Irlande | L’Irlande s’excuse après le scandale des maisons pour mères célibataires

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Le primat d’Irlande, l’archevêque Eamon Martin, a également présenté des excuses «sans réserves»
Les corps de 796 bébés ont été découverts sur le site d'une ancienne maison catholique pour mères célibataires et leurs enfants à Tuam en Irlande. CLODAGH KILCOYNE / REUTERS
Ces foyers pour mères célibataires, gérés par l’Église catholique entre 1922 et 1998, sont pointés du doigt par un rapport qui a mis en évidence le décès de 9000 enfants.

Un scandale bouscule l’Irlande depuis la publication mardi d’un rapport produit par la Commission d’enquête sur les ”maisons mère et bébé”.

Il fait état du décès de 9000 enfants entre 1922 et 1998 dans ces anciens établissements gérés par l‘Église catholique, accueillants des mères célibataires. Au nom de l’État, le premier ministre, Michael Martin, a présenté ses excuses mercredi 13 janvier pour les avoir «laissées tomber».

«Je présente mes excuses pour le profond tort causé aux mères irlandaises et à leurs enfants qui se sont retrouvés dans ces foyers» a déclaré Michael Martin devant le Parlement irlandais.

Le chef du gouvernement a estimé que l’État les avait «laissées tomber» à une époque où les naissances hors mariages étaient considérées comme illégitimes.

Âgées de 12 à 40 ans, celles «qui ont accouché hors mariage étaient soumises à un traitement particulièrement sévère» est-il écrit dans le rapport de la commission.

«Nous avons adopté une morale et un contrôle religieux pervers, un jugement et une certitude morale, mais nous avons rejeté nos filles»

a poursuivi le premier ministre,

«nous avons honoré la piété, mais nous ne sommes pas parvenus à faire preuve de la plus élémentaire des gentillesses envers ceux qui en avaient le plus besoin».

Carmel Larkin, Walter Francis et PJ Harvey, survivants de la maison mère et bébé Bon Secours, posent dans un sanctuaire érigé à la mémoire de 800 enfants de la fosse commune de Tuam en Irlande. PAUL FAITH / AFP

 

La commission d’enquête explique que ces foyers religieux étaient les seuls refuges de l’époque pour les mères célibataires et les enfants nés hors mariage.

Comment y vivaient les femmes et enfants ?

Dans les maisons dédiées aux femmes non mariées et leur enfant “illégitime”, elles subissaient une “maltraitance psychologique” dans un environnement “froid et apparemment indifférent”.

Les enfants y subissaient une mortalité particulièrement haute, 15% soit 9000 décès, selon la commission.

L’étendue de ce que les pensionnaires ont pu y subir est difficile à appréhender, mais le rapport rassemble des témoignages poignants de pensionnaires qui racontent leur abandon de la part de leur famille et la société, négligées par les représentants de l’Église et de l’État.

Les femmes accueillies dans ces établissements ont eu une vie «brisée par une grossesse hors mariage et par les réactions du père, de la famille et la communauté au sens large» explique le rapport.

Comment fonctionnaient ces établissements ?

Certaines de ces maisons – la plupart dans un état pitoyable – étaient financées et gérées par les autorités sanitaires locales, d’autres par les ordres religieux catholiques.

L’Église et l’État travaillaient souvent en tandem pour faire fonctionner ces institutions, qui ont subsisté jusqu’à 1998.

Selon la commission d’enquête, 56 000 mères non mariées et 57 000 enfants sont passés par ces 18 maisons en 76 ans.

Le rapport conclut qu’il n’existe aucune preuve que les mères étaient forcées d’abandonner leur enfant dans la plupart des cas, mais qu’elles n’avaient “aucune alternative”.

Certaines victimes estiment au contraire que la pression exercée sur ces femmes revenait à les y contraindre.

“Les familles subissaient la pression de l’Église et de l’État”

a déclaré Paul Redmond, responsable de la Coalition des survivants des maisons mère et enfant.

“Séparer les mères célibataires de leur enfant était la politique officielle dans ce pays jusqu’à 1974”.

À l’époque, la société traite ces petites filles et petits garçons nés hors mariage comme des «parias» selon les mots de Michael Martin. Après cinq ans d’enquête, la commission révèle le décès de 9000 des 57.000 enfants passés dans les Mother and Baby homes sur les 76 années étudiées – soit 15%.

Le taux de mortalité pour les enfants nés hors mariage était presque deux fois plus important dans ces établissements qu’en dehors, a souligné le premier ministre.

Enquête ouverte après la découverte d’une fosse commune

En 1975, des enfants découvrent une fosse commune dans le village de Tuam où se situe un ancien foyer pour mères célibataires tenu par les sœurs de la congrégation de Bon Secours entre 1925 et 1961.

Une histoire peu médiatisée mais qui intéresse l’historienne locale, Catherine Corless. Elle se penche sur la question et les restes de 796 enfants de l’orphelinat sont identifiés. La commission d’enquête sur les maisons pour mères célibataires est alors constituée en 2014.

Catherine Corless devant le discours du premier ministre au Parlement irlandais. CLODAGH KILCOYNE / REUTERS

 

Le rapport final de l’enquête permet aujourd’hui de comprendre les conditions de vie dans ces foyers religieux, les mœurs de l’époque en livrant des témoignages.

«Une nonne m’a dit : ”Dieu ne veut pas de toi… tu es sale”»

a déclaré une victime citée dans les 3000 pages du rapport.

Le primat d’Irlande, l’archevêque Eamon Martin, a également présenté des excuses «sans réserves». «Je reconnais que l’Église faisait clairement partie de cette culture dans laquelle des gens étaient fréquemment stigmatisés, jugés et rejetés», a-t-il déclaré mardi soir.

Une culture aussi discriminante que violente puisque de nombreuses femmes réfugiées dans ces établissements ont «subi un viol et/ou inceste» a souligné le premier ministre irlandais.

Le «manque d’éducation sexuelle a laissé des jeunes femmes dans l’ignorance même de comment et pourquoi elles sont tombées enceintes» rapporte la commission.

Dans le courant des années 1945-1946, le taux de mortalité des nourrissons en Irlande dans les foyers maternels et infantiles «était presque le double de la moyenne nationale pour les enfants ”illégitimes”», une des caractéristiques «la plus inquiétante de ces institutions».

L’enquête met en évidence la volonté de «réduire les chances de survies» des enfants :

«plus de 40% des enfants ”illégitimes” mouraient avant leur premier anniversaire dans la maison des mères et des bébés» est-il souligné.

Victimes de plusieurs maladies, sept essais de vaccins ont été menés sur les résidents dans des conditions contraires à l’éthique dans ces maisons entre 1934 et 1973.

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