Paris | Victime de viols par un célèbre flûtiste, Léa dénonce et alerte
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
- 09/02/2018
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Un célèbre flûtiste condamné pour atteintes sexuelles sur mineure, doit partir en Chine avec de jeunes musiciens mineurs. Léa*, sa victime, s’indigne.
De septembre 2012 à juin 2013, Léa* a subi des atteintes sexuelles de la part d’un célèbre musicien classique. Elle avait 16 ans et affirme avoir été manipulée psychologiquement avant de subir de multiples viols.
En janvier 2016, l’homme a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris pour
« atteinte sexuelle sur mineure par une personne abusant de l’autorité de sa fonction »
à quatre mois de prison avec sursis sans pour autant être inscrit au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIVS).
Alors qu’il s’apprête à s’envoler pour Shanghai avec une quarantaine de musiciens mineurs français jeudi 8 février dans le cadre du 2ème festival de musique franco-chinois, Léa a décidé de sortir du silence.
Malgré les nombreux courriers envoyés par l’association « Stop aux violences sexuelles » – qui a suivi et accompagné Léa dans sa démarche – aux Ministères de la Justice, de la Culture et à Emmanuel Macron, rien n’a été fait pour empêcher le départ du célèbre musicien et alerter les familles.
Paris Match. Deux années sont passées depuis la condamnation de votre agresseur, pourquoi avez-vous décidé de le dénoncer aujourd’hui publiquement ?
Léa. Depuis deux ans, avec l’aide d’une amie musicienne et l’association Stop aux Violences Sexuelles (SVS), nous avons fait connaître auprès des dirigeants des écoles de musique et de nombreuses personnalités du milieu cette condamnation.
A priori, nous avons réussi à faire l’exclure du Conservatoire international de musique où il enseignait encore en septembre 2017 alors qu’il s’était déclaré à la retraite.
Notre but était d’empêcher cet homme d’agresser de nouvelles mineures mais aussi de faire connaître les manquements de la justice, notamment le fait qu’il n’ait pas été inscrit au FIJAIVS, le tribunal ayant considéré que cette condamnation lui « servirait de leçon ».
Quand l’association m’a appris récemment qu’il allait encadrer un groupe d’une quarantaine de musiciens français mineures en Chine, nous avons immédiatement voulu alerter les autorités. Le Tribunal a répondu qu’on ne pouvait pas inscrire cet agresseur au FIJAIVS a posteriori et l’empêcher ainsi de partir.
Pour autant, les autorités prévenues ne sont pas intervenues pour alerter les organisateurs du déplacement et les familles.
Pourquoi avez-vous le sentiment de ne pas avoir été entendue lors de ce procès ?
Je reste avec un grand sentiment de frustration. Alors que je voulais porter plainte pour viol car j’ai dû faire des fellations et subir des pénétrations digitales à chaque cours ou presque, notamment une fois avec violence, la brigade des mineurs a considéré qu’il s’agissait d’ « atteinte sexuelle » et l’affaire a été portée devant le tribunal correctionnel.
Au moment du procès, j’avais 20 ans et j’étais encore très fragile. J’avais du mal à mesurer toute l’emprise psychologique que cet homme avait pu avoir sur moi.
J’avais effacé de mon téléphone portable tous les messages qu’il m’envoyait quotidiennement comme il m’avait demandé de le faire. Lui, il avait conservé les centaines de photos de moi dénudée et les textes pornographiques qu’il me demandait de lui adresser chaque jour.
Il a dit que j’étais consentante à cette relation et je ne crois pas avoir réussi à prouver à quel point c’était absolument faux.
Vous aviez 16 ans, la majorité sexuelle, la justice considère que vous étiez en mesure de dire non…
J’avais pourtant 12 ans dans ma tête. Je n’avais aucune connaissance de la sexualité. Je suis l’aînée de quatre filles et mes parents ne nous ont jamais parlé de tout ça.
Je n’avais jamais eu de petit ami, je ne savais même pas ce qu’était une fellation.
Quand j’ai rencontré cet homme lors d’un stage de musique l’été, il m’est apparu comme une figure respectable et affectueuse.
Il était à la fois un papi et celui qui allait faire de moi une grande musicienne. Je n’avais aucune confiance en moi à l’époque. Ma mère était très réticente à mes aspirations artistiques. Il était le seul à croire en moi, à me valoriser.
Il m’avait dit qu’il m’aiderait à entrer au Conservatoire national supérieur de musique. Quand il m’a proposé de suivre ses cours chaque mercredi à l’Ecole normale de musique, j’ai eu l’impression d’avoir trouvé un guide et de prendre mon indépendance.
Dès le deuxième cours, il s’est rapproché de moi, a mis ma tête sur son épaule et a passé sa main sous mon pull. J’ai eu un mouvement de recul puis je lui ai envoyé un SMS en rentrant à Douai pour lui dire qu’il avait eu un geste déplacé.
Ce à quoi il a répondu
« qu’il se sentait de plus en plus proche de moi et que cela était normal ».
J’ai brièvement évoqué cette situation avec mes parents mais j’ai finalement décidé de la gérer toute seule car je craignais que leur agressivité mette en péril ma carrière.
J’étais devenue quelqu’un d’autre
En aviez-vous parlé à quelqu’un d’autre ?
Non, il le savait très bien. Je lui avais d’ailleurs dit que j’avais éloigné mes parents de cette affaire. Alors, au fil des semaines, il s’est mis à m’envoyer de plus en plus de messages affectueux, allant jusqu’à me dire qu’il m’aimait.
Progressivement, les gestes ont suivi. Je me suis laissée faire car je pensais que je n’avais pas le choix. Il a réussi à semer la confusion dans ma tête, à me faire croire que ses avances, ses demandes étaient normales.
Je n’avais aucun référent. Il me faisait croire que nous vivions une relation amoureuse et m’en demandait toujours plus.
J’étais devenue quelqu’un d’autre, une machine à sexe. Il m’envoyait des photos porno, me demandait d’en faire pour lui, de lui écrire des récits plusieurs fois par jour.
Ensuite il s’est mis à me demander de coucher avec d’autres hommes et de lui envoyer des preuves. Il m’avait lavé le cerveau. Jusqu’au jour où je suis entrée en contact avec un musicien qui m’a ouvert les yeux sur la manipulation dont j’étais victime.
Que comprenez-vous aujourd’hui de cette situation ?
J’ai encore du mal à réaliser ce qui s’est passé. Ce que je peux dire avec certitude, c’est que je n’ai jamais voulu, ni cherché ces relations sexuelles.
Pour moi, le débat autour de l’âge du consentement n’a pas de sens.
J’ai peine à le dire mais je crois que je manquais profondément d’affection et cet homme m’a très vite repérée. J’ai d’ailleurs la certitude que je ne suis pas la seule. J’ai maintenant 22 ans et j’ai renoncé à une carrière musicale. Après avoir longtemps arrêter de jouer, je commence juste à reprendre ma flûte. Je crois que sous certains aspects, malgré mon âge, je reste une enfant… qui a maintenant beaucoup de mal à faire confiance.
*Le prénom a été changé
Source : ParisMatch
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