Protection de l’enfance | Dix ans après la réforme, les professionnels jugent sévèrement leur action

Dix ans après la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, les professionnels estiment que, sur des objectifs clé de cette loi, tels que la prévention et la cohérence du parcours de l’enfant, le dispositif a stagné voire régressé.

En dépit de progrès observés sur le repérage et l’évaluation des situations préoccupantes, leur bilan est sévère. Tout en partageant les orientations de la loi de 2016, les professionnels sont inquiets et s’interrogent sur leur capacité – au vu des moyens et de l’organisation dont ils disposent – à changer la donne.

“Avons-nous progressé ?” C’est la question que se sont posée quelque 2.000 professionnels de la protection de l’enfance, réunis les 3 et 4 juillet à Paris, dix ans après la loi du 5 mars 2007.

A l’invitation du Journal des acteurs sociaux, en partenariat avec l’Observatoire national de l’action sociale (Odas) et la ville de Paris, ces dixièmes Assises nationales de la protection de l’enfance ont été l’occasion de dévoiler les résultats d’une enquête “bilan et perspectives” ayant recueilli les réponses d’environ 2.000 personnes concernées par la protection de l’enfance, dont près de 60% de travailleurs sociaux.

Des progrès observés sur le repérage et l’évaluation des situations préoccupantes.

“Le bilan est mitigé”, a d’emblée annoncé Marie-Agnès Féret, chargée d’études protection de l’enfance à l’Odas. C’est sur le repérage et l’évaluation des situations préoccupantes que les professionnels se montrent le plus positifs, une majorité d’entre eux notant des progrès.

Les informations préoccupantes et tout ce qui a été mis en place autour constituent “la grande évolution de ces dix dernières années”, a acquiescé Adeline Gouttenoire, directrice de l’Institut des mineurs et présidente de l’observatoire de la protection de l’enfance de Gironde.
De l’avis de 51% des professionnels ayant répondu à l’enquête, les enfants seraient actuellement davantage entendus sur les décisions qui les concernent.

Pour une large majorité, les liens familiaux de l’enfant seraient davantage préservés ; mais ils ne sont pas majoritaires (44%) à estimer que les relations entre acteurs de la protection de l’enfance et les familles se sont améliorées. Globalement, l’intérêt de l’enfant guiderait aujourd’hui davantage les décisions, pour 60% des professionnels interrogés.

“Sur cette notion de parcours, on a énormément de mal à progresser. Nos pratiques sont toujours très cloisonnantes.”

En revanche, en matière de prévention, deux tiers des répondants considèrent que la protection de l’enfance a stagné voire régressé. Sur la capacité des acteurs à favoriser des “parcours cohérents” pour les enfants, le diagnostic est tout aussi sévère.

“Sur cette notion de parcours fortement portée par la loi de 2007 et reprise par la loi de 2016, on a énormément de mal à progresser”, a témoigné Brigitte Mevel Le Nair, directrice Enfance-Famille du département du Finistère.

“Nos pratiques sont toujours très cloisonnantes, à notre corps défendant”, a-t-elle poursuivi, “nous raisonnons en ‘mesures’ qui décrivent des interventions interdépendantes les unes des autres mais en même temps très cloisonnées”.

Quel impact de la politique sur le devenir des enfants ? Seuls 21% constatent des progrès. 

L’appréciation générale du bilan de la mise en oeuvre de la loi de 2007 n’est pas meilleure : seuls 21% des répondants estiment que la protection de l’enfance a un impact sur le devenir des enfants plus important qu’auparavant ; cet impact aurait stagné pour 34% et se serait dégradé pour 37%.
Une absence de progrès qui interpelle Damien Mulliez, magistrat et conseiller à la chambre des mineurs de la Cour d’appel de Paris. “Qu’est-ce qui fait que le législateur a introduit des ‘basiques’ du travail éducatif, tels que “aller voir ce qu’il se passe dans les familles” dans la loi du 14 mars 2016 ?”, a-t-il interrogé.

Des moyens dédiés au traitement des situations, pas à la prévention

Les professionnels interrogés partagent majoritairement les orientations de cette nouvelle loi, estimant que cette dernière a clarifié et amélioré la loi de 2007. Toutefois, “de nombreuses inquiétudes persistent quant aux moyens et à l’organisation” dédiés à l’atteinte de ces objectifs, a conclu Marie-Agnès Féret.

Pour Didier Lesueur, délégué général de l’Odas, il importe de s’interroger davantage sur “l’emploi des moyens” que sur leur niveau.

Il rappelle que la dépense départementale de protection de l’enfance s’élevait à 7,3 milliards d’euros en 2016, dont plus de 80% dédiés au placement des enfants, soit une “prégnance du traitement sur la prévention”.
Une ministre “de la famille et de l’enfance” tendant la main aux départements

Si le gouvernement n’aura pas été représenté lors de ces rencontres du fait des discours successifs du président de la République devant le Parlement à Versailles et du Premier ministre devant l’Assemblée nationale, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a adressé un message vidéo aux participants.

Assurant qu’elle était bien la “ministre de la famille et de l’enfance”, elle a déclaré vouloir mettre l’accent sur le soutien à la parentalité et la prévention.

La ministre entend élaborer en lien avec d’autres membres du gouvernement une “stratégie interministérielle pour la protection de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse” sur la période 2018-2022.

Agnès Buzyn a également fait part de sa volonté de s’appuyer sur le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge pour décloisonner, de son intention de mettre en place rapidement un “réseau des correspondants départementaux” et d’avancer sur le “sujet des mineurs non accompagnés” ou encore de travailler à une réponse aux observations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU et aux “axes d’amélioration nécessaires”.

“La protection de l’enfance n’est pas tout à fait sortie de son angle mort des politiques publiques”

“Ces propos sont porteurs d’espoir”, a réagi la directrice Enfance-Famille du Finistère. Sur le plan local, cette dernière s’estime chanceuse “d’avoir des vice-présidents impliqués”. “Je ne suis pas sûre que ce soit le cas partout, la protection de l’enfance n’est pas tout à fait sortie de son angle mort des politiques publiques”, a-t-elle regretté.

Avant de s’adresser à ses collègues : “Communiquons sur ce que nous faisons, si nous voulons que nos élus le porte.”

Les professionnels se sont en tout cas prêtés volontiers, pendant ces deux jours, au jeu de l’échange : entre cadres et travailleurs sociaux du département et magistrats par exemple, entre territoires français et en s’intéressant également à d’autres pays tels que la Belgique, le Royaume-Uni et le Québec.

A l’issue d’un travail en atelier – sur “la contribution de toutes les politiques”, “l’entourage de l’enfant”, “les besoins de l’enfant”, les “cadres en protection de l’enfance” et la “réponse aux mineurs non accompagnés” -, des propositions devaient être formulées à l’intention du gouvernement.

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