Creil | Une justice aveugle face au viol collectif de la jeune Shaïna

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Deux ans après les faits requalifiés en agression sexuelle, elle a été assassinée
Charlie Hebdo
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En première instance, les 31 janvier et 1er février 2022 , les agresseurs présumés n’ont rien regretté et ont campé sur leurs positions : c’est Shaïna qui voulait un rapport sexuel, dans une totale inversion de l’accusation.

Le procès en appel pour l’agression sexuelle qu’avait subie la jeune Shaïna, qui, en 2017, avait porté plainte pour un viol collectif à l’âge de 13 ans, à Creil, dans l’Oise, se tient ces 6 et 7 avril à Amiens.

L’un des agresseurs présumés avait été acquitté en première instance, trois autres ont été condamnés à des peines de huit à douze mois de prison avec sursis.

Quand on se plonge dans le dossier judiciaire, on découvre combien ce fut un parcours du combattant pour la jeune Shaïna, preuve, une fois de plus, que les violences faites aux femmes sont difficilement prises en compte par la justice.

Selon nos informations, même la psy qui l’a entendue dans le cadre d’une expertise judiciaire a estimé qu’il ne fallait pas la prendre au sérieux.

En première instance, les 31 janvier et 1er février 2022 , les agresseurs présumés n’ont rien regretté et ont campé sur leurs positions : c’est Shaïna qui voulait un rapport sexuel, dans une totale inversion de l’accusation.

Shaïna n’est plus là pour se défendre, car deux ans après l’agression, elle était assassinée, poignardée puis brûlée vive dans un cabanon par un autre ­garçon.

Que s’est-il passé en cette année 2017 ?

Shaïna a 13 ans, elle rencontre Ahmed*, 14 ans, sur Snapchat. Il se montre au départ attentionné et gentil.

Mais après quelques semaines, il devient de plus en plus violent. Il veut obtenir d’elle des photos dénudées. Devant son refus, pour se venger, il lance la rumeur qu’elle serait une « fille facile ».

Le tout début d’un poison qui va lentement se propager. Il réussit à obtenir ces photos par la force et, à partir de là, s’opère un chantage.

Shaïna est prise au piège et se sent obligée de se rendre dans une clinique désaffectée de la ville de Creil, où l’attend son copain, accompagné de deux de ses amis. D’après sa déposition, elle y subit un viol collectif, une pénétration par un tube de baume à lèvres , puis par les doigts et le sexe d’Ahmed, tout en étant parfois tenue par les amis de ce dernier.

Parmi les éléments de preuve, il existe notamment une vidéo, prise par l’un des agresseurs présumés, qui ne montre pas le viol en lui-même, mais une atmosphère de violence à caractère sexuel et des menaces.

Shaïna y apparaît sur un banc, en soutien-gorge avec sa culotte à côté d’elle et son pantalon, qu’elle utilise pour cacher ses parties intimes, et les garçons la traitent de « pute ».

Ce qui frappe dans ce dossier, c’est qu’à chaque étape Shaïna doit faire face à des obstacles, et sa parole est sans cesse remise en cause.

Lors de l’audition, la policière écrit ces mots, en majuscules dans la déposition, d’une grande incompréhension face à l’état de sidération dans lequel peut se trouver une victime :

« DISONS QU’AU COURS DE L’AUDITION, Shaïna NE MANIFESTE AUCUNE ÉMOTION PARTICULIÈRE. »

Par ailleurs, lors de son examen clinique réalisé le soir même, la médecin légiste écrit :

« On ne perçoit pas d’affect de tristesse, de honte ou de sentiment de culpabilité, Shaïna parle et se déshabille facilement », tout en constatant un certain nombre d’ecchymoses.

Comment la médecin légiste peut-elle en arriver à écrire cette phrase ?

Contactée par Charlie, elle s’est bornée à répondre, à deux reprises :

« Je ne souhaite pas échanger sur le sujet. »

Le procureur de la République de Senlis en poste à ce moment-là, Jean-Baptiste Bladier, estime de son côté que ces propos sont purement factuels, qu’il ne s’agit que d’une constatation. Considérer que l’on devrait éprouver de la honte est pourtant être un jugement de valeur.

La mère de Shaïna est horrifiée par les mots de la légiste :

« Si ma fille s’est déshabillée, c’est parce que je lui ai dit de le faire, je lui ai dit d’avoir confiance. »

Le parcours du combattant ne s’arrête pas là.

Une plainte pour viol, ce sont de multiples procédures, c’est toute la ­machine judiciaire qui se met en marche, d’une complexité nécessaire, mais qui s’avère d’une grande violence pour une victime si jeune et fragile.

Shaïna est interrogée à plusieurs reprises sur le déroulé précis de l’agression, parfois un an après. Des auditions censées vérifier l’authenticité des faits dénoncés.

Mais comment se souvenir de chaque détail précisément ? Sa déposition aurait d’ailleurs pu être effectuée par la brigade des mineurs, et filmée, pour éviter qu’elle ne doive se répéter. Au lieu de ça, à chaque audition, le moindre changement de version est pointé par les enquêteurs, et la défense s’y engouffre.

Me Camille ­Radot, qui assure la défense du principal accusé, Ahmed, le petit ami de Shaïna au moment des faits, dénonce des changements de version dans les auditions de Shaïna, preuve qu’elle ne dirait pas la vérité.

Mais dans ces auditions transparaît aussi toute la difficulté d’une si jeune victime, sommée, du haut de ses 13 ans, de raconter encore et encore en détail ce qu’elle a subi.

Ainsi, on lui fait remarquer que, dans une précédente audition, elle affirmait que tel garçon la tenait lors de l’agression, puis, dans une autre déposition, que le même la regardait mais ne la tenait pas. Ou encore que, lors d’une audition antérieure, elle déclarait que tel garçon lui demandait une fellation, pour ensuite dire qu’ils étaient deux à lui en réclamer.

Un autre élément montre combien sa parole n’a pas été prise en compte. Shaïna avait porté plainte pour viol, les prévenus ont tout d’abord été mis en examen pour « viol en réunion ». Mais ce chef d’accusation n’a pas été reconnu comme tel par la justice.

La juge d’instruction l’a requalifié en « agression sexuelle en réunion ».

Comme beaucoup de cas de violences sexuelles, l’affaire est donc requalifiée, d’un crime vers un délit.

On passe d’une peine de quinze ans de prison maximum à une peine de sept ans maximum (divisée par deux, puisque les accusés sont mineurs). Et de plusieurs jours de procès aux assises – avec la possibilité d’interroger des experts – à seulement deux jours en correctionnelle.

La juge d’instruction a considéré qu’elle ne pouvait pas prouver qu’il y avait eu pénétration, condition sine qua non pour la qualification de viol.

Elle se fonde, entre autres, sur l’expertise psychologique de Shaïna, autre document peu favorable à la jeune fille, qui contient des éléments clés qui ont pu conduire à affaiblir sa parole.

La psychologue a entendu l’adolescente pendant deux heures trente, sans l’avoir jamais rencontrée avant. Or cette experte affirme que la jeune fille ne connaissait pas le fonctionnement de son corps et aurait confondu « pénétration » avec « frottement ».

“Dans cette logique, aucun violeur d’enfant ne pourrait être poursuivi pour viol, souligne l’avocate de Shaïna, Me Negar Haeri. Quel enfant connaît en effet précisément la notion de pénétration ?”

Autre élément qui joue en la défaveur de Shaïna, souligné par la psychologue, la jeune fille a reconnu avoir menti lors d’une affaire précédente. En effet, Shaïna a évoqué auprès de sa copine Maeva un premier viol, qui se serait déroulé le 24 août 2017, huit jours avant les faits, le 31 août , par le même Ahmed, dans une cave. Puis elle est revenue sur cette accusation.

Pourquoi ce mensonge ? Elle aurait voulu dénigrer Ahmed pour que sa copine Maeva s’éloigne de lui, car elle en était très amoureuse.

Des multiples procédures d’une grande violence

À propos d’Ahmed, elle aurait donc menti une seule fois auprès de sa copine Maeva. Et pour cela, la psy n’hésite pas à écrire dans son expertise :

« Ce premier mensonge peut d’emblée questionner sur l’authenticité globale de la parole de cette jeune fille. »

Cruelle remise en cause de toute sa parole. Cette professionnelle de la psychologie aurait pu tout aussi bien considérer que ce n’est pas parce que l’on a menti une fois que l’on ment à chaque affirmation. Un mensonge, et tous ses propos sont discrédités.

La justice veut des victimes « parfaites ».

L’avocat de la défense ajoute qu’elle a changé à nouveau de version concernant ce supposé premier viol, lors d’une confrontation, expliquant qu’Ahmed avait quand même essayé de lui enlever son tee-shirt. Confrontation qui, là encore, se tient un an après !

Insister sur ces changements de version, c’est une diversion, dénonce Me Negar Haeri :

« Shaïna restera constante et circonstanciée sur l’essentiel : les divers modes opératoires, soit le Labello lorsqu’il tombe de sa poche, les doigts et le sexe d’Ahmed, et puis les insultes. »

Les accusés, de leur côté, ont eux aussi changé de version. Ils ont malgré tout reconnu les faits de viol lors d’auditions, en se renvoyant la balle, nous précisait Me Negar Haeri.

La justice a failli, décidément, à protéger Shaïna, y ­compris après sa plainte : Ahmed a fait un séjour d’un mois en centre éducatif fermé, puis a eu l’obligation de s’éloigner de Creil pendant un an.

Mais, autorisé à revenir, il recroise la jeune fille. Il est accusé de l’avoir alors tabassée dans la rue pour se venger. Ce deuxième volet n’est toujours pas jugé.

Cette agression sexuelle avait contribué à amplifier la réputation de « fille facile » de Shaïna, qui n’était plus digne de respect au sein de la cité.

Une agression qui avait créé les conditions de sa mort.

Le meurtrier présumé s’était intéressé à elle pour être sûr d’avoir des relations sexuelles avec elle, dans un territoire empreint de rigorisme religieux, où la sexualité est taboue.

Il l’a tuée quand il a appris qu’elle était enceinte de lui. À un codétenu, il aurait dit qu’il préférait prendre trente ans « que d’être le père d’un fils de pute ». Son procès, très attendu aussi par la famille de Shaïna, aura lieu en juin prochain.

 

* Le prénom a été changé.

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