Paris | Agressions sexuelles dans un IME par un éducateur: un ado lance l’alerte, dix victimes recensées

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Moins un enfant est en capacité de communiquer, plus il risque de subir des violences sexuelles
pictogrammes PODD
Grâce à ses outils de communication alternative, un ado polyhandicapé de 14 ans a pu dire à ses parents qu’un éducateur l’avait violé. L’enquête a permis d’identifier neuf autres victimes dans cet IME parisien, et conduit au placement en détention provisoire de l’agresseur.

Les parents témoignent:

« C’est notre fils qui a lancé l’alerte.

Grâce à lui, le prédateur qui abusait sexuellement des enfants de son institut médico-éducatif a pu être arrêté. »

Sophia* a toujours été convaincue que Nathan*, non oralisant, serait capable de communiquer pour peu qu’elle trouve les bons outils.

Cette Parisienne s’est donc formée à la communication alternative et améliorée (CAA) afin de pouvoir accompagner son fils, atteint d’un syndrome génétique rare à l’origine de sa déficience intellectuelle sévère et de ses retards psychomoteurs.

Avec succès, puisque le garçon polyhandicapé, aujourd’hui âgé de 14 ans, a appris à se servir d’un classeur de communication à base de pictogrammes (PODD) et d’un logiciel de communication (TD SNAP).

Il sait aussi lire et écrire avec l’aide d’un clavier alternatif.

Dix victimes, dont trois violées

« C’était un samedi après-midi, en septembre dernier, dans la salle d’attente de la psychologue comportementaliste qui le suit depuis de nombreuses années.

Je lui ai demandé comment cela s’était passé à l’IME.

Et là, il a utilisé la combinaison de pictogrammes “fesses” et “langue”.

C’était la première fois. »

Dans le cabinet de la psy, Nathan confirme.

Il écrit que son éducateur lui a « léché le zizi » et demandé de garder « le secret ».

Les parents de Nathan saisissent aussitôt la direction de Saint-Jean-de-Dieu.

C’est cette fondation qui gère le centre médico-social Lecourbe, dans le 15e arrondissement de Paris, l’IME où Nathan passe ses journées, dans l’unité spécialisée pour enfants polyhandicapés.

Ils portent également plainte au commissariat de police.

Dès le lundi, l’éducateur mis en cause, qui avait été recruté deux ans plus tôt, est suspendu par son employeur.

Les auditions des enfants et l’enquête de la brigade des mineurs permettront de recenser dix victimes d’agressions sexuelles au sein de l’établissement, dont trois ayant subi un viol, parmi lesquelles Nathan.

« Il a révélé avoir été sodomisé par l’éducateur dans les toilettes », précise Sophia.

Tous les enfants auditionnés n’ont pas réussi à s’exprimer

Les agressions se seraient étalées sur deux années.

« Mais pour notre fils, cela venait tout juste de se dérouler lorsqu’il nous en a parlé.

À la rentrée en septembre 2023, Nathan a en effet intégré un groupe de sa tranche d’âge.

C’est là qu’il s’est retrouvé en contact avec cet éducateur, référent du groupe. »

Éric*, le père de Nathan, ajoute:

« Il y a peut-être davantage de victimes, car tous les enfants auditionnés n’ont pas réussi à s’exprimer.

Les policiers de la brigade des mineurs ne sont pas formés pour recueillir le témoignage de personnes ne parlant pas.

Et aucun expert de la CAA ne les épaulait. »

Certains parents avaient bien remarqué des changements de comportement chez leur enfant.

Des traces sur le corps, aussi. Ils avaient alerté le médecin du centre.

« Mais à aucun moment, l’hypothèse d’agressions sexuelles n’a été sérieusement envisagée », regrette-t-il.

L’agresseur se croit protégé par le silence des enfants

« Heureusement que notre fils nous a tout raconté.

La CAA peut aussi servir à protéger et à alerter », insiste Sophia.

En effet, moins un enfant est en capacité de communiquer, plus il risque de subir des violences sexuelles, l’agresseur se croyant protégé par ce silence contraint.

Protégé aussi par l’incapacité de ceux qui entourent la victime à voir dans les troubles du comportement des symptômes d’agression.

La mère de Nathan qui milite dans une association de promotion de la CAA, poursuit:

« Les professionnels se saisissent trop rarement de ces outils de communication qui ont fait leurs preuves.

Nous n’avons eu aucun soutien en interne, ou si peu.

C’est moi qui lui ai tout appris, moi qui l’ai fait progresser, avec l’aide d’orthophonistes libéraux. »

Nathan écrit qu’il va bien

Mi-janvier, la brigade de protection des mineurs a interpellé l’éducateur, âgé de 53 ans et père d’un adolescent.

Il a été déféré au tribunal judiciaire de Paris avant d’être mis en examen et placé en détention provisoire.

Les parents attendent désormais la fin de l’instruction judiciaire puis, certainement, le procès devant la cour d’assises.

Et Nathan ? Il continue à aller tous les jours au centre Lecourbe.

« C’est son choix, sa décision », précise son père.

« Nous regrettons que l’établissement n’ait pas proposé un accompagnement psychologique conséquent pour les victimes, complète sa mère.

Il nous écrit toutefois qu’il va bien, qu’il est réparé à 100 %… Mais aussi qu’il ne sera plus jamais le même. »

*Le prénom a été changé.

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