Paris | Des éducateurs rasent les cheveux d’un enfant placé dans un foyer et le filment

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“C’est une sanction” 
Echanges sur une boucle WhatsApp entre éducateurs d'un centre de l'aide sociale à l'enfance. | DOCUMENT FRANCEINFO / RADIO FRANCE
Les faits, signalés à la justice, se sont passés en février 2025. Le garçon de 8 ans fait l’objet de moqueries sur une boucle WhatsApp d’éducateurs du foyer qui ont posté plusieurs vidéos.

La scène se passe dans une salle, dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance(Nouvelle fenêtre). Nous sommes dans le 13e arrondissement de Paris. Eliott (*), 8 ans, est assis sur une chaise, torse nu. L’enfant a replié ses bras sur son corps. A-t-il froid – nous sommes au mois de février – ou bien veut-il protéger son intimité ? Car un adulte le filme.

Sur une des vidéos que franceinfo a pu consulter, une éducatrice se tient debout derrière l’enfant, une tondeuse à la main.

Eliott a la moitié du crâne rasé et l’éducateur qui le filme lui lance : “On va t’appeler double face”.

Un enfant qui assiste à la scène s’exclame : “On dirait Aladin !”

L’éducatrice qui tient la tondeuse se montre fière du résultat : “Ça fait grave stylé”, lâche-t-elle devant le portable qui la filme.

Eliott ne sourit pas, il reste assis sur sa chaise. Sur une deuxième vidéo, le petit garçon a cette fois la tête entièrement rasée.

Les deux vidéos tournées ce jour-là finissent sur une boucle WhatsApp, une boucle professionnelle dédiée aux éducateurs qui travaillent dans la section des 6-10 ans où vit Eliott. Ce petit garçon est placé dans ce foyer par décision d’une juge des enfants.

Sur des captures d’écran de cette boucle WhatsApp que franceinfo a pu consulter, une dizaine de messages répondent à ces vidéos. Leur lecture permet de comprendre que ce n’est pas Eliott qui a demandé à avoir la tête rasée, que personne – parents du garçon ou responsables du foyer – n’a donné son accord et que cette tonte est présentée comme une sanction à l’encontre de l’enfant.

À une éducatrice qui demande : “Vous avez vu avec les parents pour le raser à blanc ?”, un deuxième éducateur répond :

“Non, nous avons pris la décision sans consulter personne”.

Une troisième éducatrice veut alors savoir si “c’était ça demande ? (sic). Une quatrième éducatrice lui répond :

“C’est une sanction”.

Cette dernière éducatrice est, selon nos informations, celle qui rase les cheveux d’Eliott et que l’on voit sur l’une des vidéos derrière l’enfant.

Echanges sur une boucle WhatsApp entre éducateurs d’un centre de l’aide sociale à l’enfance | DOCUMENT FRANCEINFO / RADIO FRANCE

 

Ainsi, cette éducatrice a rasé entièrement le crâne d’Eliott pour le punir. Mais qu’a fait l’enfant pour subir pareil traitement ? Cette éducatrice ne le précise pas. Si l’on en croit les différents témoignages d’employés du foyer recueillis par franceinfo, l’enfant :

“paye tout simplement le mal-être de certains éducateurs”

, lâche Julia (*), une ancienne éducatrice de ce foyer, car :

“c’est un garçon en demande d’affection”

, explique-t-elle.

Sur la boucle WhatsApp, d’autres éducatrices prennent immédiatement conscience de la gravité des faits. “Si c’est une blague, pour rappel, c’est un groupe WhatsApp professionnel et non un groupe de potes. Si c’est pas une blague, c’est très très grave.”

Cette mise en garde n’empêche pas l’enfant de faire l’objet de moqueries de la part de l’un des éducateurs :

“Mais non, justement, ça lui donne plus d’aérodynamisme”

, lance l’un, avec en réaction sous son message une émoticône qui éclate de rire.

Dans un autre message, sous une photo d’Eliott le crâne rasé, le même éducateur fait cette fois référence à “Charles Xavier”, alias le professeur Xavier, un super-héros au crâne rasé évoluant dans l’univers Marvel. De leur côté, d’autres éducatrices demandent à leurs collègues de prévoir un bonnet pour Eliott pour le lendemain, quand il ira à l’école.

Ce bonnet, Eliott va le porter pendant au moins quatre mois. Sa maîtresse l’autorise à le porter en classe. Car l’enfant fait désormais l’objet de moqueries de la part de ses copains. Certains vont même jusqu’à le taper.

Lorsqu’elle rend visite à son fils au foyer quelques jours après la coupe, la maman d’Eliott demande des explications. On lui répond d’abord que le coiffeur s’est raté et a voulu égaliser la coupe. La maman n’apprend la réalité que plusieurs mois plus tard, fin septembre, en découvrant les vidéos.

Là, le foyer géré par l’association Jean-Cotxet lui donne une nouvelle explication : la nouvelle directrice – qui a pris son poste début septembre, soit après les faits – explique qu’Eliott avait des poux et que les salons de coiffure ont refusé de le prendre pour lui couper les cheveux. Une justification donnée aussi par les chefs de service du foyer aux autres éducateurs des autres groupes d’âge du foyer qui n’ont pas accès à la boucle WhatsApp du groupe des 6-10 ans.

Un signalement pour “faits de maltraitance”

La maman mène alors son enquête et parle aux coiffeurs qui s’occupent habituellement d’Eliott. Aucun ne se souvient de lui avoir refusé une coupe de cheveux.

Selon les informations de franceinfo, l’éducatrice qui a rasé la tête du petit garçon se met alors en arrêt maladie et en profite pour appeler un soir vers 22 heures la maman du garçon pour lui expliquer qu’elle n’est pas responsable de ce qu’il s’est passé, que c’est un concours de circonstances et que ce qu’on voit sur les vidéos ne traduit pas les faits tels qu’ils se sont réellement déroulés.

De son côté, l’avocat de la maman d’Eliott envoie un mail à la juge des enfants qui s’occupe de l’enfant pour signaler des faits qu’il considère comme des “faits de maltraitance ”. La juge a accusé réception du mail, sans donner suite depuis.

“Quand on regardait ce petit garçon, on avait l’impression qu’il sortait d’une chimiothérapie”

, se souvient, encore choquée, une ancienne éducatrice du foyer.

“Eliott avait très honte, il était très triste. Il demandait quand ses cheveux allaient repousser”

, raconte-t-elle.

“On place des enfants pour les protéger et finalement, on se rend compte que sur des vidéos prises par des tiers qui sont censés s’occuper d’eux, on se moque de l’enfant et on se retrouve avec un petit garçon qui est apeuré pendant plusieurs semaines ”

, dénonce auprès de franceinfo Axel Delaunay-Belleville, avocat de la maman d’Eliott.

“On a bel et bien des éducatrices qui ont de leur propre chef rasé un enfant, ce qui est tout bonnement interdit, ce n’est pas dans leurs missions. Alors est-ce que ce sont des violences, est-ce que c’est du harcèlement, au fond est-ce que ce n’est pas les deux ? C’est toute la question qu’on se pose”

, se demande l’avocat.

La mère encouragée à porter plainte

Contactée par franceinfo, la mairie de Paris fait part de sa consternation.

“Ni l’accord de l’enfant, ni l’autorisation de sa mère, ni les tentatives infructueuses pour se débarrasser des poux ne sauraient justifier cette pratique humiliante.”

La Ville avance que “la direction des solidarités, informée très tardivement des faits (en septembre 2025), a saisi sa cellule contrôle afin de faire la lumière sur ce qui s’est passé”. La Ville dit avoir confié le suivi de ce cas à la cellule d’appui, d’évaluation et de contrôle (CAEC) et assure que “la protection des enfants en danger est une priorité”.

La Ville de Paris a par ailleurs décidé de saisir l’autorité judiciaire et se constituera partie civile.

Les premiers éléments de réponse communiqués par l’association à la direction des solidarités mettent en avant “notamment le changement de chef de service, le renouvellement de l’équipe concernée”. “La mère a par ailleurs été encouragée à porter plainte, conclut la mairie de Paris, et une attention particulière a été portée à l’enfant victime qui souhaite vouloir rester dans ce foyer et dit s’y sentir bien” malgré cet épisode.

Depuis la publication de l’article de franceinfo, la mère d’Eliott, par la voix de son avocat, Axel Delaunay-Belleville, a annoncé mardi qu’elle allait porter plainte dans les tout prochains jours.

Emmanuel Grégoire, député de la 7e circonscription de Paris et candidat PS à la mairie de Paris, annonce saisir le procureur de Paris au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, tout comme le député de la 10e circonscription de Paris (qui comprend une partie du 13e arrondissement).

Cet article impose à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire d’informer sans délai le procureur de la République de tout fait délictuel ou criminel.

“C’est quoi cette bande d’éducs ?”

Au vu des différents témoignages que franceinfo a pu recueillir, aucun autre enfant n’a eu la tête rasée de la sorte dans ce foyer où plusieurs employés et ex-employés dénoncent des violences psychologiques et des négligences sur les enfants qui y vivent dans ce groupe des 6-10 ans.

Selon nos informations, les méthodes des éducateurs de ce groupe font même l’objet de moqueries de la part de certains de leurs collègues dans les autres groupes du foyer. Un chef de service se demandant par exemple :

“C’est quoi cette bande d’éducs ? 

, en parlant des employés officiant dans le groupe des 6-10 ans.

* Le prénom a été modifié.

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