« Ils ont le sourire, c’est bon signe ! »
Le couple sort du tribunal de Belfort pour annoncer la bonne nouvelle à la centaine de personnes mobilisées pour les soutenir, dont des militants contre le placement abusif d’enfants. Les leurs dormiront chez eux ce soir, lundi 6 mai. C’est un grand soulagement pour tout le monde. Les deux filles du couple, bientôt 4 et 6 ans, avaient été placées dans une famille d’accueil depuis le 24 avril sur décision de justice, jour où les policiers sont venus perquisitionner à l’aube le domicile familial dans le cadre d’une enquête préliminaire concernant l’implication de Jonathan Lebris, le père, dans la mobilisation des Gilets jaunes.
Pour le procureur de la République, ces deux histoires ne sont pas liées. Il déclare que les policiers ont constaté « que les conditions de vie constituaient un danger pour la santé, la sécurité ou la moralité de deux fillettes », ce qui a amené le parquet à ordonner le placement provisoire des enfants.
Mais ce lien, beaucoup de personnes l’établissent, que ce soit au travers des nombreuses réactions indignées sur les réseaux sociaux ou ici, sur place. « Je suis là par solidarité, on est jaunes. C’est inadmissible de voir ça. On veut nous faire croire que les affaires ne sont pas liées, mais c’est à mourir de rire.
Ils attendent qu’il mette un gilet pour s’inquiéter. S’il n’y avait pas eu le mouvement, il ne se serait pas passé ça. Si tu fermes ta gueule, on ne t’emmerde pas », réagit vivement l’un d’eux. « Si tu veux les marquer à vie, il n’y a rien de tel. On est des fois bien contents d’avoir les services sociaux, mais quand c’est justifié… », ajoute-t-il.
Pour Roger, venu de Valdoie, c’est la même incompréhension.
« On touche le fond pour voir l’État se comporter comme ça. Ils n’ont que le pouvoir de nuire plutôt que de faire du bien pour les citoyens. Ils ne peuvent que déstructurer les enfants pour l’avenir, les marquer à vie. Si on faisait pareil avec leurs enfants, peut-être qu’ils se réveilleraient… »
« Une justice de classe »
C’est l’histoire d’une « justice de classe » pour Jean-Michel.
« Il avait mis le gilet jaune, alors vous pensez bien. On peut se faire accuser de n’importe quoi du jour au lendemain. Il est attaqué pour une affaire et ensuite on s’attaque à sa femme et à ses gosses. Après ils vont nous dire qu’on est violents, mais ils le cherchent… On n’habite pas dans les baraques bourgeoises qui nous entourent là, on est tous dans des logements “insalubres”. Ils nous jugent parce que l’on est pauvres, parce qu’on a pas repeint l’intérieur, qu’on n’a pas de mobilier Louis XV. On fait avec ce qu’on a, si on n’a pas l’argent, qu’est-ce que vous voulez faire ? Si ça se trouve, les enfants sont mieux élevés que dans une famille bourgeoise… »
Il ne comprend pas ce cas alors que personne n’est en prison à Marseille, où 8 personnes sont mortes sous les décombres de leur immeuble qui était vraiment insalubre. « Ils feraient mieux aussi d’aller fouiller dans les Ehpad. Est-ce que le juge s’occupe de la maltraitance des vieux ? », s’interroge-t-il.
David, venu aussi en soutien, est street medic (soigneur de rue) dans les manifestations de Gilets jaunes à Belfort, comme son ami Jonathan dont il décrit les qualités.
« C’est plus ou moins le gars qui a crée le comité Gilet jaune du Territoire de Belfort », nous dit-il. « On se sentait plus utile au sein des streets medics, et on a évolué dans pas mal de manifs ensemble. Il est très modérateur et a toujours arrondi les angles en cas de tensions.
Je ne l’ai jamais vu commettre de violences. » La perquisition qui a tout déclenché avait pour origine une enquête pour « provocation publique à commettre un crime ou délit » et « provocation à s’armer contre l’autorité de l’État ».
« Ce sont des écrits sur Facebook qui lui sont reprochés, il est rentré en résistance. Ces principales armes sont ses mots », affirme encore David. Il s’est déjà rendu plusieurs fois au domicile de la famille et dit ne pas avoir constaté d’insalubrité, même si l’appartement n’était sans doute pas un modèle de propreté.
« Nous avons eu un moment de relâchement »
Et cela, Jonathan ne le conteste pas. « C’est vrai que nous avons eu un petit moment de relâchement avec la mobilisation des Gilets jaunes, on n’est pas dans le déni par rapport à ça ».
Il parle de « plein de petits détails mis bout à bout, des points qui ont été montés en épingle. Parmi les motifs il y avait le fait que nous n’avions pas de micro-ondes, ils ont dit qu’un frigo ne marchait pas alors qu’il n’y avait que la lampe qui ne fonctionnait pas, il y avait une crotte de chien dans le couloir, une sur le balcon, des jouets traînaient partout. Mais ce qu’a pu dire le procureur et ce qui est sorti dans la presse pour justifier le placement est allé beaucoup trop loin.
On a vu dans un article que nos enfants traînaient dans les excréments. On a tout rangé après la perquisition, on a tout fait pour les récupérer », se justifie-t-il.
Leurs efforts ont bien été reconnus par le procureur de la République, qui déclarait dans un communiqué à l’issue de l’audience que « l’implication des parents dans le suivi mis en place depuis le placement et leur investissement pour gommer les éléments objectifs qui y avaient présidé ont permis au juge des enfants d’ordonner la mainlevée de cette mesure et de mettre en place pour six mois un accompagnement sous la forme d’une mesure judiciaire d’investigation éducative ».
Parmi ces éléments, il ajoute que régnait dans l’appartement une « odeur pestilentielle », « des traces d’urine sur le sol et le bas des murs », en lien avec la présence d’un chien, de la « viande avariée » dans le frigo, « de la présence au mur du salon de deux armes longues munies de viseurs, d’un sabre et d’une hache, à hauteur accessible aux enfants par escalade du bureau se trouvant à l’aplomb » et du « port de couches par les deux fillettes ».
Jonathan, ancien militaire, reconnaît ses torts, même s’il estime que « le placement n’a pas été maintenu parce qu’il n’y avait rien ».
« Je n’ai pas vu ce moment de relâche. C’est le lot de tous les militants qui s’impliquent, c’est une cause globale, on en oublie de penser à nous ».
Son engagement est ancien, il a été Bonnet rouge, est toujours un fervent partisan du « fédéralisme breton » jusqu’à demander la déchéance de sa nationalité française au profit d’une reconnaissance de son statut de « citoyen européen de nationalité bretonne », il a prêté main-forte à ses nouveaux voisins alsaciens qui refusaient d’être regroupés au sein de la région Grand Est.
Il dit avoir rejoint les Gilets jaunes parce qu’ils parlaient du RIC, le référendum d’initiative citoyenne, « qui est à la base de toute démocratie ».
Il veut maintenant apaiser les choses du côté de sa famille et indique que les relations avec les services sociaux ont été plutôt bonnes. Il souligne les avantages que cette situation dramatique lui a procurés.
« Les premiers jours ont été vraiment durs, intérieurement c’était la catastrophe. Mais maintenant, on va profiter d’aides sociales, comme les APL auxquels je n’avais pas droit avec mon statut d’indépendant, du suivi d’une assistante sociale, de gens qui vont nous donner des conseils. On ne va pas les refuser. C’est tout l’intérêt des services sociaux ».
Mais pour Jonathan, tout n’est pas terminé. Si sa femme et lui ont récupéré leurs enfants, il reste sous le coup d’un contrôle judiciaire qui l’empêche de manifester sur l’ensemble du territoire national et s’attend à une peine de prison avec sursis lors de son procès. Et suite à la saisie de son matériel informatique, ordinateur et téléphone, il indique qu’il est dans l’impossibilité de poursuivre son activité de jardinage.
« Mes clients, mon planning, tout était dedans ». Côté politique, il ne lâchera rien.
« Je suis accusé d’appel à la révolte, comme beaucoup de Gilets jaunes. Si je ne peux plus militer dans la rue, je le ferai dans le cadre de ma procédure ».
Mais pour l’heure, le couple est pressé de rentrer pour retrouver leurs deux filles.