M. Legrand devait être remis en liberté sous contrôle judiciaire en attendant de comparaître devant le tribunal correctionnel“. Il a pris un an de prison dont 9 mois avec sursis pour “transport et importation” (pas la vente ni l’achat, donc), ce qui n’est pas cher payé du tout pour ce type de trafic.
Le procès Legrand bis
Daniel Legrand fils a été acquitté pour les faits qu’on lui reprochait alors qu’il était majeur. Né en 1981, il devait encore répondre des faits reprochés entre 1997 et 1999.
Or, ce procès n’est jamais venu et il a fallu que l’association Innocence en Danger et une victime rappellent à la justice de fixer enfin une date pour ce procès pourqu’enfin cette partie des faits soit examinée. Car en octobre 2013, les faits auraient été prescrits si cette procédure n’avait pas été relancée in extremis.
Ce procès est programmé pour mai 2015 à Rennes, et plusieurs avocats d’Outreau I rempilent, comme Mes Dupont Moretti ou Delarue. Ils seraient une dizaine, prêts à s’attaquer à une seule partie civile, un ado de 20 ans.
Il serait intéressant, par exemple, de vérifier les propos de Daniel Legrand selon lesquels il était payé pour participer aux partouzes[3], auquel cas il était victime de prostitution. Ou de vérifier si, comme il le dit aussi, il n’a jamais mis les pieds à Outreau.
En tout cas encore une fois, les médias en font des tonnes sur “le fiasco du procès Outreau“, sous-entendant que tout a été dit même s’ils font comme si aucun enfant n’avait été reconnu victime, ce qui est bien réel mais jamais dit.
Et il semble qu’une chose grave se soit produite au sujet de ce procès. Quand il apprend qu’il comparaîtra finalement pour cette période d’infraction, il explique : “Ça m’a surpris quand même. Normalement c’était fini tout cela. Le procureur de Paris avait dit qu’on ne passerait pas par là ! Je n’ai rien à me reprocher alors j’irai la tête haute.” Tiens donc : le procureur avait dit que ce procès n’aurait pas lieu, alors que légalement il devait avoir lieu.
Le copain de Dupont Moretti, chroniqueur judiciaire au Figaro, à savoir Durant-Soufflant[4], nous apprend en juillet 2013 que “L’avocat Éric Dupond-Moretti accuse, dans un courrier, le procureur général de Douai d’avoir “renié la parole du parquet général“”.
Utilisant une bonne vieille rhétorique déjà utilisée dans tous les scandales de pédophilie, il qualifie Innocence en Danger que “militants jusqu’au boutistes de la cause des enfants” qui ont fait rouvrir le procès rien que pour embêter tout le monde. Car, ce journaliste fait partie de ceux pour qui rappeler l’existence d’enfants reconnus victimes dans cette affaire revient à faire du “révisionnisme”, selon son expression.
Enfin, bref, on comprend donc que le parquet général a fait la promesse à un avocat de la défense de ne pas faire ce procès, ce qui est assez incroyable il faut le dire. “Dans un courrier cinglant, Me Dupond-Moretti rappelle à Olivier de Baynast que l’un de ses prédécesseurs avait assuré à la défense de Daniel Legrand que “cette affaire ne viendrait jamais devant une juridiction”: il reproche au procureur général de «renier la parole du parquet général“, lit-on ainsi dans ce journal.
Le meurtre de la petite fille
Une autre affaire qui a été disjointe car le dossier d’instruction d’Outreau était déjà chargé, est cette histoire du meurtre d’une petite fille belge, auquel Legrand fils a dit à plusieurs reprises avoir assisté. “Il a tué la fillette avec ses mains parce qu’elle hurlait et il a pas supporté, j’étais présent au moment où il l’a fait“, a déclaré Legrand à l’expert qui faisait l’examen de sa personnalité.
En janvier 2002 il écrit au juge Burgaud et à la chaine France 3 pour raconter dans le détail la scène du meurtre[5]. Entendu par le juge, il confirme ses propos et il réclame une protection policière pour lui et sa famille.
Quand ce meurtre est connu par la presse, on assiste à un revirement total. Jusque-là, la plupart des médias suivaient l’affaire en accordant un minimum de crédibilité aux dires des enfants, mais dès le moment où ce meurtre a été connu, il n’a été question que de décrédibiliser tout ce qu’ils avaient pu dire.
Myriam Badaoui et un de ses fils ont également décrit comment s’est déroulé le meurtre. Ils ont fait la même description de la fillette et du monsieur qui l’accompagnait, mais aussi du déroulement des faits. L’enfant a dit que le corps avait été enterré dans les jardins ouvriers et ont désigné un endroit, qui a été fouillé au tractopelle. Mais cela n’a rien donné, et la presse a dit qu’on gaspillait l’argent public dans une affaire qui n’avait ni queue ni tête, comme ce fut le cas dans l’affaire Dutroux avec les fouilles à Jumet.
Un autre des accusés d’Outreau, décédé en prison, était, selon Legrand et Badaoui, présent lors du meurtre. Etrangement, sa fille a déclaré en 2004 : “Cette petite fille a été violée puis tuée, c’est mon père qui me l’a dit il y a longtemps, quand il remontait dans le camion, alors que moi, j’y étais restée. Il m’a dit : “il y a une fille qui est morte ! […] quand il remontait dans le camion, il sortait juste de la tour du renard.”
Des recherches ont été faites du côté belge afin de savoir si une petite fille correspondant à la description avait été portée disparue dans les mois précédents, mais ce fut négatif.
Une des filles d’un couple acquitté mais qui a été reconnue victime en appel, parle aussi, dans un PV versé au dossier, du meurtre d’une petite fille belge de 5 ou 6 ans : “je sais que c’est une petite fille belge car ma mère m’a dit qu’une petite fille belge allait être violée ce soir”. En réalité, cette enfant a écrit plusieurs lettres parlant de ce meurtre, mais l’avocat de son beau-père qui les détenait pourtant n’a pas demandé qu’elles soient versées au dossier: “Me Franck Berton, avocat de la défense[6], a produit à l’audience la semaine dernière une de ces pièces litigieuses, une lettre rédigée par la fille de l’accusée Sandrine Lavier.
Me Berton a déclaré à Reuters avoir en fait retrouvé cinq lettres de ce type, écrites par cette fillette et par une autre enfant, entre janvier et mars 2002“, nous apprend Le Nouvel Observateur en novembre 2005, lors du procès en appel.
Une démarche qui laisse perplexe pour un avocat qui n’a eu de cesse, comme ses confrères, de traiter les enfants de menteurs. Ces lettres, en tout cas, ne figurent pas au dossier. Et on sait que dès le début de l’affaire, des documents ont disparu du bureau du juge d’instruction.
Legrand est revenu sur ses aveux trois ou quatre mois plus tard, expliquant, lui qui est à la limite de la débilité selon un expert, qu’il a tout inventé pour confondre Badaoui et que ses mensonges sautent aux yeux de tous, prouvant ainsi qu’il était innocent.
L’enquête sur ce meurtre se termine par un non-lieu le 11 juin 2003.
On constate, et ce n’est là qu’une partie des affaires connexes, que le véritable dossier Outreau était encore plus tentaculaire qu’on ne nous le laissait penser. Si toutes ces affaires sont passées largement aux pertes et profits de la couverture médiatique générale, c’est essentiellement parce qu’elles mettaient à mal la version orthodoxe de l’affaire selon laquelle les futurs acquittés étaient forcément innocents.
[1] Comme les suspects étaient en détention préventive, les juges d’instruction ont du aller le plus rapidement possible.
[2]
[3] « J’ai fais ça pour l’argent, et moi j’ai accepté…. C’est Thierry Delay … Je touchais 300, 400, parfois jusqu’à 600 francs, parfois j’avais du shit avec… »
[4] Il a écrit la biographie de Dupont Moretti, Bête Noire. Il est intéressant de souligner que moult magistrats de l’affaire Outreau avaient dénoncé une connivence hors norme entre certains journalistes et les avocats de la défense.
[5] D1.092 : Il écrit « je vais vous faire ces révélations car je ne supporte plus de garder cela au fond de moi. Mais je ne voudrais pas endosser la mort d’une fillette alors que je n’ai été que simple témoin. En effet fin 1999 je me trouvais chez les XXXXX, quand XXXXX et un vieux monsieur sont arrivés accompagnés d’une petite fille de 5 à 6 ans, et soi disant Belge d’après XXXXX. Je crois que le vieil homme aussi Belge connaissait l’enfant, car elle lui tenait toujours la main. Le vieil homme a abusé de la petite mais la petite hurlait et c’est là que XXXXX l’a battue à mort à la tête. Il avait même filmé mais après ce drame il a débobiné la bande de la cassette et l’a détruite ».
[6] Lors du procès Outreau 1, puis lors du 2e procès des Lavier pour les « maltraitances » .