Belgique | Inceste, un poids difficile à porter et à partager: “Il faut rallonger le délai de prescription!”

Marie (nom d’emprunt) a vécu l’enfer pendant huit ans. “Il y a plus de 30 ans j’ai été violée par mon père. Ça a commencé quand j’avais 10 ans et ça s’est terminé quand j’en avais 18. Ça a commencé par des simples bisous puis des bisous de grands, des caresses, des caresses sur tout le corps qui se sont transformées en masturbation”.

Les violences sexuelles iront encore plus loin.

Un sentiment de culpabilité

Aujourd’hui, à 50 ans, Marie ne se sent plus coupable, mais pendant des années, la culpabilité l’a rongée. La peur de détruire sa famille.

“Quand ça a commencé j’avais 10 ans, j’étais enfant. J’aimais mon père, mon père m’aimait. Ça a commencé par des bisous, des caresses. C’est clair qu’avec le temps, vous comprenez que c’est du viol, mais comment en parler, à qui en parler? Ma mère était en pleine dépression. J’avais deux petits frères, de 4 ans et 8 ans plus petits que moi, donc aller à la police, le faire aller en prison, oui, mais qui se serait occupé de ma mère et de mes frères?”

Un sentiment que de nombreuses victimes d’inceste connaissent.

“Ce sont des discussions qu’on a en consultation, explique Jean-Claude Maes, psychologue et auteur d’un livre sur la question. Est-ce que je vais dénoncer ou pas? Je sais rationnellement, que ça me ferait du bien et que je n’y suis pour rien si ça bouleverse la famille au moment où je le dénoncerai, mais je sais aussi que je vais me sentir coupable. Est-ce que je vais supporter ça? Est-ce que je vais arriver à dépasser ce sentiment de culpabilité? Est-ce que la dénonciation ne va pas faire plus de mal que de bien? En même temps, les victimes savent également le mal que leur fait le silence”,

Se reconstruire en renouant le lien social

Au-delà de ce sentiment de culpabilité, les victimes perdent leurs repères.

“La famille est le lieu où, logiquement, on devrait se sentir le plus en sécurité et l’inceste vient démontrer à la victime que c’est le lieu où elle doit le plus avoir peur. Qu’est-ce qu’elle va faire avec ça? Qu’est-ce qu’elle va reconstruire avec ça?”,

ajoute le psychologue.

L’asbl SOS Inceste Belgique reçoit 3 à 4 nouveaux appels chaque semaine, plus d’un millier chaque année.

Elle tente de libérer la parole et de renouer le lien social, notamment via des groupes de parole dont Taieb Souad et Clémentine Gérard sont les responsables.

“La motivation première, c’est rencontrer des personnes qui ont des vécus similaires et sortir d’un isolement, en tout cas au niveau de la parole. La sensation de ne pas pouvoir parler de ce vécu qui est très particulier. Il y a peu de participants qui peuvent se confier dans leur entourage par rapport à cette thématique, et ils viennent ici chercher un soutien”.

Un délai de prescription trop court

L’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, estime que dans plus de 70% des cas, les enfants de moins de 6 ans qui ont subi des violences sexuelles, ont été abusés par un proche.

Un chiffre impressionnant, pourtant aujourd’hui l’inceste reste un sujet très compliqué à aborder, presque tabou. Une complication de plus pour les victimes.

Au niveau législatif, l’inceste n’existe pas dans le code pénal belge, il s’agit d’une circonstance aggravante dans le cadre d’une procédure pour attentat à la pudeur ou viol.

Les auteurs risquent entre 5 et 30 ans de prison.

Autre problème pour les associations de victimes : le délai de prescription.

Chez nous, il est de 15 ans après la majorité. Ce qui laisse trop peu de temps aux victimes pour parler.

“Il faut du temps pour pouvoir se dire à soi-même déjà que l’on a été victime d’inceste avant de pouvoir le dire aux autres. Cela met du temps pour trouver les mots, pour organiser sa pensée, pour pouvoir être suffisamment crédible aux yeux des autres, pour avoir un discours organisé“,

insiste Lily Bruyère, coordinatrice à l’ASBL SOS Inceste Belgique.

Marie a osé parlé à sa mère, ses frères et sa famille des violences sexuelles de son père à 30 ans.

Il lui a fallu 15 ans de plus pour oser porter plainte contre lui. 12 ans trop tard, le délai était dépassé.

Fatique, cystites, cauchemars…

Alors aujourd’hui, Marie doit vivre avec le poids psychologique et physique des violences.

“Je n’arrive pas à dormir sans médicaments, à cause de mes insomnies, de mes cauchemars. J’ai des cystites à sang régulières, des ulcères, une fatigue constante physique et psychique, une mémoire défaillante. Et dans les relations avec les autres, les violences, je ne supporte pas.”

Ce jeudi 16 novembre, SOS Inceste Belgique organisait un colloque au Parlement francophone bruxellois pour évoquer l’inceste.

Pour les victimes et l’association, c’est un premier pas vers une reconnaissance du terme, dans un lieu symbolique.

Source : RTBF

Source(s):