Le Comité contre la torture des Nations Unies a rappelé à l’ordre Israël ce printemps.
Sortis du lit en pleine nuit. Jetés violement au sol. Passés à tabac et injuriés durant leur transfert à la prison. Menottés si forts par des liens de plastique que leurs mains en deviennent bleues. Privés d’eau et de nourriture. Puis frappés encore pendant leur interrogatoire, menacés, mis en isolement plusieurs jours, sans accès à un avocat ni visite d’un parent pendant des semaines.
Tel est le traitement réservé chaque année par Israël à des dizaines, voire des centaines, d’enfants palestiniens, de 12 à 17 ans, accusés dans leur immense majorité d’avoir jeté des pierres sur les soldats occupants.
De 500 à 700 mineurs palestiniens passent par les prisons israéliennes tous les ans, octroyant à ce pays le triste record mondial du nombre d’enfants jugés par des tribunaux militaires.
Le 12 mai dernier, dans un rapport passé presque inaperçu, le Comité contre la torture des Nations Unies rappelait l’Etat hébreu à ses obligations internationales. Il l’enjoignait à «prévenir, enquêter et sanctionner les pratiques de torture ou de traitement inhumain» et à s’assurer «que les mineurs qui ont été victimes de torture obtiennent des réparations, incluant les moyens de réhabilitation».
Les experts de l’ONU se sont en particulier basés sur les rapports d’ONG, seules à mener un travail d’enquête constant sur cette question. Defense for Children International a notamment interrogé 429 enfants détenus entre 2012 et 2015.
Trois quarts d’entre eux auraient enduré des violences physiques lors de leur interpellation et/ou de leur emprisonnement.
Treize jours au mitard
Soixante-six de ces jeunes assurent avoir été placés en isolement à des fins d’interrogatoire, durant une période moyenne de treize jours, avec un cas extrême: quarante-cinq jours pour un adolescent de 17 ans.
Procédé qui, combiné aux coups et aux menaces (y compris de s’en prendre à la famille), aux cris et aux humiliations et à l’obligation de se tenir dans des positions douloureuses pendant des heures, vise à obtenir des confessions, explique un rapport de Defense for Children International et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) adressé en mars dernier à l’ONU1.
Des informations qui confirment les constats établis par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) en 2013 dans une publication qui décrit les mêmes méthodes2. L’Unicef tranche ensuite sans équivoque:
«La pratique des mauvais traitements infligés aux enfants qui entrent en contact avec le système de détention militaire apparaît comme étendue, systématique et institutionnalisée, depuis le moment de leur arrestation jusqu’à leur inculpation et à leur condamnation.»
Autre étude encore, celle d’une commission d’enquête composée de juristes indépendants mandatée par le gouvernement britannique en 2011, qui a recueilli des témoignages similaires3. Avant de conclure prudemment:
«Détenir des enfants en isolement régulièrement et pour des périodes de temps prolongées, si cela venait à être confirmé, s’apparenterait à de la torture au regard du droit international.»
Un avis partagé la même année par le rapporteur spécial sur la torture de l’ONU, Juan Mendez, qui avait estimé que cette méthode d’interrogatoire devait être considérée comme de la torture pour les adultes également, avec des circonstances aggravantes concernant les mineurs. Pour lui, même une courte période passée au mitard suffit:
«L’isolement cellulaire imposé à des jeunes, quelle que soit sa durée, est cruel, inhumain et dégradant et viole l’article 7 de la Convention [des Nations Unies] sur les droits civils et politiques et l’article 16 de la Convention contre la torture.»
Parfois irrémédiable
Plus largement, Defence for Children et l’OMCT considèrent qu’à eux-seuls les coups, les menaces et les insultes peuvent constituer des actes de torture:
«Son interdiction s’applique à tout acte occasionnant une douleur aiguë, physique ou mentale, infligée intentionnellement dans le but d’obtenir une information ou une confession.»
Quelle proportion des quelque 27,5% des enfants qui déclarent avoir été violentés durant leur interrogatoire ont-ils été torturés? Difficile à dire. Seul un examen individuel minutieux de chaque cas par un juge impartial permettrait de l’établir en prenant en compte tous les moyens de pression illégaux appliqués.
Aussi, l’âge de la victime et sa position d’infériorité devraient être pris en compte dans l’évaluation de la gravité des formes psychologiques de torture et de mauvais traitement. En 2015, Juan Mendez soulignait que
«même des périodes de détention très courtes peuvent compromettre le bien-être psychologique et physique des enfants à long terme et leur développement cognitif».
L’impunité règne
C’est pourquoi le Comité contre la torture des Nations Unies a demandé une nouvelle fois à Israël d’agir pour mettre un terme à l’impunité dont bénéficient les auteurs de ces violations, qu’ils soient des enquêteurs des services secrets, des militaires, des policiers ou des gardiens de prison. Car pour l’heure, les réponses de l’Etat et de la justice aux doléances n’ont produit presque aucun résultat à ce niveau, selon la société civile.
«Sur les trente-cinq plaintes déposées par Defence for Children Palestine au nom d’enfants palestiniens, pas une seule n’a abouti à l’inculpation d’un des auteurs présumés», indique l’association.
Celle-ci s’indigne aussi que les médecins et les juges israéliens ne prennent pas note des allégations de torture des mineurs palestiniens lors des procédures usuelles. La situation est similaire pour les accusations de traitements inhumains commis contre des adultes palestiniens, à en croire l’ONG israélienne Comité public contre la torture en Israël (PCATI):
«Des 1000 plaintes examinées de 2001 à 2016, pas une seule n’a abouti à une enquête pénale; en dépit du fait que nombre d’entre elles concernaient des violations systématiques et flagrantes, appuyées par des rapports médicaux», précise-t-elle.
Les pressions exercées par la société civile et la communauté internationale ont malgré tout amené l’Etat hébreu à modifier certaines pratiques et à revoir sa législation durant les dernières années.
Progrès millimétriques
On ne reporte par exemple plus d’enfants détenus de nuit dans des cages à l’extérieur en plein hiver à Ramla dans l’attente de leur inculpation, comme le dénonçait le PCATI en 2013. En 2009, un tribunal pour mineurs a été mis en place, suivi en 2011 par une réglementation spéciale qui a fait passer l’âge de la majorité de 16 à 18 ans.
Obligation a été faite aussi de ne plus menotter les mineurs avec un seul lien de plastique, ce qui est extrêmement douloureux et coupe la circulation sanguine. Mais la mesure n’a pas été mise en pratique sur le terrain.
Autre progrès, le recours à la détention administrative des enfants, c’est-à-dire sans en référer à la justice, a diminué et disparu entre 2012 à 2014, avant de réapparaître: en mai dernier, douze mineurs étaient incarcérés sans inculpation.
Des améliorations qui ne changent pas la donne pour les ONG. Celles-ci rappellent encore qu’Israël n’interdit pas expressément la torture, en violation de ses engagements internationaux, et que les juges prennent toujours en considération les aveux obtenus par ce biais. Le fait qu’Israël nie en bloc les accusations de traitement inhumain n’est pas non plus très encourageant.
Des évolutions négatives sont aussi en cours: le gouvernement a approuvé en novembre dernier un projet de loi prévoyant dix à vingt ans de prison pour les lanceurs de pierre…
Source : http://m.lecourrier.ch
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