Berne | Le pédophile a profité d’un énorme couac

La po­lice ber­noise a mis un an et de­mi à in­ter­pel­ler l’en­sei­gnant ac­cu­sé de fil­mer et de ca­res­ser la langue de fillettes, alors qu’une plainte était pen­dante.

Elle pré­sente ses ex­cuses aux vic­times.

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C’est un in­vrai­sem­blable couac qui a per­mis au pé­do­phile de Bus­si­gny (VD) de conti­nuer à sé­vir au­près de fillettes âgées de 3 à 11 ans en 2015. Cet en­sei­gnant, âgé de 42 ans, a été ar­rê­té dé­but mai par la po­lice ber­noise, en­ca­drée par des agents vau­dois («Le Ma­tin Di­manche» du 10 juillet 2016).

Mais il au­rait dû être ap­pré­hen­dé bien plus tôt, soit dès le dé­pôt d’une plainte pé­nale le concer­nant, fin no­vembre 2014. Pen­dant un an et de­mi, l’homme a bé­né­fi­cié d’un man­que­ment in­ouï des forces de l’ordre ber­noises. Celles-ci pré­sentent leurs ex­cuses aux vic­times, dont la marge de ma­noeuvre se­ra mince pour exi­ger ré­pa­ra­tion.

Le pré­ve­nu a oeu­vré dès 2011 du­rant cinq ans prin­ci­pa­le­ment dans le can­ton de Vaud. A son do­mi­cile de Bus­si­gny, les en­quê­teurs ont mis la main sur une cen­taine de films dou­teux, dans les­quels on voit de pe­tites filles ti­rer la langue à la ca­mé­ra de son smart­phone.

Dans une di­zaine de cas, le pré­ve­nu ca­res­sait leur langue avec ses doigts ou avec sa propre langue. Il uti­li­sait en­suite les vi­déos pour se sa­tis­faire sexuel­le­ment. Fin no­vembre 2014, l’homme em­bras­sa une enfant de 6 ans dans un hô­tel du can­ton de Berne. La fillette s’en est ou­verte à ses pa­rents, qui ont im­mé­dia­te­ment porté plainte.

Mais alors que l’au­teur des faits au­rait dû être ar­rê­té dans la fou­lée, il n’en a rien été.

«Suite à ce dé­pôt de plainte, des pre­mières me­sures d’en­quête ont été en­tre­prises par la po­lice can­to­nale ber­noise. Le sui­vi du dos­sier, im­pli­quant notam­ment sa trans­mis­sion entre dif­fé­rents ser­vices de la po­lice can­to­nale ber­noise et la co­or­di­na­tion des actes pro­cé­du­raux dans plu­sieurs can­tons, n’a pas été trai­té avec la prio­ri­té né­ces­saire et le soin ha­bi­tuel en rai­son d’ab­sences di­verses et d’une charge de tra­vail éle­vée», avoue son porte-pa­role, Ni­co­las Kess­ler, avec une fran­chise qu’il faut sa­luer.

«A par­tir du mo­ment où les prio­ri­tés ont été ajus­tées, le pro­cu­reur char­gé de la procédure a été contac­té et des me­sures sup­plé­men­taires – qui ont conduit peu après à l’in­ter­pel­la­tion du pré­ve­nu – ont été mises en place

Et de faire son mea culpa:

«La po­lice can­to­nale ber­noise as­sume sa part de res­pon­sa­bi­li­tés et pré- sente ses ex­cuses à toutes les per­sonnes concer­nées par cette affaire

Le pro­cu­reur vau­dois qui a hé­ri­té du dos­sier ne sou­haite pas com­men­ter ces man­que­ments.

Sé­bas­tien Fet­ter confirme néan­moins que dès «la trans­mis­sion du dos­sier dans le can­ton de Vaud par le Mi­nis­tère pu­blic ber­nois, les dé­lais ont été re­la­ti­ve­ment brefs».

C’est donc bien les forces de l’ordre ber­noises qui ont fau­té, avec pour ré­sul­tat de lais­ser un pé­do­phile dans la na­ture pen­dant un an et de­mi. Pour quelles consé­quences?

Le com­mu­ni­qué de la po­lice vau­doise, pu­blié le 4 juillet, in­dique que le pré­ve­nu a of­fi­cié du­rant l’an­née 2015, soit celle où il au­rait dû être en pri­son. Il existe donc bien des jeunes vic­times qui n’au­raient pas dû l’être.

«Il y a 2-3 films de fillettes de cette pé­riode, mais au­cun at­tou­che­ment, concède Sé­bas­tien Fet­ter. Ce qui pa­raît néan­moins mar­gi­nal en re­gard de l’entier de son ac­ti­vi­té dé­lic­tueuse.»

Certes, mais dans les mi­lieux de la dé­fense des en­fants, ce­la ne passe pas.

«Il est ca­tas­tro­phique qu’à cause d’un manque de per­son­nel et d’une co­or­di­na­tion dé­fec­tueuse de di­vers ser­vices cet in­di­vi­du ait pu abu­ser sans obs­tacle d’autres fillettes», s’in­surge Yvonne Fe­ri, conseillère na­tio­nale (PS/AG) et pré­si­dente de Pro­tec­tion de l’en­fance.

L’élue pré­co­nise une meilleure ré­gle­men­ta­tion en ma­tière de co­or­di­na­tion entre les au­to­ri­tés can­to­nales.

Ré­pa­ra­tion com­pli­quée

Les vic­times de 2015 peuvent-elles exi­ger des dé­dom­ma­ge­ments? Oui, mais les chances de suc­cès sont minces, se­lon Me Vé­ro­nique Fon­ta­na.

«Il se­ra com­pli­qué de dé­mon­trer que la po­lice a vio­lé une norme, ex­plique l’avo­cate lau­san­noise, et qu’il existe un lien de cau­sa­li­té entre l’in­ac­tion de la po­lice et la com­mis­sion de nou­velles in­frac­tions du même type

En cas de res­pon­sa­bi­li­té éta­blie, l’Etat pour­rait se re­tour­ner contre l’un des fonc­tion­naires fau­tifs. Ce­la s’est dé­jà vu.

«On di­ra donc que tout au plus la pre­mière fa­mille vic­time de ce dé­lin­quant (celle qui a sai­si la jus­tice fin 2014, ndlr) pour­rait se plaindre éven­tuel­le­ment d’un dé­ni de jus­tice de la part de la po­lice qui n’a pas trai­té sa dé­non­cia­tion dans des dé­lais nor­maux», pré­cise l’avo­cate.

En re­vanche, elle doute que les vic­times de 2015 puissent en faire de même: le dé­ni de jus­tice, qui est cen­tral pour éta­blir la res­pon­sa­bi­li­té de l’Etat, n’est ici pas évident au re­gard de la loi.

Source : http://www.pressreader.com/­

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