Créteil | Trois ans de prison avec sursis pour agressions sexuelles incestueuses

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J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, je me sentais sale
Mardi 30 septembre, la 12e chambre correctionnelle de Créteil juge Jacques D., prévenu d’agressions sexuelles incestueuses sur sa petite fille et la belle-fille de son fils. L’une des victimes l’accuse, l’autre l’absout. Lui ne « s’explique pas » ces passages à l’acte.

Ils ont attendu plus de cinq heures dans la même salle d’audience avant que leur affaire ne soit appelée. Jacques, un vieil homme sec et raide, vient de s’avancer à la barre ; Marion*, une jeune femme de 19 ans, est assise derrière lui ; un couple pelotonné l’un contre l’autre s’est réfugié sur le banc du fond.

Le juge assesseur, après avoir pesé ses mots, prononce lentement les paroles suivantes :

« Ce qui est un peu paradoxal, dans la procédure dont le tribunal est saisi, c’est que les faits ont été portés à la connaissance non pas par l’une des victimes, mais par vous-même, suite à une pression familiale de gens qui vous sont très proches. Ce qui pose la question : pourquoi vous n’avez pas réalisé avant ? Pourquoi est-ce qu’il a fallu l’intervention de votre fils pour que vous compreniez que ce n’est pas normal ?

— Je ne sais pas ce qu’il s’est passé.

— Vous êtes marié à votre femme depuis 53 ans, vous êtes un couple uni, pourquoi vous ne lui en avez pas parlé avant ?

— La honte, peut-être. Oui, la honte.

— Écartez-vous, Monsieur. Est-ce que vous accepteriez de venir nous raconter ce que vous avez subi ? »

Marion s’avance.

Elle avait 16 ans la première fois que son « papou » l’a touchée. Jacques est le père du nouveau compagnon de sa mère, et c’est alors qu’elle gardait les enfants de ce beau-père que Jacques lui a prodigué un massage sur les épaules, « rien d’anormal », assure-t-elle, puis vinrent les remarques sur ses cuisses, ses seins, ses fesses.

« Pendant très longtemps, j’ai repoussé, puis quand j’avais 16-17 ans, il m’a dit qu’il devait absolument me masser les seins », elle refuse, mais « le problème, c’est que Jacques, quand on lui dit non, il n’entend pas. D’habitude, j’avais une excuse, mais là j’en n’avais pas, alors je l’ai laissé faire en me disant que ce n’était qu’un mauvais moment à passer »,

et ce moment fut terrible, dit-elle.

« On sent que la douleur est toujours présente »

Après cette première agression, Marion parvient à éviter toute interaction, jusqu’à ce 2 juillet 2025.

« J’étais face à un mur. »

Le grand-père a réussi à la conduire dans la salle de bain. Il lui demande d’enlever son haut, puis lui ôte son soutien-gorge par surprise.

« J’étais tellement choquée que je n’osais plus rien dire. Je n’osais pas le repousser »,

quand le septuagénaire lui massait les seins.

« Quand je suis rentrée chez moi, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, je me sentais sale. Je me suis grattée partout où il m’avait touché. Mon corps ne m’appartenait plus. »

Marion s’est confiée à un ami et à sa mère, qui en a parlé à son beau-père, lequel a demandé à son père de se dénoncer.

« Je vous remercie pour votre courage », dit le juge en insistant sur le mot « courage ».

« Il n’y avait pas que la poitrine.

— Une fois, en vacances, j’étais en maillot de bain, il a touché mes cuisses, il est remonté jusqu’à mon vagin qu’il a touché à travers mon maillot. Il m’a attrapé par les fesses en disant que s’il peut attraper c’est que ‘c’est trop gros.’

— Comment vous allez aujourd’hui ?

— Aujourd’hui, ça va mieux, mais ça ne va toujours pas bien. J’y repense quasiment tous les jours. Cette image de lui et moi dans cette salle de bain, ça repasse en boucle.

— Vous avez cherché à vous rapprocher d’un psychologue ?

— J’en avais l’idée, mais j’étais trop occupée.

— À quel moment vous serez prête ? De ce que vous rapportez, de la manière dont vous vous exprimez, on sent que la douleur est toujours présente. »

Le juge demande à Jacques de reprendre place à la barre.

« Monsieur, est-ce que vous avez entendu et compris la souffrance qu’elle a exprimée ? Est-ce que vous réalisez les conséquences que ça peut avoir ?

— Oui, oui. Je lui demande pardon » répond Jacques, pas un bavard.

La procureure ne voit pas un taiseux, mais un roublard :

« Un certain nombre de choses montre que vous saviez ce que vous faisiez. Vous avez recommencé, vous le faites toujours quand les filles sont seules, vous leur dites qu’il ne faut pas en parler.

— Ça se passait comme ça.

— Vous maintenez que ça s’est fait ‘tout seul, comme ça’, sans arrière-pensée ? »

Jacques ne répond rien. Dans le micro, on entend l’écho d’un râle.
Dans cette procédure, il y a Marion et puis il y a Daphnée*, moins de 15 ans à l’époque, sexuellement agressée par Jacques, père de sa mère, cette femme du dernier rang qui, à l’appel du président, s’extirpe des bras de son mari pour s’avancer à la barre.

« Elle a écrit un courrier qu’elle m’a demandé de vous remettre.

Le président prend la lettre et lit : « Je suis Daphnée, et Jacques D. est mon grand-père (…) Si la justice, c’est punir quelqu’un pour une mauvaise action sans regarder ce qu’il a pu accomplir, alors pour moi, c’est de l’injustice », écrit-elle avant de demander au tribunal de pardonner à son « papou ».

« Ce qu’a fait mon père, ce n’est pas pardonnable »

Dans cette procédure, il y a donc une victime, partie civile, qui dénonce les faits et une victime qui défend son agresseur pour lequel elle éprouve l’amour enfantin d’une fille pour son grand-père adoré, celui qui vient la chercher à l’école, qui regarde des dessins animés avec elle.

Sa mère commente :

« Je suis consciente que ce qu’a fait mon père, ce n’est pas pardonnable. Je comprends la position de Marion. C’est compliqué. »

L’avocate de Marion décline les différentes demandes d’indemnisation, après avoir rappelé que le psychiatre lui a diagnostiqué tous les maux caractéristiques des victimes d’agression sexuelle, certifiant un état « posttraumatique » et une ITT de 6 jours.

« Ce qui est toujours très difficile, entonne la procureure, c’est que ce n’est pas qu’une atteinte au corps, mais aussi une atteinte à la confiance et à la famille ».

Jacques D.

« vient avouer qu’il a fait un truc dégueulasse, mais qu’il ne pensait pas à mal.Ce n’est pas ma lecture du dossier. Il va mettre en place une stratégie : minimiser le nombre de fois, persister dans son comportement. Elles ont confiance en lui et il va poser les premiers actes : des commentaires sur leur corps, des discussions sur la sexualité », les isoler dans la salle de bain.

La stratégie de l’agresseur est, selon elle, clairement établie. Contre un homme de 72 ans sans antécédents, elle requiert trois ans de sursis simple.

Jacques se défend seul. « C’est à vous », l’informe le président. Il bredouille des excuses et ne demande rien, comme s’il était déjà autre part. Il promet de suivre des soins psychologiques.

Trois ans de prison avec sursis, une interdiction d’exercer une activité en rapport avec des enfants, ainsi qu’une inscription au FIJAIS, sont prononcés à l’encontre du vieil homme, qui repart dans sa famille en morceaux.

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