Donde Vamos | Outreau, angles morts. Ce que les Français n’ont pas pu savoir : un livre pédagogique sur l’affaire d’Outreau

Le livre “Outreau, angles morts. Ce que les français n’ont pas pu savoir“, a été publié cet été par Jacques Delivré et Jacques Cuvillier, deux fins connaisseurs des méandres judiciaires et médiatiques de l’affaire d’Outreau. Cet ouvrage factuel a un but pédagogique, et permet au lecteur initié à l’affaire par le seul biais des médias de remettre les choses à leur juste place. Il déconstruit l’histoire qui nous a été narrée par les avocats de la défense, répercutée inlassablement depuis des années sur les ondes et dans la presse.

Il y a quelques jours, Myriam Badaoui, condamnée à 15 ans de prison dans l’affaire d’Outreau, y est retournée quelques mois après avoir agressé deux jeunes femmes handicapées pour leur voler des chèques. On attend aussi depuis trois ans le procès de Frank Lavier pour les viols de de l’une de ses filles mineures [1]. Cette affaire d’Outreau, que nombre d’avocats osent encore invoquer dans les prétoires pour signifier aux juges qu’il ne faut pas écouter les enfants, ne finira jamais.

Un scénario conçu par les avocats de la défense

Ceux qui connaissent le dossier savent qu’il n’est pas “vide” comme beaucoup l’ont affirmé suite à on ne sait quelle construction mentale. Rapidement, ce dossier est celui d’un réseau pédophile décrit par des enfants et certains adultes, qui s’est terminé par 4 condamnations (principalement Myriam Badaoui et son mari Thierry Delay, qui ont pris 15 et 20 ans, et un autre couple) et la reconnaissance de 12 enfants comme victimes [2], pour certains de proxénétisme. Au final, dans cette affaire, il manque les clients.

Le livre “Outreau, angles morts” est salvateur, et contribue honnêtement -c’est rare dans cette affaire- à l’information du public. Il raconte, avec une précision presque mécanique, le déroulé de l’histoire d’Outreau racontée par les médias, et remet chaque mensonge en relation avec la réalité du dossier et des faits. Autant dire que le lecteur non averti sera surpris, et terminera la lecture en ayant la furieuse impression d’avoir été manipulé.

C’est pour permettre aux gens de sortir de cette manipulation, particulièrement dangereuse pour les droits des enfants victimes de violences sexuelles (moins 40% de condamnations pour viol depuis la procès en appel de l”affaire d’Outreau en 2006), que ce livre a été acrit, et doit être diffusé.

L’un des auteurs, Jacques Cuvillier, explique dans une interview que “Depuis les années du scandale, Outreau est devenu un nom commun. Son spectre souvent brandi dans les audiences comme un talisman est à même de conserver toute son influence tant que ne sera pas découvert toute l’ambiguïté sur laquelle il repose. Si l’influence des médias sur le fonctionnement de la justice peut être vue sous plusieurs angles et à partir d’exemples multiples, une étude étendue et rigoureuse de leur rôle, précisément dans l’affaire d’Outreau, est riche d’enseignements dans le sens où elle permet une vue panoramique de ses différents modes d’intervention et de ses effets”.

Les auteurs se sont rencontrés au procès de Daniel Legrand à Rennes, où un certain nombre de citoyens s’étaient déplacés durant trois semaines pour soutenir les frères Delay, parties civiles face à ce qui s’annonçait comme une nouvelle séance de broyage, ou simplement pour tenter de comprendre cette affaire. Jacques Cuvillier explique qu’ils ont été “sidérés de la différence de perception que nous pouvions avoir entre ce qui apparaissait lors de l’audience et ce qui en était dit sur les ondes et dans la presse qui ne semblait pas parler de la même affaire“.

Ce fut le cas de tous ceux qui étaient présents, même le public “habituel” des procès. Etant moi-même encore journaliste à cette époque et ayant couvert un certain nombre de procès, j’avoue avoir été totalement perplexe en observant la manière de “travailler” des journalistes, qui ne prenaient pour ainsi dire aucune note et se contentaient de la feuille d’éléments de langage que les avocats de la défense leur donnaient le matin en arrivant.

Tous étaient “drivés”, il faut le dire, par Dufland, pardon Durand Soufflant, chroniqueur judiciaire du Figaro et président de l’association des chroniqueurs judiciaires, et sa comparse Florence Aubenas, fort occupée à dénoncer les “complotistes” qu’elle voyait rôder partout dans la salle et autour du tribunal.

Ce livre parle de désinformation à grande échelle et en décompose le mécanisme dans le cas de l’affaire de dizaines d’enfants ayant dénoncé des violences sexuelles commises par des dizaines d’adultes, et qui s’est conclue par 4 condamnations et 12 enfants victimes. Cela, à la suite d’un travail acharné de réécriture des faits par les avocats de la défense, dont la parole a été reproduite sans aucun recul par la totalité des médias ayant relaté l’affaire.

Les faits sont tenaces, le dossier est lourd, et les incohérences du récit que l’on a imposé à la population sont nombreuses. Une bonne partie sont reprises dans cet ouvrage.

Ce livre recadre la propagande qui a diffusé une version minimaliste de l’affaire d’Outreau. Les “oublis” des propagandistes, les distorisons de la réalité, les constructions mentales et les mensonges qu’ils ont véhiculés sont exposés et remis à leur juste place dans la vraie histoire. “Arrivé à ce point de récurrences, il ne s’agit plus d’erreurs ou de maladresses. Plutôt d’une entreprise délibérée de fabrication de mensonges. L’affaire, telle qu’elle apparaît à la lumière de l’instruction, fut démontée pièce par pièce. Sont ôtées ou sont soigneusement maquillées toutes les pièces gênantes. le tout est remonté, au nez et à la barbe du public“, écrivent les auteurs.

L’objectif ? Amener les médias et l’opinion publique à adhérer à la théorie (à ce moment ce n’est qu’une théorie et pas une vérité judiciaire) de l’innocence des accusés.

Un livre qui contribue à déterrer la vérité

Pourquoi les citoyens n’ont -ils eu droit qu’à une seule version de l’affaire, celle des accusés, futurs acquittés, et de leurs avocats? Parce que l’institution judiciaire a refusé de s’exprimer, ne serait-ce que pour recadrer les délires de plus en plus surréalistes qui se propageaient alors, et parce que les deux avocats qui représentaient l’ensemble des enfants ne se sont pas exprimés non plus pour défendre leurs clients. Payés par le Conseil général, ils avaient probablement mieux à faire.

Quant aux parents de ces enfants, eh bien ils étaient généralement sur le banc des accusés, ou témoins, ou avaient été entendus dans l’affaire.

Voilà pourquoi seule la version des accusés a été diffusée, rediffusée et même surdiffusée à chaque étape de cette affaire, et encore récemment quand Dominique Wiel s’est exprimé dans la presse locale du Nord en décembre 2018. Toujours pour dire que les enfants, reconnus victimes, ont menti.

Pour ces raisons, les articles et reportages consacrés à l’affaire ont contribué à minimiser l’ampleur et la gravité des faits, quitte à travestir sérieusement les faits pour qu’ils deviennent fiction, à attaquer les experts et les victimes, à mentir de la manière la plus bête, à laisser de côté les faits incriminants ou menant vers l’existence d’un réseau organisé, pourtant loin d’être rares dans le dossier. Les auteurs parlent de multiples “exercices de réécriture” par différents journalistes, parmi lesquels Aubenas n’a pas été la dernière.

Derrière ces manoeuvres, l’objectif était de faire en sorte que le public s’identifie aux accusés, futurs acquittés. Il fallait qu’il y ait des “gentils” (les accusés) et des “méchants” (les “enfants menteurs” bien-sûr, et aussi tous ceux qui les avaient considérés crédibles: experts, assistantes maternelles, assistantes sociales…).

Le travail des deux auteurs d’”Outreau Angles morts”, qui est aussi une analyse rhétorique du récit d’Outreau, reprend toute l’affaire depuis les premiers articles dans la presse en 2001, jusqu’à la commission d’enquête parlementaire et au procès de Daniel Legrand à Rennes, qui fut aussi édifiant voir kafkaïen que les procès précédents [3].

Les gens ont eu droit à des centaines d’articles, de reportages, à des “documentaires”, des livres, et même à un film, diffusé ensuite sur la télé publique, pour entendre geindre Marécaux une fois de plus sur son triste sort. Tout cela relève de la fiction, comme le montre brillamment “Outreau, angles morts. Ce que les Français n’ont pas pu savoir”. Une fiction qui est le fruit d’intérêts convergents pour enterrer l’affaire et, oserais-je dire, les enfants avec.

Il ressort de nos travaux, une mise en évidence des connexions qui se tissent entre les parties au procès, les médias, le monde politique, le public lui-même en proie à ses angoisses et à ses représentations. Dans ce contexte chaque catégorie cherche à satisfaire ses attentes et la réalité des faits peine à prévaloir. Ce qui en résulte aboutit à une histoire consensuelle qui s’écarte considérablement de cette réalité.(…) notre approche montre clairement la multiplicité des responsabilités, contrairement aux explications beaucoup plus sommaires qui ont été parfois lues et entendues.”, explique Jacques Cuvillier.

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L’affaire d’Outreau restera une tâche dans l’histoire médiatique, politique, judiciaire et même sociale. Trop de manipulations et de mensonges ont été répétés, tels un rouleau compresseur destiné à empêcher le public de penser. Depuis quelques années, à commencer par la psychologue experte qui avait reçu la plupart des enfants d’Outreau dans le cadre de l’instruction, Marie-Christine Gryson, un travail sérieux est mené pour analyser cette mystification d’Outreau et fournir au public les éléments de compréhension indispensables.

On peut douter que cette affaire soit un jour enterrée comme certains le voudraient. Après l’acquittement de Daniel Legrand, l’un de ses nombreux avocats (ils étaient cinq) avait lancé aux citoyens présents que “maintenant, l’affaire d’Outreau c’est fini“. Eh bien non. Car depuis, la parole des enfants victimes est piétinée: moins de 400 condamnations par an pour viol sur mineur, un chiffre qui ne fait que baisser alors que le nombre de plaintes augmente d’année en année. Cette catastrophe qui permet à des psys de déclarer que les enfants mentent et de les envoyer vivre chez les agresseurs qu’ils dénoncent, qui permet de classer sans suite 76% des plaintes pour viol, c’est la conséquence de la mystification d’Outreau.

Pour commander le livre “Outreau, angles morts. Ce que les Français n’ont pas pu savoir“, c’est par ici.

Pour s’informer sur l’affaire d’Outreau, quelques références par ici.


[1] Il est mis en examen depuis juin 2016 pour avoir violé et agressé sexuellement l’une de ses filles encore mineure, qui ne faisait pas partie des victimes reconnues lors des procès précédents.

[2] 12 enfants ont été reconnus victimes à l’issue du procès en appel, mais des dizaines d’enfants ont été cités comme victimes dans le dossier.

[3] Une anecdote qu’il faut raconter et qui récume assez bien l’ambiance surréaliste du procès c’est quand, le vendredi 29 mai, à la fin des trois semaines de procès, Daniel legrand est enfin entendu. On lui lit une audition lors d’une confrontation avec Myriam Badaoui, au cours de laquelle il a cité comme coupables des personnes que Badaoui n’avait pas citées, donnant même leurs noms et prénoms alors qu’il n’arrêtait pas de dire qu’il n’avait jamais mis les pieds à Outreau et ne connaissait personne. Il avait aussi décrit le meurtre d’une fillette dans le détail, un récit qui correspondait fortement à celui de Myriam Badaoui. Tout le monde se demandait en effet comment il avait pu, sans se tromper, donner les noms et reconnaitre des gens qu’il était censé n’avoir jamais vus, et décrire un meurtre auquel il dit qu’il n’était pas présent. C’est alors que Legrand a répondu: “Je suis rentré dans la tête de Myriam Badaoui“. Eh bien personne n’a été lui demander d’où lui venaient ses dons d’extralucide, et on est passé à une autre question.

Source : Donde Vamos

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