France | Témoignages de mineurs tombés dans l’enfer de la prostitution

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«Aucun jeune n’échappe à ces contenus d’une violence extrême. Cela façonne leurs esprits.»
En quelques années, le phénomène aurait doublé, facilité par les réseaux sociaux. Démunies, des familles de victimes décrivent leur “descente aux enfers”

Des proxénètes lui ont fait miroiter une vie de rêve, faite de luxe et de liberté.

Ils ont réussi à la leurrer en lui faisant croire qu’elle pourrait acquérir tout ce dont elle rêvait.

Des parents d’adolescentes victimes ont accepté de confier au Figaro la «descente aux enfers» de leurs filles tombées dans le piège des réseaux de prostitution et la manière dont ils les ont aidées à sortir de cette spirale destructrice.

Un sauvetage complexe alors que la prise en charge de ces mineures met au défi les pouvoirs publics, les services sociaux et les associations.

Entre 7000 et 10000 adolescents de 13 à 17 ans seraient concernés, selon une estimation de 2021.

Plutôt 20000 aujourd’hui, dont 15 000 mineurs suivis par la protection de l’enfance, avance une étude plus récente d’aziz Essadek, maître de conférences en psychologie.

«Aujourd’hui, on estime que 13% des personnes prostituées sont des mineurs. C’est un chiffre qui a doublé depuis 2021 », a indiqué Aurore Bergé, ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, devant la délégation aux droits des femmes du Sénat.

Alors que la prostitution des mineurs ne cesse de gagner du terrain, le gouvernement prépare un nouveau plan interministériel pour lutter contre ce fléau.

De nouvelles mesures sont attendues avant l’été.

Pour épauler les parents désemparés, parfois très seuls dans leur combat pour « récupérer » leur enfant, l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) a lancé des groupes de parole.

Quinquagénaires à l’allure sage et aux paroles mesurées, Antoine et Sophie* ont tout d’un couple « classique ».

Cette famille unie menait une vie sans aspérités jusqu’aux 15 ans de leur fille, Juliette, adoptée dans la petite enfance.

C’est à cet âge que l’adolescente fait une révélation fracassante lors d’une séance de psychothérapie.

« Elle a raconté qu’elle avait subi une agression sexuelle dans une famille d’accueil où elle avait été placée avant l’adoption, explique sa mère.

Elle l’avait caché pendant toute son enfance, jouant à la petite fille modèle pour que tout se passe bien.

À partir de ce moment-là, tout a explosé, et on a vécu l’enfer.»

Le chaos commence par des fugues avec son «petit copain», rencontré sur les réseaux sociaux et affichant 10 ans de plus que l’adolescente.

Un «lover boy» qui fait tout pour l’isoler.

« Juliette est partie à Paris, et, là, elle a subi un viol », poursuit son père, Antoine.

Deuxième choc : la jeune fille, sous influence, dépose une plainte contre ses parents afin de quitter la maison.

« C’est une technique classique des prédateurs proxénètes pour écarter les jeunes filles de leur milieu familial, commente Hélène David, responsable de la permanence Ado Sexo de L’ACPE.

Son soi-disant “petit copain” l’a invitée à porter plainte pour qu’elle soit libre et écartée de sa famille.

Les proxénètes recrutent avec des techniques plus ou moins barbares, allant de la séduction au chantage à la sex tape, jusqu’au viol.

Sur les réseaux sociaux, c’est ensuite un jeu d’enfant que de vendre leurs services. »

 

« Certains délinquants délaissent le trafic de stupéfiants pour l’exploitation des mineurs, jugée moins risquée et tout aussi rentable », indique-t-on également dans l’entourage de Sarah El Haïry, au ministère de l’enfance, de la Jeunesse et des Familles.

Placée dans un foyer de la protection de l’enfance, Juliette est approchée par un réseau.

«Ces foyers sont ouverts à tous les vents, se désolent les parents de l’adolescente. Les personnes malfaisantes qui cherchent des proies faciles le savent et rôdent autour pour profiter de la fragilité des enfants. »

Ces derniers, suspectés de violences, sont de leur côté convoqués par un juge des enfants qui se montre tout d’abord méfiant à leur égard.

Jusqu’à ce qu’une enquête des services sociaux reconnaisse qu’ils sont «de bons parents».

« On nous a mis la tête sous l’eau au moment où nous avions le plus besoin de soutien. Notre fille nous a été retirée pour la protéger, mais cela n’a pas été le cas. Elle a atterri dans une structure où elle a été livrée à des prédateurs sexuels », dénoncent-ils.

Durant un mois et demi, le couple a vécu dans l’angoisse et n’a eu des nouvelles de Juliette que par intermittence.

Seulement quelques messages échangés sur les réseaux sociaux, une participation inattendue de la jeune fille à une réunion de famille…

« On sentait qu’elle avait totalement perdu le sens de la réalité. Elle était perdue, déconnectée, sans plus aucune notion du bien et du mal», raconte sa mère.

Le mot « prostitution», cependant, n’est pas lâché.

Juliette se vante seulement de « gagner plein d’argent ».

« En fait, elle n’en a jamais vu la couleur, précise son père. Peu à peu, elle s’est rendu compte qu’elle était leur objet, qu’elle n’avait aucune forme de liberté. Elle nous a dit après coup que, ce qu’elle avait vécu, c’était de l’esclavagisme. »

Durant cette période cauchemardesque, Antoine et Sophie font tout pour maintenir un lien avec leur fille :

« Nous lui avons toujours dit que les portes de la maison restaient grandes ouvertes. Elle disait nous détester, mais elle savait que sa zone de sécurité était chez nous, se souvient le couple.

Les proxénètes ont fini par la séquestrer. Quand elle a réussi à s’échapper, elle est venue se réfugier à la maison.»

Si ce retour n’a pas effacé les difficultés relationnelles de la jeune fille avec ses parents, ils estiment que c’est grâce à cette confiance qu’ils ont réussi à la « raccrocher ».

« Elle a coupé les ponts avec le réseau. Au moins, nous l’avons arrachée aux griffes des proxénètes. Ensuite, au quotidien, nous avons lutté pied à pied pour qu’elle ne reparte pas. Cela a été très dur. »

Depuis, Juliette vit à nouveau en famille et a commencé à travailler dans la restauration.

«Elle a porté plainte, et nous sommes maintenant en attente d’un procès », indiquent Antoine et Sophie.

Leur sentiment de désarroi, de solitude face à l’inacceptable, est partagé par Caroline, dont la fille, Katia, s’est prostituée à l’âge de 17 ans.

« Avant, ma fille était très sportive. Elle s’entraînait tous les soirs et elle s’en sortait très bien à l’école. C’était une bonne élève », raconte sa mère.

Pour cette adolescente, tout a commencé par une blessure qui a mis fin à ses entraînements du jour au lendemain, avant son entrée au lycée.

La jeune fille se réfugie alors dans les réseaux sociaux.

«Cela a été d’une violence inouïe, comme une drogue. J’avais beau couper le Wi-fi, elle captait le réseau des voisins», décrit Caroline.

Ce premier changement de comportement est rapidement suivi par des fugues à répétition.

Alors que la jeune fille ne lui confie rien de sa vie, sa mère, affolée, arpente les commissariats de police.

« J’ai passé des nuits à attendre, sur un banc, à côté de gars menottés. Les policiers me disaient : “Elle a 17 ans. Ça va, elle sera bientôt majeure…”

Ma fille n’était pas du tout une priorité. J’avais l’impression de vivre un cauchemar. »

En « grande fragilité », assaillie par « des idées suicidaires », Katia se scarifie.

Une psychiatre va jusqu’à conseiller à l’adolescente de demander une émancipation.

Sa mère ne sait plus quoi faire pour l’aider et, en désespoir de cause, finit par solliciter l’aide sociale à l’enfance.

L’adolescente est placée dans un foyer où sa mère lui rend visite tous les soirs.

«Ma fille ne m’a jamais dit qu’elle se prostituait. Elle ne peut pas prononcer le mot. C’est seulement en discutant avec une de ses amies, croisée un soir, que j’ai découvert la vérité, confie-t-elle.

Aujourd’hui encore, elle a du mal à en parler. Elle lâche des bribes d’histoires, de temps en temps. »

Argent facile, marques de luxe et accessoires bling-bling, corps sexualisés à outrance…

Pour cette mère, qui s’est battue pendant un an pour récupérer sa fille, les réseaux sociaux et les messages qui y sont véhiculés sont les principaux responsables de son entrée dans la prostitution.

« Les proxénètes ne font que reprendre le rêve que vendent la téléréalité et les influenceurs… Ils flattent les jeunes filles sur leur physique. Ils ne disent pas le mot “prostituée” mais parlent d’“escort”.

Ils leur font croire qu’elles vont être reconnues de cette manière, valorisées. Cela fait rêver, alors qu’en fait elles deviennent juste des petites nanas exploitées, obligées d’enchaîner les passes », accuse-t-elle.

Depuis quelques années, ce phénomène de «glamourisation» de la prostitution a même un nom : l’«effet Zahia », du nom de cette escort-girl offerte en «cadeau d’anniversaire» à des footballeurs alors qu’elle était encore mineure.

«Lors de nos interventions de prévention dans les établissements scolaires, nous constatons une banalisation de ces pratiques. Avoir une relation sexuelle tarifée n’est plus forcément considéré comme un acte grave, qui change la nature de la relation, souligne Claire Quidet, présidente du Mouvement du nid France.

L’accès aux réseaux sociaux facilite le passage à l’acte. L’entrée dans la prostitution se fait de manière plus insidieuse, en ligne.

On trouve de plus en plus de photos de mineures dénudées sur Onlyfans ou MYM (des plateformes payantes qui peuvent donner accès à des contenus pornographiques, NDLR), qui sont un terrain de chasse pour les proxénètes.»

L’accès massif à une pornographie de plus en plus trash joue aussi un rôle, alerte la présidente de l’association :

«Aucun jeune n’échappe à ces contenus d’une violence extrême. Cela façonne leurs esprits.»

Pour contrer cette tendance, le Mouvement du nid vient de produire un podcast, «La Vie en rouge », entièrement réalisé par des femmes ayant connu la prostitution.

Pour Katia comme pour Juliette, c’est le maintien du lien familial qui a joué un rôle déterminant pour s’extraire de l’emprise des proxénètes.

Désormais âgée de 20 ans, Katia est partie suivre une formation en province, loin du milieu toxique qu’elle a fréquenté.

« C’est terminé, mais elle reste fragile. Ce qu’elle a vécu ne s’oublie jamais», dit sa mère.

Aujourd’hui encore, tout comme Antoine et Sophie, elle est conseillée par L’ACPE.

Un suivi au long cours nécessaire tant les blessures laissées par la prostitution persistent.

«Dès que c’est possible, nous travaillons avec les parents. En raison de la suspicion et du tabou qui persistent sur la prostitution des mineurs, ils peinent à trouver des interlocuteurs pour faire part de leurs difficultés, explique Hélène David.

Ces liens d’attache, hors situation familiale toxique, peuvent être un levier précieux pour aider les mineurs à s’en sortir. »

Le volet mineurs du nouveau plan de lutte contre la prostitution devrait intégrer le recours aux parents.

« Les familles ont un rôle central à jouer, qui sera pris en compte dans la nouvelle stratégie », assure-t-on au ministère de l’enfance et des Familles.

Autre axe de travail : les maraudes numériques,« qui permettent d’accrocher certains mineurs en fugue qui disparaissent des radars ».

Elles devraient être renforcées.

« Elles sont utiles pour diffuser des messages de réduction des risques, note Vincent Dubaele, directeur du programme de prévention lillois Entr’actes.

Mais repérer les mineurs sur les annonces en ligne n’est pas toujours évident, car les offres sont souvent déguisées ou gérées par les proxénètes. »

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