Cahors | six petites-filles abusées par leur grand-père, aujourd’hui face à la justice
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
- 11/06/2020
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A Cahors, un homme de 87 ans attend le jugement du tribunal correctionnel, pour agression sexuelle sur six de ses petites-filles… Il avait déjà abusé de deux de ses filles
Jeudi 4 juin 2020, M. P a comparu devant le tribunal correctionnel de Cahors. Âgé de 87 ans, cet ancien militaire puis cadre bancaire est appelé à répondre de six accusations d’agression sexuelle, portées par ses petites-filles.
Les faits incestueux, partiellement reconnus par le prévenu, se sont produits, pour la plupart d’entre eux à Cahors, au cours de la période allant de 1986 à 2000. Le prévenu est assisté par maître Laurent Belou.
Elles sont 11 petites-filles à s’être manifestées au fil de la procédure. Or, le dossier de six d’entre elles seulement, a pu être retenu.
Après ses filles, ses petites-filles
« Surtout ne rien dire ! »
« J’avais 5-6 ans et ça a duré, plus de 10 ans, jusqu’à mes 12 ans. Avec mamie, tous les soirs, c’était le même rituel, ils montaient à l’étage nous dire bonne nuit dans la chambre, puis ils redescendaient… Le grand-père remontait tout seul peu après et il n’allumait jamais la lumière. Il venait sur mon lit et il passait sa main sous les draps, il m’obligeait à écarter les jambes, parfois ça me faisait très mal…
Il est arrivé qu’il me fît des choses à table aussi, quand mamie était occupée. Il me répétait toujours « surtout de ne rien dire »… Toute petite, je ne me rendais pas compte de ce que signifiait tout cela. Au fur et à mesure que je grandissais, il en faisait un peu plus… Puis il allait voir ma sœur… Il appelait ça des « gouzis-gouzis »…
Il a détruit ma vie, ma sexualité, mon épanouissement… On n’en parlait jamais entre nous… Lorsque je me suis décidée à le dire à ma mère, c’est là qu’elle m’a appris qu’elle aussi, avait subi les mêmes choses… À cause de lui, notre famille n’existe plus… J’éprouve de la rage et du dégoût envers lui…
Quant à ma grand-mère, c’est quelqu’un de tellement gentil, qu’elle ne s’est rendu compte de rien… »
Isabelle Six, présidente du tribunal, égrène les noms des victimes : C., D., E., El., J., et M. Assistent à l’audience, D. et E.
M. P et son épouse ont eu quatre enfants, dont trois filles et comptent plus d’une douzaine de petits-enfants. Au cours de l’audience, on apprend que le prévenu a abusé de deux de ses filles, avant de réitérer ses actes incestueux envers ses petites-filles.
D. révèle les faits et dépose plainte en 2014, elle est alors âgée de 34 ans. Les faits qu’elle dénonce auraient débuté alors qu’elle était toute petite et se seraient prolongés jusqu’à ses 12 ans.
Chaque victime pensait être la seule, jusqu’au jour où l’une d’elle s’est rendu compte que sa sœur ou sa cousine endurait les mêmes agressions sexuelles… C’est à partir de ce constat que D. s’est décidée à saisir la justice.
Dans un premier temps, la jeune femme indique avoir révélé les faits auprès des services sociaux, mais sa démarche serait restée sans suite.
Dans la famille, « les choses se savaient aussi », mais personne n’en parlait…
Un secret de famille lourd de plus de 30 ans
Assis devant la barre, M. P prétend qu’il n’entend rien de tout ce qui est dit. La présidente s’égosille, rapproche le micro… rien n’y fait. Le prévenu paraît muré dans son silence.
– « Vous entendez ce qu’on vous reproche ? » demande la présidente.
– « Non ! » répond le prévenu.
Les petites-filles de M. P en veulent aux adultes qui ne les ont pas protégées.
L’une d’elle déclare :
« Ma mère et mes tantes ont trop fait comme si de rien n’était ».
À présent, elles feraient l’objet d’une procédure de mise en examen pour « non-dénonciation d’inceste »
Les témoignages des unes et des autres des petites-filles dépeignent un huis clos familial au sein duquel le grand-père faisait figure de gourou, quelqu’un qui avait une emprise sur tout le monde.
« Comment peut-on dire « non » à son grand-père, quand on a 6 ans ! J’aurai voulu que tous les adultes de la famille soient présents à l’audience » s’exclame D.
La présidente demande au prévenu de dire ce qu’il pense des déclarations de sa petite-fille. Celui-ci se tourne vers son avocat, maître Laurent Belou :
– « Je n’entends rien ! Qu’est-ce qu’elle a dit ? Je ne comprends pas ! »
reprend-il. Son avocat lui répète la demande du tribunal, mais M. P fait montre de ne pas entendre. Puis il lâche :
– « Je ne sais pas, je ne comprends pas, elles ont raconté ce qu’elles ont voulu, qu’est-ce que vous voulez que je dise… Subitement on se réveille et on en rajoute et on en rajoute ! »
M. P évoque des « gestes d’affection ».
« Quand on touche quelqu’un, on lui communique de la tendresse ! » dit-il.
« N’était-ce pas plutôt considérer vos petites filles comme des objets sexuels, pour satisfaire vos pulsions ? » poursuit Mme Six.
Lorsque M. P a arrêté ses agissements avec les deux petites-filles aujourd’hui à l’audience, celles-ci avaient imaginé qu’enfin tout s’était arrêté. Au lieu de quoi, elles apprennent que cela continue avec leurs jeunes cousines…
En janvier 2018, M. P a été victime d’un AVC et il se pourrait, selon un expert psychiatre, qu’il s’en soit suivi des pertes de mémoire. Le prévenu est décrit comme quelqu’un d’égocentrique, suffisant, plutôt hautain. Il n’est pourtant pas atteint de pathologie mentale.
Ce dossier est l’histoire d’une douleur sourde et invisible ; un secret de famille lourd de plus de 30 ans, qui éclate au grand jour. Sur les onze victimes qui se sont déclarées, certaines datent le début des faits alors qu’elles avaient entre 3 et 5 ans, pour d’autres cela se serait passé durant leur adolescence, au gré des occasions.
Il s’agit d’un dossier de violences intra-familiales en huis clos. Or, si l’enfant n’est pas en sécurité dans sa propre famille, où le sera-t-il ?
La petite fille implore le grand-père
E. n’a pas revu son grand-père depuis 2014, date à laquelle elle a déposé plainte.
Invitée à s’exprimer, elle demande au tribunal l’autorisation de s’adresser directement au grand-père :
« Pourquoi tu nous as fait ça ? J’aimerais que tu comprennes que cela n’aurait jamais dû arriver ! Je t’en veux tellement ! Je t’aimais ! Parce que j’aime la famille. Mais à cause de toi, il n’y a plus de famille ! Personne ne nous parle parce qu’on a osé dire les choses qui se sont passées ! Pourquoi tu continuais, alors que tu voyais bien qu’on ne voulait pas ça ? Pourquoi sur tes filles ? Pourquoi sur tes petites-filles ? »
M. P ne bouge pas, ne laisse percevoir aucune émotion, comme s’il n’entendait rien, comme s’il était sur une autre planète. E. reprend de plus belle !
« Je voudrais que notre histoire serve de leçon. Je pense que tu es malade… Il y a tellement d’enfants victimes… Je veux que notre témoignage puisse donner le courage à des enfants qui ont peur, qui sont peut-être terrorisés, à l’idée de dire ce qu’ils vivent. J’aimerais comprendre ! Est-ce que tu nous aimais ? Est-ce que tu te rends compte du mal que cela nous a fait ; des blessures que nous portons ? Et des répercussions sur notre vie ? Tu nous as volé notre enfance ! Tu nous fais pitié papi ! Mais maintenant on n’a plus peur de toi ! Cela ne me fait pas plaisir que tu sois là, face au tribunal, mais je veux comprendre ! »
La présidente commente :
« C’est l’inceste, la pédophilie dans le cercle familial ».
La jeune femme explique au tribunal comment elle procède avec son propre enfant :
« Je ne le laisse jamais seul un instant. Tous les adultes auraient pu nous protéger ; c’était faisable et c’est ce que je fais pour mon enfant ! »
« Ce procès sert de médicament pour les victimes ; elles se reconstruisent, mais la souffrance est là. » maître Elysée Casano
Quelle peine ? 4 ans de prison avec sursis ?
La douleur des victimes est décuplée par le comportement des adultes. Il y avait pourtant eu des alertes, notamment après ce qui s’était passé avec les deux filles du prévenu.
D’emblée maître Elysée Casano, avocat de D., pointe la responsabilité des parents des petites-filles. Selon lui, eux et la grand-mère ont failli dans ce dossier. Il rappelle combien ce type de faits génère des dérives et des addictions de tous ordres.
« Ce procès sert de médicament pour les victimes ; elles se reconstruisent, mais la souffrance est là. »
Pour maître Aurélie Joly, avocate de E., le grand-père des victimes a été un monstre qui leur a fait vivre un cauchemar les yeux ouverts !
« Cet homme a été un prédateur, un violeur, un rôdeur ! Il avait fait de ces enfants des marionnettes inanimées, dont il se jouait, pour sa satisfaction personnelle »
s’exclame-t-elle. L’avocate revient sur la question maintes fois posée au cours de ce procès : comment se fait-il que les mères qui avaient été victimes de leur père, n’aient pas protégé leurs propres filles ?
Maître Aurélie Smagghe, avocate d’El., évoque pour sa part le double traumatisme subi par les victimes : la souffrance directe due aux faits et le retentissement psychologique qui en résulte.
« Elles se sont construites sur ce modèle-là ; pour elles c’était ça un amour de grand-père ».
À l’extérieur M. P donnait une belle image de lui, faisant preuve d’autorité et forçant le respect. L’avocate demande une nouvelle expertise médicale pour les victimes.
Aurélie Barbosa, Substitut du Procureur de la République, énumère les faits d’agression sexuelle retenus à l’encontre du prévenu.
Et elle s’écrie :
« Il savait que tout cela est interdit, il l’a fait quand même ! »
Prenant en compte son âge et son état de santé actuel, elle sollicite une peine de 4 ans de prison avec sursis probatoire et obligation d’indemniser les victimes.
« Rien ne sera pardonné, mais tout sera oublié »
déclare Laurent Belou, l’avocat du prévenu, citant Milan Kundera. Puis, au risque de surprendre, il déclare :
« En mon âme et conscience je considère que ce qui est reproché à M. P a existé ! »
« Alors que tout le monde savait, pas un père, pas une mère n’ont levé le petit doigt pour protéger les enfants ; la responsabilité est partagée ! » maître Laurent Belou
Une responsabilité partagée ? Un homme dans le flou ?
Maître Belou continue en évoquant l’attitude de son client face au tribunal, où le dispute à l’appréhension de cette comparution, les mécanismes du déni, le fait qu’à la suite de son AVC sa mémoire puisse flancher… Un homme qui se retrouve dans le flou, face à lui-même et face à sa conscience. Maître Belou s’interroge à son tour, sur la chaîne d’abandon qui marque ce dossier.
« Alors que tout le monde savait, pas un père, pas une mère n’ont levé le petit doigt pour protéger les enfants ; la responsabilité est partagée ! » assène-t-il.
Se pose la question de la pédophilie pour cet ancien adjudant-chef de l’armée, ancien cadre dans un établissement financier. Selon l’ancien bâtonnier, la prise en compte des agissements du prévenu aurait permis d’éviter tous les drames intervenus en cascade. Et le fait que personne n’ait rien dit n’a fait qu’accentuer son sentiment de toute puissance.
« Il y a des responsabilités fondamentales dans la famille qui n’ont pas été exercées et là il n’y a eu aucun frein ! s’exclame-t-il. Cette affaire de pédophilie a eu lieu avec quelqu’un qui présentait des difficultés psychologiques et psychiatriques, qui n’ont jamais été soignées en raison du silence dans lequel elles sont restées ».
Quant à la sanction pénale envers son client, quelle peut-elle être ? Maître Belou estime que l’emprisonnement n’aurait aucun effet sur M. P, si ce n’est de précipiter la dégénérescence de ses facultés. Il révèle qu’en 2016 son client a fait une tentative de suicide, lorsque son statut de « commandeur » dans la famille est tombé, en même temps qu’il s’est rendu compte que plus personne ne l’aimait.
« Il faut qu’il comprenne que ce qu’il a fait est grave et à partir de là, le pardon interviendra » scande-t-il. Il termine : « À un moment donné, il sera confronté à la vérité suprême et avoir la conscience chargée, c’est la pire manière de quitter l’existence ! »
Le jugement sera rendu jeudi 11 juin. La séance est levée, le tribunal se retire.
Alors que la salle d’audience se vide, les deux petites-filles s’adressent à leur grand-père :
– « Pourquoi tu nous as fait tout ça ? Pourquoi tu ne nous demandes pas pardon ? » lui disent-elles en l’implorant les yeux dans les yeux et en le tenant par le bras.
– « Ah maintenant ça ne sert plus à rien, c’est trop tard ! » répond-il. Finalement le grand-père semble avoir retrouvé l’ouïe.
– « Non ce n’est pas trop tard, dis-nous pardon ! C’est important pour nous ! » insistent-elles tout en pleurs.
– « Alors, pardon ! » lâche-t-il, les larmes aux yeux.
L’une des deux petites-filles enlace le grand-père, l’autre s’accroche à son bras…
Pour certaines choses, il est trop tard ; pour d’autres, il est parfois encore temps…
source : actu
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