Canada | Les filles mineures appâtées sur les réseaux sociaux

Le processus vers la prostitution vécu par Fanny, dans la série Fugueuse, est d’un réalisme frappant, selon plusieurs intervenants du milieu interrogés par Le Journal de Montréal.

Illustration. Stock.adobe.com

« Pour 90 % des jeunes que j’accompagne, c’est exactement leur histoire », affirme Catherine, travailleuse de rue qui fréquente le milieu de la prostitution juvénile depuis près de sept ans à Québec. L’intervenante pour l’organisme Projet Intervention Prostitution Québec (PIPQ) rapporte même que la plupart des jeunes filles qu’elle rencontre sont plus jeunes que la fictive Fanny.

Viol collectif

Qui plus est, la scène choquante montrant le viol collectif est loin d’être de la fiction, soutient-elle.

« Les jeunes commencent dans le réseau à 14 ou 15 ans. À cet âge, elles ont souvent toutes eu leur viol collectif et leurs premiers clients », indique-t-elle, précisant qu’il s’agit de la première étape du processus de désensibilisation à la sexualité.

« Les filles sont ensuite appelées à côtoyer le milieu de la danse érotique, des escortes, les gars les invitent à avoir des rapports sexuels avec d’autres.

Tranquillement, la jeune fille transgresse certaines frontières qu’elle avait, et en plus, les gars viennent normaliser, valoriser ça », mentionne pour sa part la directrice de PIPQ, Geneviève Quinty.

Partys et réseaux sociaux

Même si l’histoire de Fugueuse est quelque peu romancée, estime l’intervenante du Volet Intervention Prostitution (VIP) à Lévis, elle reflète bien le milieu de la prostitution juvénile.

« On voit par exemple que Damien lui laisse un peu d’argent pour ses clients, mais ce n’est pas toujours le cas.

La violence est souvent aussi beaucoup plus intense de la part des pimps », indique la travailleuse de rue qui désire conserver l’anonymat.

Les réseaux sociaux jouent également un rôle clé pour recruter les jeunes filles.

« Les gars lancent des perches sur Facebook ou Instagram et invitent par exemple 450 jeunes filles à un party dans un condo de luxe ou une chambre d’hôtel.

Là-dessus, il y en aura peut-être quatre ou cinq qui vont se présenter », relate Catherine, précisant que drogues et alcool y sont souvent offerts à volonté.

Depuis l’importante opération Scorpion, les proxénètes ont « raffiné » leur façon de faire, affirme la lieutenante-détective Nathalie Thériault, chef de l’Unité sur l’exploitation sexuelle de mineurs au Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), qui était de l’opération en 2002.

Ainsi, des « facilitateurs » ou même des « facilitatrices », soit des jeunes qui doivent eux aussi des comptes aux proxénètes, font maintenant partie de l’équation.

« Ce sont des jeunes filles qui ne sont même pas au courant qu’elles recrutent.

Elles sont invitées à un party et invitent leurs amies et c’est là que le proxénète entre en jeu », affirme la lieutenante-détective, qui admet avoir reconnu en Fanny plusieurs filles rencontrées au cours de ses 16 dernières années dans le milieu.

Toujours bien présente

Malgré les stratégies récemment mises en place, la prostitution juvénile est toujours bien présente à Québec.

« La question qu’il faut se poser, c’est : est-ce qu’il y a encore de la demande [pour des prostituées d’âge mineur], et la réponse est oui, il y en a comme ça », se désole Geneviève Quinty, directrice du PIPQ.

La prostitution juvénile à Québec

À la DPJ, entre 30 et 40 signalements sont faits chaque année dans la région pour des jeunes à risque d’exploitation sexuelle ou impliqués dans la prostitution juvénile.

Il est très rare de voir des jeunes filles d’âge mineur en agence ou dans des salons de massage.

Elles sont plutôt mises de l’avant sur le web.

Près de 80 % des travailleuses du sexe à l’âge adulte qui fréquentent l’organisme PIPQ ont commencé alors qu’elles étaient mineures.

Une vingtaine de salons de massage auraient pignon sur rue à Québec.

Une seule agence serait encore ouverte.

La prostitution masculine, plus cachée, mais tout aussi présente

Beaucoup moins connue, mais non moins présente à Québec, la prostitution masculine est également un enjeu important pour les intervenants.

« Je ne suis pas prête à dire que c’est moins fréquent que les filles, mais c’est différent, un peu plus caché, ce n’est pas fait sous le joug d’un proxénète ou d’un gang de rue », indique la lieutenante-détective Nathalie Thériault, précisant que la sollicitation se déroule sur les réseaux sociaux.

On y retrouve des hommes, parfois mineurs, alors que la clientèle est essentiellement masculine.

Certaines dénonciations d’hommes sont traitées par les policiers, mais sont moins nombreuses que pour les filles.

« La plupart du temps, lorsque nous traitons des informations, ces garçons-là ont vécu des épisodes de prostitution lorsqu’ils étaient mineurs », ajoute-t-elle.

Les motifs liés à la prostitution masculine sont différents que ceux chez les filles, alors que c’est souvent la recherche d’identité sexuelle qui les pousse à se prostituer.

« Ce sont parfois des gars qui arrivent dans le milieu homosexuel et veulent vérifier ou confirmer une orientation sexuelle.

Parfois, ce n’est même pas prévu, mais ils voient le gain à faire.

D’autres peuvent être en fugue et sont en mode survie, ça peut aussi être pour consommer », énumère Geneviève Quinty, directrice de l’organisme PIPQ, qui vient aussi en aide aux hommes.

Cyberprédation

Par ailleurs, les policiers portent une attention particulière à la cyberprédation lorsqu’il est question de prostitution masculine.

« Nous avons des pédophiles qui sont strictement axés sur les garçons.

On s’entend que tomber sur des réseaux sur internet où les garçons veulent échanger parce qu’ils sont en recherche d’identité sexuelle, il faut être alerte.

Les garçons sont vulnérables, particulièrement lorsqu’ils sont en recherche d’identité sexuelle », affirme la lieutenante-détective.

Comme pour les femmes, des organismes comme MIELS-Québec, qui lutte contre le VIH-sida, se rendent une fois par mois dans des bars ou saunas gais, pour effectuer des tests de dépistage.

Source : TVA Nouvelles

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