Châlons-en-Champagne | Reportage sur un nouveau scandale de l’Education Nationale

non

“Violences sexuelles à l’école : Silence dans les rangs”
Pendant près de 25 ans, un professeur du lycée de Châlons-en-Champagne, viole et agresse sexuellement plusieurs dizaines de ses élèves adolescents. Sa collègue et lanceuse d’alerte, Marie Jacquart, affronte sa hiérarchie pour faire surgir la vérité. C’est elle que l’on écarte.

Une histoire d’aveuglement, de loi du silence et de lâchetés face aux violences sexuelles, c’est ce que raconte le documentaire de Sophie Romillat, à retrouver ici sur France TV. Après les révélations des violences à Bétharram, le scandale éclabousse l’Éducation nationale, cette fois dans la Marne.

Le décor : le lycée Bayen, lycée public au centre-ville de Châlons-en-Champagne, plutôt bon chic bon genre, et le Centre national des arts du cirque (le CNAC), dans lequel les élèves du lycée suivent les cours de l’option cirque.

Leurs enseignants : Marie Jacquard, professeur des arts du cirque et Pascal Vey, professeur de français en charge des cours de théorie du cirque.

Cet enseignant brillant, agrégé de lettres, est “une personne très charismatique, malgré son aspect laid, il était très doué pour manier les mots, pour analyser les gens” dit Xavier, l’une de ses victimes.

Tandis que le professeur de français met en avant la dimension sexuelle dans les œuvres littéraires qu’il fait étudier en classe, ses interventions au CNAC lui permettent de s’intéresser de près aux corps des jeunes hommes et de les complimenter, sans éveiller les soupçons.

Derrière l’enseignant rayonnant et éloquent se cache un prédateur sexuel depuis 1997.

Son modus operandi serait toujours le même : attirer les élèves chez lui pour parler littérature.

Benoît (*), sa première victime, à l’époque âgé de 16 ans, témoigne :

“il me fait lire l’un des textes écrit par lui dans lequel il raconte son propre viol par ses cousins. Ce texte permet de me mettre dans une confidence plus intime, c’est là qu’il s’approche physiquement, me déshabille et me fait trois fellations (…) C’est ma première fois. Il le fait avec une sorte de douceur qui lui permet de penser que je suis consentant”.

C’est le début d’une relation sous emprise qui va durer trois ans.

Une trentaine de victimes et une omerta bien installée

En juillet 2021, les agressions supposées commencent à se répandre sur les réseaux sociaux. Dans le sillage de #Me too, un post “Balance ton cirque” met le feu aux poudres. Pour Marie Jacquart, collègue et amie de Pascal Vey, c’est la stupéfaction.

Le CNAC prend une décision rapide : Pascal Vey est interdit de cours dès la rentrée 2021. Mais il continue d’exercer au lycée. Marie Jacquart devant l’inertie de sa proviseure, se met en quête de témoignages, mobilise ses collègues, écrit aux inspectrices d’académie, au recteur. Et se heurte chaque fois à un mur.

À propos de Pascal Vey,”il y a toujours eu une rumeur” reconnaît une ancienne proviseure.

Se réfugiant derrière l’absence de plaintes, l’Éducation nationale ne tentera même pas d’interroger ou de confronter Pascal Vey, encore moins de le suspendre.

Pire, la situation se retourne et les compétences professionnelles de Marie Jacquart sont mises en cause.

Rumeurs connues depuis 1997 : qui savait quoi ?

Les victimes de Pascal Vey seraient au nombre d’une trentaine.

Le documentaire révèle que plusieurs collègues ou amis de Pascal Vey étaient au courant des relations de l’enseignant avec des mineurs dès 1997, comme celle qu’il entretenait avec Benoît (*), 16 ans.

La loi (art. 227-27 du Code pénal) punit pourtant de cinq ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende les atteintes sexuelles sur un mineur de plus de 15 ans “lorsqu’elles sont commises par une personne majeure qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions.”

Il faudra attendre septembre 2023 et la première plainte pour viol pour que le procureur ouvre une enquête. Il reçoit rapidement huit autres plaintes. Le nouveau recteur est alors obligé de mettre à pied Pascal Vey, sept ans après les premières alertes, deux ans après les témoignages recueillis par Marie Jacquart.

En décembre 2023, l’enseignant ne se rend pas à la convocation de la police. En venant l’arrêter à son domicile, les forces de l’ordre découvrent qu’il s’est suicidé.

Les victimes ne seront jamais reconnues comme telles.

Un rapport confidentiel accablant pour l’Éducation nationale

Cette affaire et l’omerta de la part de l’institution provoquent une mobilisation des lycéens et des parents d’élèves qui demandent des comptes. Une enquête administrative est finalement diligentée en février 2024 par l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche.

Elle révèle un fiasco de toute la chaîne hiérarchique et une multitude de défaillances en série. Ce rapport, confidentiel, a pu être consulté par la réalisatrice du documentaire.

Depuis octobre 2021, l’Éducation nationale a certes mis en place des formations sur les violences sexuelles, mais les cadres de l’Éducation nationale n’ont été frappés d’aucune sanction, bien au contraire. Un ancien recteur de l’Académie de Reims, Olivier Brandouy a même été nommé conseiller Éducation au cabinet du Premier ministre Sebastien Lecornu alors qu’il est visé par une enquête pour non-dénonciation de crime dans l’affaire du lycée Bayen.

Aucun membre de la hiérarchie éducative n’a accepté de témoigner dans le documentaire.

Marie Jacquart, qui revendique le statut de lanceuse d’alerte dans cette affaire, a été poussée à la mutation dans l’Académie d’Aix-Marseille. La professeure des arts du cirque n’a pas retrouvé de poste dans ses compétences. Après quatre jours de grève de la faim, elle est aujourd’hui en congé longue maladie et ne touche plus que la moitié de son salaire.

(*) Le prénom a été modifié

“Violences sexuelles à l’école : silence dans les rangs”, un documentaire de Sophie Romillat, à voir sur France TV

 

Source(s):