Pontoise | Jugement scandaleux ; Témoignage : “Je m’appelle Alice. J’avais douze ans.”

 

A 11 ans, on pourrait avoir une relation consentie avec un homme de 28 ans.

Mardi, le tribunal de Pontoise a en effet renvoyé l’accusé d’un tel acte pour “atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans”, rejetant la plainte pour viol, en raison du fait que rien ne laissait supposer que la relation sexuelle entre l’homme et l’enfant avait été obtenue sous la “violence, contrainte, menace ou surprise”.

Si le procès a été renvoyé en février prochain, cette décision a suscité un vif émoi dans l’opinion. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, lui, recommande que soit retenu comme seuil en dessous duquel les mineur.e.s seront présumé.e.s ne pas avoir consenti.

Un appel à changer la loi pour mieux protéger les victimes mineures de viol.

Alice, victime d’une agression à douze ans, a voulu témoigner de son expérience.

“Ce n’est pas moi qui me suis tue. C’est mon corps qui a choisi pour moi.”

Un témoignage fort.

Je m’appelle Alice. C’est une bien drôle de manière de commencer un article. Et pourtant, c’est là tout le sens de mon propos. Je m’appelle Alice, et cela fait plusieurs jours que j’assiste, démunie, incapable, aux conversations au sujet du déjà tristement célèbre « procès de Pontoise ».

Une petite fille de 11 ans, jugée consentante à son propre viol. Les médias s’affolent. La société se morfond, crie au scandale, se rachète une conscience, à l’heure où 84 000 femmes sont encore victimes de viol chaque année dans l’insouciance générale.

Jamais l’opinion publique ne m’est apparue aussi soudée, aussi unie. La justice apparaît esseulée face aux quelques 60 000 signatures de la pétition priant Nicole Belloubet d’intervenir au plus vite.

Les commentaires interrogeant la tenue de la petite fille se font rares et encore plus rares sont ceux qui osent questionner sa culpabilité.

« Douze ans et les doigts d’un inconnu aux cheveux blancs dans ma culotte. »

Vingt minutes. C’est risible, dix ans plus tard.

J’avais douze ans. Douze ans et les doigts d’un inconnu aux cheveux blancs dans ma culotte, le temps d’un trajet de bus pour rentrer à la maison. Cinq doigts. Douze ans. Un grand-père.

Je suis certaine qu’il était grand-père. Et un deuxième grand-père, et un père de famille, et deux adolescents aux cheveux gras, et une maman et son enfant, et un conducteur de bus, et tous les visages qu’on croise chaque jour sans jamais y prêter attention.

Cinq doigts dans ma culotte de petite fille à l’heure de pointe. Beaucoup de visages, pas un regard, pas une main tendue.

J’ai eu envie de crier, bien sûr. Mais ses doigts se sont enfoncés encore. Encore et encore. Ce n’est pas moi qui me suis tue.

C’est mon corps qui a choisi pour moi.

Est-ce pour ça que les visages inconnus ont choisi de me tourner le dos plutôt que d’essayer de me sauver ?

Est-ce parce qu’ils ont jugé que si je ne disais rien, c’était parce que j’étais consentante ?

Qu’il valait mieux nous laisser faire notre affaire ?

« Le plus dangereux, c’est quand il n’y a personne ».

C’est ce que m’a toujours répété ma mère. Le plus dangereux, c’est quand il n’y a personne ; personne pour te défendre, personne pour intervenir. Le bus était bondé.

Bondé de visages fatigués, usés par les journées d’hiver, mais bondé d’adultes responsables.

Pas de danger, donc. Ses doigts se promènent librement dans ma culotte.

« Et puis n’oublie pas qu’avec ta taille, tu fais plus vieille que ton âge ».

Alice, douze ans, fait plus vieille que son âge. Un mètre soixante, des airs de jeune fille de quatorze ans, au moins.

C’est donc ça ? C’est pour cela que cette même société qui s’offusque du sort infligé par la justice à la petite Sarah a préféré baisser les yeux, ignorer la petite Alice ?

Vingt minutes. Vingt minutes, un bus, un monde fou et un sentiment de solitude tellement perçant qu’il me laisse encore amère dix ans plus tard.

« Vous comprenez Monsieur le policier ? J’avais trop peur. »

Je me souviens que l’idée d’aller porter plainte, si elle a été évoquée, n’a pas fait long feu.

Alice, 12 ans, dépose une plainte contre Monsieur X, très grand, très vieux, beaucoup de cheveux blancs et des tonnes de poils. Des tonnes de poils. Son visage ? Je sais pas Monsieur le policier, je suis désolée, je l’ai pas regardé, j’ai juste vu ses mains, des grandes mains, des grands doigts, il avait un manteau noir, je crois qu’il avait peut-être des lunettes, j’ai eu l’impression qu’il remettait ses lunettes, comme je fais parfois quand il fait chaud et qu’elles glissent sur mon nez, mais je sais pas Monsieur le policier, je sais pas parce que j’avais trop peur.

Vous comprenez Monsieur le policier ? J’avais trop peur.

Vous plaisantez, ça n’a pas de sens.

J’ai passé les dix dernières années de ma vie à protéger jalousement ce secret. En me convaincant ça n’avait pas de sens. Que les grands-pères ne tripotent pas les enfants de 12 ans.

Et encore moins à l’heure de pointe, devant les yeux éteints des passagers. Dix ans sans en parler à personne, honteuse, coupable. 

Et puis vient le Procès de Pontoise et d’un coup, d’un seul, la société entière a quelque chose à dire du consentement des mineur.e.s.

Certains voudraient nous faire croire qu’une enfant a délibérément choisi de suivre un homme de 28 ans et d’avoir un rapport sexuel avec lui.

Mais comprenez bien, à onze ans, la culotte c’est l’endroit où l’on fait pipi.

Aucune petite fille de onze ans ne mesure bien les enjeux qui touchent à sa culotte, soyez en certains. 

Je m’appelle Alice. Et c’est la première fois que j’ai envie de le dire, de le crier. Je ne me veux plus me contenter de parler de « celles à qui cela arrive ».

59% des victimes de viol ou de tentative de viol le sont avant leurs 18 ans.

Elles sont partout autour de vous, dans votre famille, dans vos amis, dans votre équipe au travail.

Vous croisez leurs regards brisés dans le bus, dans le métro, dans l’ascenseur de votre immeuble, au supermarché.

Et bien que j’espère que le « Procès de Pontoise » sera l’occasion d’une prise de conscience aussi bien des pouvoirs publics que de la société, les pétitions et l’agitation médiatique ne sont pas le seul recours à ces violences.

N’attendez pas l’impensable. Il y a un véritable enjeu à ce que ces jeunes filles trouvent une oreille et des yeux attentifs. 

Trop longtemps, je me suis essayée au silence. Comme beaucoup d’entre nous. 

Source : Elle

Source(s):