Nièvre | Claude Lévêque accusé de multiples viols sur des enfants, “ses filleuls”
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Pédocriminel En liberté
- 16/03/2021
- 21:35
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Il aura fallu 30 ans à Laurent Faulon pour libérer sa parole.
Trente ans pour que le sculpteur originaire de la Nièvre dépose plainte contre le plasticien Claude Lévêque, pour viols et agressions sexuelles sur mineur.
Âgé de 68 ans, Claude Lévêque est aujourd’hui une figure de l’art contemporain français.
Né à Nevers, il vit aujourd’hui entre La Charité-sur-Loire et la région parisienne.
Au fil des années, il a imposé son travail dans le paysage culturel, entre installations monumentales et écritures de néons. Une reconnaissance jusqu’au plus haut sommet de l’Etat.
Il a représenté la France à la biennale de Venise en 2009 et un tapis qu’il a créé trône dans un bureau de l’Elysée.
Mais Claude Lévêque, c’est aussi un personnage charismatique qui a, durant une grande partie de sa vie, côtoyé de très jeunes garçons. C’est cette facette plus sombre qui est aujourd’hui mise en lumière.
Les premiers viols à 13 ans
À la fin des années 1970, l’artiste n’est encore qu’un étudiant aux beaux-arts, moniteur à ses heures dans un centre aéré que fréquente le frère de Laurent Faulon.
« Il est apparu dans ma famille quand j’avais 3 ans, témoigne Laurent Faulon. Un jour il est venu à la maison. Mes parents l’ont très vite beaucoup apprécié. Il avait toute une culture et les fascinait un peu. »
Claude Lévêque anime alors des ateliers à la Maison de la culture de Nevers, inclut les jeunes garçons qu’il côtoie dans son travail artistique.
« Il y a eu des séquences photos quand j’avais 8-9 ans, j’étais peu vêtu, il y avait des mises en scène avec des drapés, de la peinture dorée », se souvient Laurent Faulon.
La relation prend une autre tournure le jour de son anniversaire, le 6 août 1979.
« J’ai un souvenir très précis du jour de mes 10 ans. Claude Lévêque avait appelé à la maison en l’absence de mes parents, il m’avait invité chez lui. C’est là qu’il m’a pris sur ses genoux, il m’a caressé les cuisses, le ventre en passant sa main sous mon t-shirt. Il m’a fait des bisous dans le cou. Je me souviens être rentré chez moi avec un profond sentiment de malaise. J’avais senti chez lui un désir sexuel à mon endroit. »
Les premiers viols, Laurent Faulon les fait remonter à ses 13 ans. I
l passe alors des vacances à Paris, avec l’un de ses frères, chez l’artiste et son compagnon.
« On dormait tous dans le même lit, raconte-t-il. Je les ai entendus et vus avoir des attouchements. Moi, je voulais rester en dehors de tout ça, mais voyant que mon frère semblait trouver ça normal, quand Lévêque m’a touché, au début je cachais mon sexe. Et finalement je me suis laissé faire. J’étais à la fois tétanisé et rassuré par la présence de mon frère. »
L’emprise et le silence
Aujourd’hui Laurent Faulon décrit un « sentiment de honte », mêlé de la promesse de culture, d’évasion qu’apporte Claude Lévêque au petit garçon d’alors, issu d’un milieu populaire.
Avec le recul, il confie avoir vécu sous son emprise jusqu’à ses 17 ans.
Il passe alors toutes ses vacances en sa compagnie, dans la Nièvre, à Paris ou dans des hôtels, au gré des expositions.
« Il me disait que c’était normal, que c’était de l’amour, que c’était beau. Il me flattait beaucoup. Mais en même temps il m’a vite fait comprendre que c’était anormal et dit de ne jamais en parler à qui que ce soit. C’est un secret qui a pourri ma vie. »
Même après s’être éloigné du plasticien, Laurent Faulon ne parvient pas à parler de cette relation.
Drogue, dépression, peur du jugement, il s’enferme dans le silence.
Ce n’est qu’à l’aube de ses 50 ans, après avoir consulté dans un centre de prise en charge des victimes d’abus sexuels, qu’il décide de se libérer et de déposer plainte.
Pour lui, il est trop tard pour que la justice examine les faits. Mais il signale une dizaine d’autres cas.
« Je savais dès le départ que mon cas était prescrit. Pour moi ce sera un non-lieu, mais je comptais sur la justice et la police pour enquêter. Que d’autres victimes de crimes non prescrits puissent porter plainte à leur tour. J’ai eu connaissance de beaucoup d’autres cas, que je connais ou dont je connais l’histoire. Claude Lévêque m’a confié beaucoup de choses, pendant mon adolescence et jusqu’à plus récemment. Savoir tout cela et continuer à me taire était devenu insupportable. »
Combien sont-ils ?
Pour l’heure, Laurent Faulon est le seul à avoir témoigné à visage découvert. Mais deux enquêtes publiées par Le Monde et Médiapart relaient d’autres récits, anonymes, mettant en cause Claude Lévêque.
Le parquet de Bobigny a ouvert au printemps 2019 une enquête préliminaire mais n’a pas encore entendu Claude Lévêque.
Face aux accusations, ni l’artiste, présumé innocent, ni son avocat n’ont souhaité répondre directement à nos questions.
Son conseil, Me Emmanuel Pierrat renvoie à un communiqué publié en janvier dernier :
« À la suite d’accusations graves le mettant en cause, Monsieur Claude Lévêque a, fin 2020, déposé deux plaintes contre X, une première du chef de diffamation et une seconde des chefs de dénonciation calomnieuse et chantage. »
Il ajoute :
« La propagation publique de rumeurs, particulièrement graves, à l’encontre d’homme et de femme accablés a des conséquences irréversibles telles que le suicide, à l’instar d’une affaire récente. Claude Lévêque se réserve le droit d’intenter toute action à l’encontre de toute personne lui portant directement ou indirectement atteinte afin de faire valoir ses droits. »
Artiste subversif
Parmi ceux qui ont fréquenté l’artiste, parfois pendant de nombreuses années, on s’interroge.
Artiste lui aussi, ami durant 15 ans de Claude Lévêque et admirateur de son travail, Jonathan Loppin a aujourd’hui pris ses distances.
Il se dit « trahi ».
« Tous ceux qui connaissent Laurent Faulon n’ont pas l’ombre d’un doute que ce qu’il dit est vrai, affirme-t-il. Avec le recul, chaque souvenir est une interrogation, une suspicion. »
« Quand on rencontre Claude Lévêque, c’est difficile de le faire sans qu’il soit accompagné de jeunes garçons. Toujours un, mais sur 15 ans ce n’était pas forcément le même. »
Pour autant, à l’époque, pas question de penser à mal.
« Quand vous avez affaire à des enfants qui sont rayonnants, qu’il n’y a pas de tristesse, qu’il y a de l’amour, que les parents sont OK, qu’est-ce que vous voulez dire ? »
s’interroge Jonathan Loppin.
Des rumeurs, il en entendait parfois.
« Je les ai battues en brèche et démontées à plusieurs reprises. Pas par adhésion aveugle, mais par sincère conviction. »
Prévenu des accusations de Laurent Faulon, « une claque », Jonathan Loppin décide de poser directement la question à Claude Lévêque lors d’un entretien par téléphone.
« Pour Laurent il n’a pas nié, il m’a dit que c’était de l’amour, que c’était une autre époque, qu’il ne comprenait pas que Laurent détruise une belle histoire qui pour lui n’était qu’un bon souvenir. »
“Il m’a parlé assez librement de ce cas prescrit, mais pour les autres, il était d’une précision redoutable sur l’âge. Il mesurait tout ce qu’il disait.”
Jonathan Loppin, ancien ami de Claude Lévêque
Les “filleuls”
Avec sa compagne, Julie Faitot, directrice d’un centre d’art, Jonathan Loppin accueillent chez eux l’artiste à l’occasion d’un réveillon en 2013.
Cette fois encore, il est accompagné de l’un des garçons qu’il appelle ses “filleuls”.
Julie Faitot se souvient:
« un enfant qui devait avoir 12-13 ans, assez timide, qui participait peu aux conversations. Il avait un visage assez triste, renfermé. On avait aménagé deux chambres, dont une pour ce filleul. Lorsqu’on lui a fait visiter, Claude Lévêque a répondu à sa place qu’il avait peur et qu’il allait plutôt dormir dans sa chambre. »
Dans la Nièvre, Claude Lévêque possède toujours une résidence secondaire dans un hameau de Raveau, à coté de la Charité-sur-Loire.
Le plasticien a fait peu d’apparitions publiques au cours des 20 dernières années. Quelques vernissages et événements, le plus souvent accompagné de jeunes adolescents.
Des photos en témoignent, notamment à l’occasion de l’une de ses expositions à Nevers, en 2015.
L’un d’entre eux, aujourd’hui âgé d’une trentaine d’années, tient à défendre le plasticien, tout en souhaitant rester anonyme.
« Claude est un grand ami, écrit-il. J’ai pu collaborer dans son travail, mais pas comme vous aimeriez l’entendre. Les accusations et la manière dont il en fait l’objet sont honteuses à mon sens. »
“On en a parlé et puis ça s’est arrêté là”
Lorsqu’il expose au Parc-Saint-Léger de Pougues-les-Eaux, en 2006, c’est également une présence juvénile qui marque les équipes.
« Claude Lévêque nous a présenté un adolescent comme l’enfant d’amis, on voyait bien qu’ils étaient très proches. Il y a eu des scènes de rapprochements entre eux, il le touchait… Ce n’était pas tout à fait normal », se souvient Kristell Guilloux, alors employée du centre d’art.
« On m’a dit que c’était son assistant, mais je n’ai jamais vu ce garçon travailler, abonde Vincent Valéry, alors régisseur. Il était seulement présent dans les locaux. Une collègue a surpris cet adolescent sur les genoux de Claude Lévêque. Ça, ça avait marqué tout le monde. Là on a eu la puce à l’oreille, on en a parlé en équipe et à notre direction, et puis ça s’est arrêté là. »
D’autres acteurs culturels nivernais se souviennent de leurs rencontres avec l’artiste, lors de vernissages.
« Il était toujours accompagné de jeunes garçons et avait l’habitude de leur demander de remettre son col avant de partir en disant ‘merci chéri’ », relate l’un d’eux. « Je ne suis pas étonné, ajoute un autre. J’étais au courant de rumeurs, sans plus, car on ne se fréquentait pas. Mais c’est une triste affaire et je pense qu’il y a besoin de faire du ménage. »
Tribune de soutien
Mais à Nevers et dans la Nièvre, ses proches font bloc.
Bernard Delosme, ancien président de l’APAC (Association pour la promotion de l’art contemporain), qui a exposé plusieurs fois Claude Lévêque au début de sa carrière, est signataire d’une tribune signée par les soutiens du plasticien sur le site Artpress.com.
Avec lui, une soixantaine d’artistes, de commissaires d’expositions, d’éditeurs ou d’amateurs d’art appellent au respect de la présomption d’innocence.
« Le dossier étant aujourd’hui du ressort de la justice, je ne saurais vous en dire plus », indique cependant Bernard Delosme.
Michel Philippart, amateur d’art, est également signataire.
Il côtoie le plasticien depuis une dizaine d’années et se dit
« surpris que les accusations d’une seule personne aient connu une telle répercussion dans les médias. Je souhaite qu’ils mettent la même énergie à blanchir Claude Lévêque quand cette accusation première sera anéantie. »
« Lors des soirées que nous avons passées ensemble, jamais nous n’avons assisté à des gestes déplacés ou des paroles équivoques. Cette accusation nous a bouleversé. Cela ne correspond pas à l’homme que nous connaissons. »
Michel Philippart, signataire d’une tribune de soutien à Claude Lévêque.
La “Chute”
A Nevers, dans la chapelle Saint-Sylvain, qu’il a restaurée avec son épouse et dédié à l’art contemporain, Michel Philippart détient également la seule œuvre de Claude Lévêque dans la Nièvre.
« Il nous demandait si nous allions décrocher le néon ‘Chute’. Bien entendu il n’en est pas question. Ce néon, qui représentait la chute d’Icare, puis la chute de la société, prend désormais une tournure plus personnelle et témoigne de la chute d’un homme. Cela devient une œuvre majeure pour Claude Lévêque, affirme Michel Philippart. Pour nous, ce néon restera aussi longtemps que nous aurons la charge de ce lieu. Claude Lévêque est un grand artiste et ce n’est pas cette rumeur qui va abattre l’importance de son œuvre. »
Au sein du monde de l’art contemporain, les révélations de Laurent Faulon ont fait grand bruit.
Depuis le début de sa carrière, Claude Lévêque a régulièrement abordé dans ses œuvres le thème de l’enfance, mettant en scène de jeunes garçons, ou se servant de leur collaboration pour l’écriture de néons colorés.
“Pendant que vous dormez je détruis le monde”
Mais à l’aune des accusations, son œuvre et son interprétation font débat.
« Quand on relit son travail, qu’on trouvait subversif, on a l’impression que certaines œuvres étaient des mises en scène de sa perversion », déplore Jonathan Loppin.
Aujourd’hui, les néons d’une écriture enfantine, déclinant des messages intriguant qui pourraient être réinterprétés bien différemment tels que:
-
« j’ai peur »
-
« je saigne » ou
-
« pendant que vous dormez je détruis le monde »
En 1982, « Grand Hôtel » présente une installation où apparaissent des photos d’enfants dénudés, dont Laurent Faulon.
Deux ans plus tard, « La Nuit », fait apparaître les bustes de sept jeunes garçons illuminés, ensablés autour de tipis.
Le critique d’art Michel Nuridsany écrit alors dans le catalogue de l’exposition « Cérémonies secrètes » :
« Placés sur un plan frontal quand vous entriez, ces jeunes garçons fermés sur leur monde intérieur, vous faisaient face. De chacun d’eux, Claude Lévêque me donnait le nom mais juste le nom, se bornant à me dire qu’ils avaient tous eu un « rapport relationnel » avec lui. »
Faut-il déboulonner ses oeuvres ?
Au delà des amateurs d’art, l’exposition des oeuvres de Claude Lévêque devient une question politique. Plusieurs de ses oeuvres monumentales ornent des bâtiments ou des structures publics.
En 2014, il installait un éclair rouge sous la pyramide du Louvre à Paris.
Actuellement, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), l’un de ses néons rouges orne le pont à la nuit tombée. A Montreuil (Hauts-de-Seine), l’installation « Modern Dance » trône sur un ancien château d’eau depuis 2014.
La municipalité actuelle a choisi de ne plus l’illuminer pour le moment.
« Il y a la présomption d’innocence, mais il y a aussi la présomption que les victimes disent la vérité. C’est quelque chose d’assez énorme qui nous tombe dessus, explique Alexie Lorca, adjointe au maire en charge de la Culture.
« Une décision de ce type est très complexe. Nous sommes liés avec un contrat. Mais nous assumons le risque que nous prenons. Nous ne déboulonnons pas l’œuvre, mais nous pensons qu’il faut une période de réflexion, qu’il fallait faire un geste, parce que ne rien faire, cela peut aussi être interprété comme de l’indifférence, or ce n’est pas le cas. »
Dernière en date, la commune de Montrouge (Seine-Saint-Denis) avait commandé un néon mentionnant « Illumination », placé en haut du beffroi dans le cadre d’un festival prévu en novembre 2020.
Avec la crise sanitaire, la manifestation a été reportée et la Ville a souhaité rendre l’œuvre discrètement à son auteur.
Après les affaires Matzneff ou Polanski, l’affaire relance en tout cas un débat brûlant :
Faut-il et peut-on dissocier l’œuvre d’artistes pour l’heure non condamnés par la Justice?
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