Antony | Prouver le non-consentement, la plus grande difficulté des victimes de Viol

La cour d’assises des Hauts-de-Seine a acquitté sept jeunes garçons soupçonnés d’avoir violé une adolescente de 14 ans. Le parquet général a fait appel mais l’affaire souligne la difficulté de prouver l’absence de consentement…

Les faits se sont produits un soir de septembre 2011, dans la cité du Grand Ensemble, à Antony (Hauts-de-Seine). La victime, alors âgée de 14 ans, était seule dans l’appartement familial. Son père, gardien d’immeuble, était au travail. C’était avant qu’il soit condamné à huit ans de prison pour les viols qu’il lui a fait endurer. Mais ce soir-là, ce n’est pas lui, mais une bande de son quartier qui lui aurait fait vivre l’enfer.

Pendant plusieurs heures, elle affirme avoir été soumise à leurs désirs. Pourtant, à la surprise générale, la cour d’assises des mineurs des Hauts-de-Seine a décidé d’acquitter le 17 mars dernier les sept suspects, âgés de 15 à 17 ans. Elle a souligné les incohérences de la victime et estimé que les accusés n’avaient pas « imposé par la violence, contrainte, menace ou surprise » des rapports sexuels. Si le parquet général a décidé de faire appel, un nouveau procès aura donc lieu, l’affaire met en lumière la difficulté de prouver l’absence de consentement dans les affaires de viol.

Parole contre parole

En la matière, la plainte est déjà une exception. Selon une étude publiée en février par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), seules 13 % des victimes s’y résolvent. Et même lorsqu’elles entament cette démarche, la probabilité que l’affaire aboutisse à un procès, aux assises de surcroît, est faible. « C’est même une exception », affirme Véronique Le Goaziou. Cette sociologue de la délinquance, chercheuse associée au Lames – CNRS, s’est penchée avec une équipe de sociologues et juristes sur quelque 400 plaintes pour viol afin d’étudier leur traitement judiciaire. « Au niveau national, les deux tiers des affaires sont classées sans suite par le parquet », explique-t-elle. Parfois parce que les faits sont prescrits mais le plus souvent parce que l’infraction ne peut être suffisamment caractérisée. En clair : la justice manque d’éléments pour poursuivre l’agresseur présumé.

« Pour qu’un viol soit reconnu en tant que tel, il faut établir qu’il y a eu pénétration et absence de consentement », résume Benjamin Blanchet, chargé de mission au sein de l’Union syndicale de la magistrature (USM). Mais comment faire lorsque le ou les accusés nient les faits, en l’absence de témoins ou de traces de violence ? « On s’intéresse au contexte autour de l’affaire et au profil du mis en cause. Si on trouve du GHB dans le sang de la victime, par exemple, ou que l’agresseur présumé est déjà connu, cela peut faciliter l’enquête », poursuit-il.

Dans certains cas, les victimes portent plainte des mois voire des années après leur agression. Les éléments matériels sont donc impossibles à retrouver. Et même lorsque la plainte est immédiate, que des traces d’ADN ont été prélevées, encore faut-il prouver que le rapport n’était pas consenti. Parole contre parole ? En droit pénal, le doute profite toujours à l’accusé.

Comment expliquer le verdict de la cour d’assises à Antony ?

D’autant que le récit de la victime est parfois parcellaire, voire incohérent. C’est en tout cas un point commun à de nombreux dossiers classés sans suite étudiés par Véronique Le Goaziou. « Certaines victimes ont consommé de l’alcool et ne se souviennent plus de ce qu’il s’est passé. Il y a également des dossiers dans lesquels, elles souffrent de troubles psychologiques qui les empêchent d’établir un récit cohérent », assure la sociologue.

Pour les associations de défense des victimes, ces trous de mémoire sont justement un des symptômes du viol, un mécanisme de défense pour surmonter un traumatisme. Mais toujours la même question : comment le prouver ? A cela, s’ajoute la volonté, consciente ou non, de protéger ou tout du moins de ne pas « enfoncer » un parent, ami ou conjoint lorsque le viol a été commis par un proche, comme c’est le cas dans 80 % des cas*.

En théorie, la seule exception sur les questions de consentement concerne les mineurs de moins de 15 ans. La justice estime qu’un enfant ou adolescent qui n’a pas atteint la majorité sexuelle ne peut pas être déclaré consentant. Comment expliquer alors le verdict de la cour d’assises sur le viol collectif à Antony ? La jeune fille avait 14 ans au moment des faits. Oui, mais ses agresseurs étaient également mineurs. « La question du consentement pour les mineurs ne se pose pas si les faits ont été commis par des majeurs, explique la sociologue. Pour les mineurs, il y a une sorte de flou. »

Requalification en « agressions sexuelles »

Même lorsque les faits sont établis, que la pénétration est avérée et le non-consentement prouvé, les viols ne sont pas systématiquement jugés en tant que tel. Seuls 15 à 20 % des affaires connues de la justice terminent devant une cour d’assises. « Le juge d’instruction, en accord avec les victimes, peut décider de requalifier les faits en agression sexuelle.

Parfois ce sont les victimes qui le demandent », explique Benjamin Blanchet. Dès lors, il ne s’agit plus d’un crime mais d’un délit qui sera jugé par un tribunal correctionnel. « Globalement, si le procureur estime qu’il obtiendra une condamnation similaire aux assises à ce qu’il peut espérer pour une agression sexuelle en correctionnelle, il se dirigera vers cette option », abonde la sociologue.

Pour les victimes, la procédure est plus rapide, le procès (un peu) moins éprouvant. « La pression d’un jury est souvent redoutée », assure Benjamin Blanchet. Du côté de la justice, la correctionnalisation représente des économies considérables.

Mais l’argument financier ne saurait à lui seul expliquer ce choix. « Parfois, le ministère public estime qu’il a plus de chances d’obtenir une condamnation lourde en correctionnelle car l’agression sexuelle est plus qualifiée que le viol », poursuit le magistrat. Et ainsi éviter un acquittement général.

Source : 20minutes.fr

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