Normandie | Des jeunes filles piégées par un violeur sur internet

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” Il était mignon sur sa photo et gentil dans ses messages”.
Une dizaine de jeunes filles de 15 à 22 ans ont témoigné devant la cour criminelle de Caen dans l’affaire du prédateur sexuel sur internet, qui a sévi en Normandie entre 2015 et 2017. L’homme de 44 ans a été condamné à 15 ans de réclusion.

Dans son réquisitoire, l’avocat général avait réclamé “une peine exemplaire”, 18 ans de réclusion pour cet homme de 44 ans accusé de viols et de chantage, des faits qu’il a en partie reconnus durant son procès devant la cour criminelle du Calvados.

Dans leur verditc, les cinq magistrats professionnels ont reconnu :

“La dangerosité criminologique de l’accusé, le caractère pervers de ses agissements et son besoin d’emprise”.

Ils l’ont condamné à une peine de 15 ans de prison. Le quadragénéaire devra également faire l’objet d’un suivi socio-judiciaire comportant une obligation de soins. Il devra enfin verser 55 000 euros de dommages et intérêts à ses victimes ainsi que 10 500 euros pour les frais de justice.

Elles ont été une dizaine à témoigner au procès et seulement trois parties civiles.

Mais entre 2015 et 2017 celui qui se faisait appeler Alexis, Kevin ou encore Dan sur les réseaux sociaux a été en contact avec des centaines d’autres jeunes femmes.

Il a sévi en Normandie (Calvados, Manche, Seine-Maritime et Eure car cétait plus pratique pour les rencontrer) mais aussi, dans toute la France.

Le procureur général, durant le procès de ce serial violeur qui amadouait ses proies sur internet, résume :

“Vous avez contacté des femmes dans 33 départements”.

Pas une seule de ses victimes n’aurait accepté d’engager la conversation avec lui si elles avaient vu sa véritable photo et surtout si elles avaient su son âge. Car, bien sûr, Dan, Alexis ou Kevin n’avait que 19 ou 20 ans sur ses photos de profil, où il aimait dévoiler un torse musclé et discrètement tatoué.

Ses cibles sont jeunes, parfois mineures et vulnérables.

L’accusé, auprès des experts psychiatres, reconnaît :

“A leur jeune âge c’est plus facile. Elle sont plus manipulables”.

“Jamais je n’aurais pu les attirer dans la vraie vie.”

Des images de profil volées à d’autres hommes, le piège paraît bien simple. Comment être aussi naïve sur Internet, quand on sait à quel point cet univers peut-être celui du faux semblant ?

Une des victimes, qui avait 21 ans au moment des faits, témoigne :

“Je n’ai pas d’explication. Il m’a berné. J’aurais dû me douter que ce n’était pas normal qu’il repousse tout le temps le moment de la “vraie” rencontre. Je n’ai pas imaginé que sa photo était fausse et il s’exprimait si bien dans ses messages. Il était doux, attentionné. on parlait de tout. Je ne crois pas être tombée franchement amoureuse mais j’étais totalement sous le charme. J’aurais dû comprendre quand il était insistant ou omniprésent, à m’envoyer des messages tout le temps quand il me savait avec d’autres personnes. C’était pas normal, cette pression, cette jalousie”.

Il n’a franchement pas fait preuve d’une ruse exceptionnelle. En plus de sa fausse identité, il s’invente aussi une histoire de vie attendrissante (il dit être un jeune homme atteint d’un cancer, une autre fois il s’invente un deuil, etc), et il utilise un langage écrit correct : c’est en s’introduisant dans le quotidien de centaines de jeunes femmes que ce prédateur sexuel accroche ses victimes.

Toutes ces jeunes femmes, il les a trouvé dans un réservoir inépuisable : un site de rencontre légal sur internet. Son nom? Badoo. Mais cela aurait pu être Meetic ou Tinder.

La jeune J. a quinze ans et vit un peu loin de sa maman au moment des faits. Elle est interne dans un lycée de la Manche.

Quelle est donc la faille chez cette adolescente, belle et pleine de vie, qui adore les chevaux, pour qu’elle se retrouve, en quelques jours, dans la voiture d’un homme qui va lui demander de la masturber et la violer sans qu’elle ne prenne la fuite. Peut-être le divorce de ses parents? Elle voyait un psychologue et n’avait pas d’angoisses particulières.

Agée de 15 ans au moment des faits, elle témoigne :

“Je me suis inscrite sur ce site de rencontres à cause de filles plus grandes que moi à l’internat. Elles avaient toutes des copains, des vrais. J’ai été influencée et pour avoir un profil accepté par les administrateurs du site j’ai trafiqué ma date de naissance. Il suffisait d’écrire 1998 au-lieu de 2001, c’est facile”.

Sur ce site, les jeunes femmes qui s’inscrivent sont à la recherche de l’âme soeur. C’est un bon début pour lui. Mais J. ne se doutait pas que, près d’elle, dans sa petite ville tranquille, des hommes adultes mal intentionnés pouvaient user de stratagèmes vicieux.

Lui qui a 40 ans au moment des faits ose une confidence à la cour.

” Ce n’est plus comme à mon époque, vous comprenez. Les filles sont desinhibées aujourd’hui. Au début de mes premiers échanges sur internet en 2013-2015 j’ai vraiment été surpris de la facilité avec laquelle elles t’envoient une photo dénudée !”

Toutes celles qui se sont fait piéger ont envoyé aussi une ou plusieurs vidéos. A chaque fois, on voit leur visage. En plus de se montrer nues, en envoyant photos et vidéos, les jeunes-filles deviennent aussi des cibles faciles.

Il a en sa possession une arme de chantage inestimable. Et c’est à ce moment-là que le piège se referme. Toutes celles qui n’ont rien envoyé du tout n’ont plus jamais entendu parlé de lui.

Agée de 18 ans au moment des faits, elle raconte :

“Après quatre jours de discussion sur internet, j’ai accepté de le rencontrer. Il m’avait donné son numéro de téléphone. On échangeait aussi des sms. Je n’avais rien dit à mes parents. Au rendez-vous sur le parking de mon village, j’ai vu arriver, à pied, un homme beaucoup plus vieux qui ne ressemblait pas à la photo du profil. Je le lui ai dit mais il m’a dit être un ami de Dan. Il venait de sa part et je devais faire des choses avec lui pour faire plaisir à Dan. J’ai refusé et c’est alors qu’il m’a menacé d’aller tout dire à mes parents. J’ai eu peur qu’il montre les photos de moi nue et les vidéos où je me masturbe. J’ai obéi et j’ai fait ce qu’il demandait dans la voiture”.

Le jeu vicieux durera plus ou moins longtemps, selon les rencontres. Il n’hésitera pas dans ses menaces à affirmer qu’elles risquent gros devant un tribunal s’il donne leur nom à la police : distribuer des photos de nues serait interdit, etc… Il les manipule sans pitié.

Avec certaines, avec perversité, il entretient l’illusoire existance d’un beau prince qui les observe de loin :

“Il m’a obligé de cette manière à coucher avec 17 hommes que je ne connaissais pas. Il les recrutait lui-même. A chaque fois, je devais me filmer en faisant des fellations à ces hommes. Il se mettait en colère parce que je ne prenais pas assez de plaisir sur les vidéos. Et je devais recommencer. Au bout d’un moment, il m’a avoué que Kevin n’existait pas mais il m’a m’obligé à continuer et avoir des relations sexuelles avec lui dans des chambres d’hôtel. Je ne pouvais plus m’échapper car il menaçait de montrer ces vidéos à toute ma famille et tous mes amis sur Facebook. J’avais très peur.”

Le piège se referme sur cette jeune femme de 21 ans, pendant de longs mois. Elle vient d’échouer dans ses études de médecine, puis d’infirmière. Son papa est décédé brutalement quelques semaines plus tôt.

“Il a profité de ma grande fragilité à ce moment-là. Au début je me suis fait piéger parce qu’il était mignon sur sa photo et gentil dans ses messages. Je le trouvais mûr dans ces propos, ça me rassurait. J’avais besoin d’un homme.”

Sept viols lui sont reprochés devant la cour criminelle de Caen. Mais y en t-il eu d’autres ? C’est la question que tout le monde se pose, tant le prédateur avait un vaste terrain de chasse devant lui.

Près de 500 conversations ont été retrouvées sur ses fils de discussion Messenger. Les gendarmes du Calvados se sont livrés à un travail de fourmi pour remonter vers chaque potentielle victime.

Les photos et vidéos de toutes les filles étaient classées dans son téléphone, comme un véritable trophée de chasse.

Devant les experts de la cour de Justice, il explique :

“Je n’ai jamais pensé que c’était un viol car il n’y a jamais vraiment eu de violence. Je ne faisais que les manipuler. C’était mon stratagème.”,

L’emprise était telle qu’il réussi à les manipuler à ce point alors qu’elles ne l’avaient jamais vu. C’est la force du virtuel qui offre aux prédateurs d’aujourd’hui de nombreuses cibles.

J., qui a été violée par cet homme à 15 ans alors qu’elle ne connaissait encore rien à l’amour, le vrai, confie :

“Il faut vraiment faire de la prévention auprès des jeunes adolescentes”.

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