France | Le nombre de mineures victimes du proxénétisme est exponentiel
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- 27/02/2021
- 11:00
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Adolescentes prostituées en ligne : l’inquiétante explosion d’un phénomène
Le nombre de mineures victimes du proxénétisme est exponentiel.
Le racolage en ligne pourrait « devenir la norme ». Ces réseaux s’aident d’internet pour se développer.
« J’ai été droguée en boîte de nuit et je me suis réveillée dans une chambre d’hôtel avec ma cousine ».
Mélissa* avait 17 ans lorsqu’elle a été enlevée par son proxénète, âgé d’une trentaine d’années.
« C’est le pire cauchemar de ma vie ».
Cette nuit de 2014, la jeune femme se retrouve séquestrée avec 14 autres victimes dans cet établissement dont l’hôtelier était complice.
Mélissa était forcée de prendre de la cocaïne « tout le temps » ; la condition pour se nourrir.
Elle raconte, avec émotion six ans plus tard :
« Si je n’en prenais pas, je recevais des coups ».
Son profil était mis en ligne sur des sites internet de rencontres. La jeune femme devait subir jusqu’à 20 passes par jour de 9 heures à une heure du matin.
Et la fin de journée venue :
« Pour avoir le droit de manger, on devait se faire violer par notre proxénète ».
Le nombre de mineures dans les circuits de prostitution a explosé en France : 198 mineures ont été recensées par les services de police comme impliquées dans ces sordides trafics entre janvier et décembre 2020…
En 2014, à l’époque où Mélissa a été enlevée, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (l’Ocrteh) recensait dans ses affaires judiciaires, 28 mineures victimes de proxénètes. Une hausse conséquente ces dernières années qui alerte les autorités.
Jérémie Dumont, directeur territorial adjoint de la police judiciaire (DTPJ) de Rouen, reconnaît que cette :
« Augmentation assez nette de cas impliquant des mineures et jeunes majeures inquiète, parce qu’a priori rien ne les prédestinait à s’adonner à la prostitution ».
Jérémie Dumont commissaire DTPJ de Normandie :
« On constate une augmentation du nombre de mineures tout à fait préoccupante et des victimes qui sont de plus en plus de jeunes filles, mineures ou majeures, aux profils sociologiques variés, c’est-à-dire issues de différentes classes sociales, mais qui ont en commun le fait d’avoir une vie sociale et affective déstructurée. Il y a par exemple, beaucoup de mineures en fugue qui se retrouvent dans des systèmes prostitutionnels ».
Ces six dernières années, l’exploitation des mineures s’est développée sur l’ensemble du territoire et principalement dans les agglomérations urbaines.
En Bretagne, la Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes (DRDFE) a publié une étude en décembre 2020, qui révèle que 21 % des personnes identifiées en situation de prostitution sont des mineures, parfois très jeunes : 8 % ont moins de 15 ans et 13 % moins de 17 ans.
Dans 87% des cas, il s’agit de femmes. 11 % sont des hommes et 2 % des personnes transidentitaires.
Autre territoire et même constat dans le Nord, à Lille, où « la prostitution de victimes qui sont mineures devient un vrai sujet », s’alarme Carole Étienne, procureure de la République qui veut « pousser un cri d’alerte » :
« En 2020, sur 33 victimes, 22 étaient mineures, soit plus de 60 % ».
La magistrate confirme :
« Ce sont souvent des personnes vulnérables, en difficulté, âgées d’entre 14 et 17 ans ».
Selon elle, cette « banalisation du proxénétisme et de la prostitution chez les jeunes » a pour but de « financer un train de vie ».
Comme l’explique l’ancien procureur et ex avocat général de la Cour de cassation, Yves Charpenel, président de la fondation Scelles, qui a publié son cinquième rapport sur l’exploitation sexuelle en France en 2019, « le phénomène des mineurs est mondial ».
À Paris, par exemple, le taux de mineures tombées dans la prostitution atteint également 60 %. Ces victimes sont essentiellement françaises.
Il s’agit là d’une « délinquance d’opportunité », selon les termes du commissaire Jérémie Dumont qui constate en Normandie « de plus en plus l’implication de délinquants de moyenne envergure dans un proxénétisme destiné à arrondir les fins de mois ».
En Seine-Maritime, département normand qui concentre le plus d’activité proxénète, le patron de la Sûreté départementale, le commissaire divisionnaire Nicolas de Golmard, comptabilise :
« Un nombre incroyable de jeunes filles mineures qui, du fait de leur fugue, tombent entre les pattes de voyous ». « Ces faits-là sont vraiment en train d’exploser. »
Les services judiciaires sont confrontés au phénomène nouveau du proxénétisme dit « de cité ». À Rouen comme ailleurs.
Le commissaire de Golmard, qui se souvient d’« un gamin » de Rouen âgé de 19 ans qui exploitait trois adolescentes, remarque que :
« Certains sont passés de la vente de produits stupéfiants au pied de l’immeuble à l’organisation de faits de proxénétisme. On a beaucoup de jeunes hommes locaux, issus des quartiers qui vont utiliser des jeunes filles désocialisées qui trouvent là une espèce de sécurité, de l’argent facile ».
« Chacune lui rapportait entre 7 000 et 9 000 euros par mois ».
Selon le policier :
« L’une d’entre elles avait jusqu’à 50 clients par jour ».
Ce proxénétisme de cité ne repose pas sur un réseau complexe, il s’agit de quelques individus à l’organisation rudimentaire.
Le commissaire détaille :
« Ce ne sont pas des spécialistes très organisés. Ils tombent sur une fille en fugue au cours d’une soirée. Les gars la séduisent un peu et ils se rendent compte que, soit par la séduction, soit par l’emprise, soit par la violence, ils peuvent s’en emparer ».
« Quand elles ne sont pas contraintes, par du chantage à la sextape (vidéo érotique ou pornographique amateure) ou des violences, le proxénète utilise donc aussi la séduction pour mettre main basse sur sa victime. Comme en atteste notre témoin Mélissa, jeune fille kidnappée à 17 ans, les proxénètes « sont très forts, ce sont des manipulateurs professionnels ». Elle confirme connaître « des filles qui pensent être en couple avec leur proxénète ».
« Il y a souvent une emprise affective, des jeunes filles amoureuses, qui considèrent le proxénète comme leur petit copain », confirme Arthur Melon, secrétaire général de l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE).
À Rouen, par exemple, un homme a été condamné en octobre 2020, pour avoir prostitué sa petite amie de 17 ans, à raison de « trois à cinq clients par jour », après l’avoir inscrite sur un site internet.
Lors de sa garde à vue, il indiquait que pendant ce temps-là, il restait dans une autre pièce :
« Je regardais la télé, ou parfois je mangeais ».
Selon les dires de la victime, son petit ami « assurait [sa] sécurité » pour se faire de « l’argent facile ».
Cette capacité de « manipulation » entraînant une relation d’intimité entre le proxénète et sa victime résulte de techniques de prédation bien rodées. Il y a celle par exemple, du « loverboy ».
Yves Charpenel de la fondation Scelles, résumé :
« C’est le garçon super sympa, qui ressemble à ses victimes et qui va jouer sur la corde sensible : ‘Si tu m’aimes vraiment, fais-moi plaisir.’ Il présente la victime à ses amis. Et c’est comme ça qu’on rentre dans le mécanisme. Cette technique qui consiste à créer une relation d’apparente proximité permet d’entraîner la personne dans un univers qu’elle n’imaginait pas ».
Ces « loverboys » approchent des jeunes femmes « dépourvues de moyens, dans une soirée par exemple. Les proxénètes sont aux bons endroits : ils copinent, ils hébergent puis débutent une forme de contrainte en disant qu’en gros il va falloir commencer à payer », atteste la procureure de Lille, Carole Étienne. À l’inverse, les proxénètes utilisent leur apparence du « bon père de famille » pour « chasser ».
Dans ces deux cas, on est loin de « l’image du proxénète patibulaire », prévient Carole Étienne.
Ces hommes à l’aspect sympathique, aussi appelés « sugar daddies » ou « papas gâteaux » par Yves Charpenel, « sont prêts à mettre leur argent au service du développement personnel de très jeunes personnes » et se révèlent en fait être « des exploiteurs ».
Une relation amoureuse ou amicale, avec à l’issue un espoir de gains financiers, sur fond de misère psychique ou sociale, voilà le procédé qui mène à l’exploitation.
La procureure lilloise Carole Étienne décrypte :
« Les filles se laissent convaincre pour leur bénéfice personnel, mais elles ne voient pas qu’elles enrichissent aussi les proxénètes qui gagnent parfois des millions ».
Dans le cas du proxénétisme de cité, c’est-à-dire de petits réseaux locaux, selon la police judiciaire, les adolescentes ne conservent rarement plus de 10 % des revenus générés par leur exploitation.
Pour comprendre cette hausse importante de la prostitution forcée des adolescentes, il faut se tourner vers les plateformes numériques. Comme le souligne le commissaire de Rouen Jérémie Dumont, la prostitution classique et historique de voie publique « a tendance à stagner, voire à se rétracter au profit d’une prostitution numérique ».
Dans un avenir relativement proche, « le proxénétisme en ligne des mineures va devenir la norme », craint Arthur Melon, de l’ACPE.
Il y a d’abord la « promotion » des prostituées sur des sites internet recensés par les services de police comme Sexmodels ou Wannonce.
Elvire Arrighi, directrice de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (Ocrteh), décrypte :
« Il y a quatre ou cinq sites principaux de diffusion d’annonces. Il y a les sites clairement identifiés où il n’y a que des annonces de prostitution et il y a des sites comme Leboncoin, dont ce n’est pas l’activité principale ».
Mélissa, séquestrée dans un hôtel, était habillée, maquillée, coiffée par une proxénète pour être prise en photo. Clichés qui étaient ensuite postés sur ces espaces numériques.
La procureure Carole Étienne confirme :
« Les annonces sont renouvelées en permanence, pour « remonter » plus facilement. Avec des photos, des pseudos, des mails ».
Yves Charpenel résume :
« Des dealers de banlieue vont utiliser internet pour gérer leur business plan à l’échelle locale. Ils utilisent les plateformes et les sites de rencontres pour faire du marketing ».
Les enquêteurs judiciaires sont confrontés au développement de ces annonces en ligne sur des sites qui prennent la précaution de se présenter comme des sites de rencontres pour personnes majeures.
La fondation Scelles s’est portée partie civile dans l’affaire Vivastreet, un autre site de petites annonces. Une instruction judiciaire a poussé la plateforme à fermer en juin 2018 sa section « rencontres », laquelle moyennant paiement permettait d’accéder à des catalogues de prostitution, avec notamment des mineures.
L’ancien magistrat souligne :
« Est-ce que l’hébergeur peut raisonnablement soutenir ne pas savoir que ce qu’il propose est de la prostitution, et donc du proxénétisme, car il en tire un profit ? C’est la question fondamentale, qui est complexe ».
Yves Charpenel constate :
« Pour le cyber-proxénétisme, il y a très peu de jurisprudences de la Cour de cassation. Les proxénètes condamnés, 400 à 500 par an en France, ne font pratiquement jamais appel, et ne vont donc jamais en cassation. Quand vous êtes poursuivi pour proxénétisme aggravé, vous pouvez encourir jusqu’à 7 ou 10 ans de prison. Les peines moyennes sont plutôt de deux à trois ans. Quand vous faites appel, vous vous exposez à voir votre peine réévaluée. Ils prennent donc ce qu’on leur donne. On a donc du mal à avoir une définition uniforme sur le territoire national de ce type d’infractions ».
Avec sa fondation, il espère que l’affaire Vivastreet finira par être jugée et fournira ainsi une jurisprudence à l’ensemble des tribunaux.
La commissaire Elvire Arrighi admet :
« Le fait d’avoir à faire à des plateformes en ligne ne facilite pas toujours le travail », reconnaît la procureure, Carole Étienne. Alors la justice et ses auxiliaires adaptent leurs techniques de surveillance et d’investigation. « Ce sont par exemple des filatures sur la nouvelle voie publique qu’est internet, c’est-à-dire des cyberpatrouilles. Avec le proxénétisme hôtelier ou en appartement, les riverains se plaignent, mais beaucoup moins que lorsqu’il était visible dans la rue. C’est une forme de violence faite aux femmes qui est moins visible et donc plus difficile à détecter ».
La cheffe de l’Ocrteh sans s’épancher davantage, pointe :
« Certains sites travaillent bien avec nous », reconnaît la policière ; c’est le cas par exemple de Sexmodels », en revanche, « Sixannonces, ne collabore pas du tout ».
Le numérique est aussi utile pour repérer des personnes à exploiter et tester les plus vulnérables à travers les réseaux sociaux. Enfin, les plateformes numériques servent aussi pour l’hébergement des victimes et de leurs activités.
C’est ce qui est appelé dans le jargon judiciaire le « proxénétisme hôtelier ».
Le président de la fondation Scelles indique :
« Entre 60 et 70% des faits de prostitution passent par internet d’une manière ou d’une autre. Aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural ».
L’avantage d’internet, quand vous êtes dans le proxénétisme, c’est que vous prenez beaucoup moins de risques qu’avec les organisations traditionnelles où il faut mobiliser des gens sur le terrain. Là, vous faites une gestion hôtelière, à distance, avec des clients qui peuvent être de partout. Internet abolit les frontières.
Le commissaire de Seine-Maritime Nicolas de Golmard, comprend :
« Avec le développement d’Airbnb, le phénomène ne se passe plus exclusivement dans les quartiers, parce que des clients ne veulent pas mettre les pieds dans ces quartiers. C’est très simple de louer pour pas grand-chose, un appartement en centre-ville. Le client sera moins apeuré ».
Dans le cadre de notre enquête, nous avons sollicité le géant de location saisonnière Airbnb, qui se retrouve souvent au cœur des dossiers judiciaires, même si la plateforme insiste sur le fait que « les incidents de ce type restent rares et isolés », donnant dans son argumentaire un chiffre :
« Entre le 1er juillet 2019 et le 30 juin 2020, 0,086% des voyages ont fait l’objet d’un signalement de la part d’un hôte ou d’un voyageur lié à la sécurité ».
Malgré tout, « lorsqu’un incident est porté à notre attention, nous enquêtons et prenons les mesures nécessaires », assure la communication de l’entreprise.
Par exemple, la société a mis en place un service d’aide aux voisins qui « donne la possibilité de nous contacter directement en cas de problème lié à des annonces et nous travaillons étroitement avec les forces de l’ordre grâce à un portail en ligne dédié ».
La collaboration du leader de la location en ligne avec l’institution judiciaire nous est confirmée, mais :
« C’est compliqué d’avoir des réponses dans un temps court, nuance le commissaire rouennais Nicolas de Golmard. Nous essayons d’aller vite, parce que les situations sociales sont assez lourdes, quand il s’agit de mineures ».
Les proxénètes gèrent ces locations et la diffusion des annonces à distance.
« Les échanges avec les clients se font par l’intermédiaire du réseau qui détient les lignes téléphoniques et donne les instructions, détaille la commissaire Elvire Arrighi. Ni le client, ni le diffuseur n’ont conscience qu’il s’agit de proxénétisme. Le client pense avoir à faire à de la prostitution classique, qui elle n’est pas interdite. Mais en réalité, il y a peu de prostitution sans proxénétisme. »
Mélissa, contrainte à se prostituer à 17 ans, veut d’ailleurs délivrer ce message « aux clients qui pensent que tout va bien quand ils viennent, qu’on fait ça pour l’argent » :
« En réalité, nous sommes piégées, violées tous les soirs par nos proxénètes et les clients aussi nous violent. On ne fait pas ça de notre plein gré ».
Les réseaux internationaux continuent de prospérer en France, aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. Comme le souligne le président de la fondation Scelles, ils sont d’ailleurs « encore majoritaires ».
Mais si le phénomène des mineures victimes est « exponentiel » pour le « proxénétisme de cité », selon Elvire Arrighi, directrice de l’Ocrteh, il est en revanche plus rare dans les filières internationales.
La commissaire Elvire Arrighi rappelle :
« Ces réseaux peuvent gérer 20 à 40 femmes, contraintes de se livrer à la prostitution de midi à 3 heures du matin, 7 jours sur 7 ».
Et autant d’hommes que de femmes composent la tête de ces réseaux. Les victimes viennent principalement de quatre régions du monde. D’abord et principalement du Nigéria, mais aussi d’Europe de l’est (Roumanie, Ukraine et Albanie), de Chine et d’Amérique Latine.
Les proxénètes qui détiennent ces réseaux cherchent à gagner de l’argent facilement et à l’envoyer au pays, blanchi.
La directrice de l’Ocrteh détaille par exemple :
« Les Chinois achètent beaucoup de produits de luxe pour les revendre dans leur pays ».
Une autre méthode de blanchiment bien connue des autorités : le réseau fait envoyer par les prostituées des mandats, en petite somme, dans leur pays.
La commissaire explique :
« Ce qui représente de grosses sommes réinvesties ensuite dans l’économie légale, souvent l’immobilier ».
Lorsque Mélissa s’est échappée de son hôtel après six mois de captivité, elle a pu trouver le courage de s’en sortir, notamment grâce aux Équipes d’action contre le proxénétisme (EACP).
La jeune maman confie :
« J’ai réussi à arrêter la cocaïne. J’ai refait ma vie. J’ai eu un enfant, c’est ma force ».
En revanche, sa cousine, kidnappée avec elle en 2014, est devenue « folle et violente, à cause de la cocaïne ». Elle est actuellement en prison.
Une fois sorties de l’emprise de leurs proxénètes, leurs victimes doivent être prises en charge, car comme le signale Arthur Melon d’Agir contre la prostitution des enfants :
« Il y a souvent une fenêtre, un moment où elles sont prêtes à se faire aider » et « souvent, le déclic peut avoir lieu quand il y a un épisode de violences ou d’humiliation graves, ou bien la survenance d’une maladie, d’une grossesse, ou encore la rencontre d’un copain qui ne les exploite pas ». En plus d’un accompagnement pour le « soin psycho-traumatique » et d’une prise en charge des dépendances aux stupéfiants, il est primordial pour Arthur Melon de « déterminer quel est le lien d’accueil le plus adapté, car pour le moment il n’y en a pas ».
Les séjours à l’étranger peuvent donner des résultats intéressants, mais il y a peu de places. Les familles d’accueil, c’est quitte ou double. Est-ce qu’il ne faudrait pas créer des lieux d’accueil spécifiques à ces jeunes ados, un lieu pour créer du lien ?
Le désavantage, c’est que cela peut être dangereux de créer un tel lieu identifié, avec notamment le risque de représailles ou de stigmatisation.
Yves Charpenel, qui propose de s’attaquer plus efficacement au cyber-proxénétisme en augmentant le nombre de « cyberpatrouilleurs », nuance :
« Les dispositifs publics mis en place visent à la réinsertion de la personne prostituée si celle-ci y adhère. Mais quand 80 % des personnes prostituées sont étrangères, en situation plus ou moins régulière, et ne peuvent donc pas être éligibles à ces dispositifs, cela en réduit considérablement le champ ».
En Normandie, la police judiciaire est « pleinement impliquée dans la lutte contre le proxénétisme », assure le directeur adjoint de la DTPJ :
« Une vigilance constante est maintenue par le service pour analyser en permanence ce phénomène ».
La brigade de répression du banditisme et du proxénétisme de la DTPJ est composée de cinq enquêteurs à Rouen et sept à Caen (Calvados). Ils sont aidés dans leur mission par le Groupe interministériel de recherche (GIR) regroupant 12 enquêteurs qui viennent en appui, notamment sur le volet patrimonial.
Dans la même région, en Seine-Maritime, le « groupe mœurs » de la Sûreté départementale est composé de quatre enquêteurs, dont deux spécialisés en cybercriminalité. À Lille également, la police judiciaire dispose de deux agents et la Sûreté départementale de quatre fonctionnaires.
En 2020, ces deux équipes spécialisées ont traité 24 dossiers (19 en Sûreté départementale, cinq en PJ). En Normandie, la PJ a enquêté sur une dizaine d’affaires.
« Ils sont trop peu nombreux, tacle Yves Charpenel. Ce sont des gens formés à utiliser des dispositifs que le code de procédure pénale met à disposition dans certains contentieux, comme la lutte contre le terrorisme ou la pédopornographie, et qui permettent de faire utilement des recherches sur internet pour détecter des annonces. Mais si vous faites des enquêtes de cyber-proxénétisme, il faut des enquêteurs spécialisés, des juges et des procureurs qui connaissent la matière, et ce sont des enquêtes qui prennent entre trois et quatre ans. Et quand vous connaissez la richesse de la justice, et que vous avez déjà des affaires de Gilets jaunes ou de terrorisme, vous n’avez plus de disponibilité pour faire des enquêtes de ce type. »
Autre axe d’attaque pour Yves Charpenel : le développement de « la prophylaxie pour informer la population à travers les réseaux sociaux ». La fondation Scelles s’est rapprochée des Gafa [les géants du web que sont Google, Amazon, Facebook, Airbnb, Microsoft, Apple…, NDLR] dans le but de « nouer des partenariats ».
« Aux États-Unis, Microsoft, Google et Facebook travaillent avec des associations de lutte contre la prostitution des mineurs et mettent à leur disposition des logiciels, se réjouit l’ancien juge. Comme Google qui a mis en place un dispositif, offert aux procureurs américains, permettant de détecter des annonces crapuleuses dans le big data. »
Une enquête d’Anthony Bonnet, Julien Bouteiller et Raphaël Tual
*Prénom d’emprunt. À sa demande, nous ne divulguons pas la ville où les faits se sont passés.
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