Montfort-sur-Risle | Une mère pousse sa fille dans les bras de son agresseur
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 31/01/2024
- 01:49
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Le fossé est immense entre les explications des parties concernées et la gravité des faits énumérés à l’audience correctionnelle du tribunal d’Évreux du 23 janvier 2024.
En juin 2018, Leslie*, 14 ans, explique à son frère avoir été victime d’une agression sexuelle de la part de Stéphane, ami de son beau-père et de sa mère, lors de vacances chez cette dernière à Montfort-sur-Risle.
Elle dit que l’homme, âgé de 40 ans, s’est rendu dans sa chambre le 28 février précédent, l’a déshabillée et l’a « touchée en bas », indique le président de l’audience du jour Wladis Blacque-Belair, en lisant les comptes-rendus des premières auditions.
Toujours selon le récit de l’époque, Stéphane se serait ensuite couché avec elle en entendant les marches grincer sous le poids d’un pied et aurait fait semblant de dormir lorsque la mère est arrivée dans la chambre.
Une fois les faits portés à sa connaissance, le père de la victime, qui a sa garde, s’est rendu à la gendarmerie pour déposer plainte.
Une relation amoureuse asymétrique
Au premier abord, l’événement semble malheureusement classique.
Le tribunal traite quotidiennement des affaires d’agression sexuelle de la part d’un ami ou membre de la famille.
Mais dans une autre audition, en août 2018, deux mois après la plainte, Leslie révèle un fait particulièrement troublant : elle entretenait une relation amoureuse avec le quadragénaire depuis octobre 2017.
Un amour a priori chaste, mais problématique.
Ce que ne semble toujours pas comprendre le prévenu quasiment six ans plus tard.
Il affirme qu’il n’avait pas connaissance de son âge précis, estimant qu’elle avait « 15-16 ans ».
Une posture que vient mettre à mal sa présence à l’anniversaire de l’adolescente en janvier 2018…
Entendue de nouveau le 6 avril 2022, la victime a réitéré ses propos sur l’agression, décrivant l’homme en train de mettre sa main dans sa culotte, tandis qu’elle essayait de la retirer sans y parvenir.
À la barre du tribunal, le prévenu ne conteste pas.
« Il n’y a pas eu de relation sexuelle. J’ai juste mis la main », tente-t-il de minorer.
« C’est ce qui vous est reproché. Pourquoi avez-vous mis la main ? Qu’est-ce que vous alliez faire ? », rétorque le président Blacque-Belair.
« Non, mais c’est une erreur, un moment de connerie », admet, penaud, le quadragénaire, tout en reconnaissant une attirance pour sa victime.
Un expert psychiatre consulté dans le cadre de dossier a rendu un rapport clair sur l’homme qui comparaît ce jour :
« Il ne comprend pas l’asymétrie de la relation entre majeur et mineur et a une propension à attribuer la majorité de ses actes à l’autre. »
Sur ce dernier point, le tribunal ne donne pas forcément tort au prévenu, une autre personne étant aussi à blâmer.
Le rôle de la mère
« Il ne se serait rien passé si Carole [la mère] ne nous avait pas jetés dans les bras l’un et l’autre », lance Stéphane.
Lors des différentes auditions, la version de la mère a longtemps été ambiguë.
Si, dans un premier temps, elle a expliqué n’avoir eu connaissance des faits que le mois précédant la plainte, elle a, quatre ans plus tard, admis avoir été au courant de la relation entre son ami et sa fille et a affirmé qu’elle s’opposait à ce qui y ait le moindre rapport sexuel entre les deux.
« S’il avait dû se passer quelque chose, ça aurait été à sa majorité », souligne, de toute manière, l’homme.
Il charge la mère, absente à l’audience, mais poursuivie par le tribunal pour corruption de mineure de moins de 15 ans et soustraction à ses obligations légales de parent.
« Si on l’avait écoutée, il fallait qu’on prenne des préservatifs et que l’on couche ensemble »
Stéphane, prévenu à l’audience correctionnelle.
La victime, qui témoigne devant la juridiction, va dans le sens de son agresseur.
« Ma mère m’a poussée dans ses bras. »
La relation est née après un voyage durant lequel la jeune fille a passé deux ou trois jours dans le camion du quadragénaire.
« Je ne voulais pas y aller, ma mère m’a forcée », poursuit Leslie, âgée désormais de 20 ans.
Interrogée par le président sur les motivations de sa génitrice, elle répond que cette dernière imaginait que la relation avec son ami allait inciter l’adolescente à passer plus de temps avec elle.
L’effet espéré n’est pas arrivé puisque, depuis l’agression, la fille n’allait plus chez sa maman.
Un interdit franchi
Un médecin qui a ausculté Leslie en 2018 n’a pas relevé de lésion au niveau de l’hymen, ce qui écarte la pénétration et donc le viol, qui relève de la Cour d’assises.
Il a cependant noté, sur le plan psychologique, « des troubles » liés aux événements, mais « diminués depuis la révélation ».
Au titre du préjudice moral, la victime demande une somme de 150 000 €.
« Vous êtes sûre ? », l’interroge le président d’audience, le montant étant largement supérieur aux demandes habituelles.
Elle obtiendra, finalement, 2 500 € de la part des deux protagonistes poursuivis.
De son côté, le substitut du procureur Antoine Adam souligne la particularité du dossier.
« Il est rare de voir des parents placer leurs enfants dans une position où ils peuvent être agressés sexuellement ».
Antoine Adam, substitut du procureur.
Pour Stéphane, qui a commis « des agissements traumatisants » et « a franchi l’interdit », il requiert une peine de vingt-quatre mois de prison, dont six assortis d’un sursis probatoire soumis à des obligations de soins et de travail.
Pour la mère indigne qui « a donné sa fille comme un vulgaire morceau de viande à quelqu’un qui a faim », il demande douze mois de prison ferme et s’oppose à un aménagement de peine.
L’avocate de la mère estime que « la corruption de mineur n’est pas établie ».
L’absente conteste la plupart des faits et « n’a jamais poussé ni souhaité des relations entre les deux.
Elle reconnaît qu’elle a été un peu légère, qu’elle voyait les choses comme un jeu. »
Le tribunal condamne le quadragénaire à vingt-quatre mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire soumis à des obligations.
La mère écope de douze mois de prison, également assortis d’un sursis probatoire.
Elle devra effectuer un stage de parentalité qui, au vu de la nature des faits, ne semble pas du luxe.
*Prénom d’emprunt
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