France | Le proxénétisme 2.0 bouleverse les schémas traditionnels en Île-de-France

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L’effroyable parcours d’Amel, 19 ans, soupçonnée d’être une « mère maquerelle »
L’exploitation sexuelle des mineures prend un nouveau visage avec l’émergence de jeunes femmes proxénètes. Une affaire récente à Créteil (Val-de-Marne) met en lumière ce phénomène inquiétant, qui s’amplifie, où les victimes basculent parfois de l’autre côté.

À 19 ans, Amel est dans de sales draps.

« Je voudrais retrouver une vie stable. »

Cette jeune femme aux cheveux noirs et au teint mat a été écrouée après sa mise en examen, le 11 juillet à Créteil, pour « proxénétisme aggravé et violence aggravée » en compagnie de deux autres suspects.

Deux qualifications qui font basculer la jeune femme du rang de victime de l’exploitation sexuelle à celui d’autrice.

Une nouvelle tendance criminelle souvent observée dans les affaires de proxénétisme de mineurs.

L’activité se féminise.

Aujourd’hui, de très jeunes femmes participent à l’exploitation d’adolescentes en leur fournissant tous les services nécessaires pour se vendre.

C’est le cas d’Amel, à peine majeure, qui a suivi un parcours pour le moins chaotique et qui s’est montrée particulièrement violente.

Originaire de l’Essonne, elle a en poche un CAP commerce.

Elle a été serveuse avant d’être happée par l’univers désespérant de cette forme de prostitution, « le proxénétisme de cité », qui représente désormais la moitié des affaires traitées par la police.

En rupture avec sa famille, elle se serait prostituée depuis quatre mois.

Plus récemment, elle aurait rencontré un garçon qui lui aurait proposé sa protection, avant de participer activement au proxénétisme d’une adolescente, âgée de 17 ans.

Un parcours vécu malheureusement par de nombreuses ados fugueuses ou en situation de rupture familiale.

« C’est un dossier grave et triste. Cette fille, maîtresse de sa vie, mérite mieux que cette vie de prostituée.

C’est une victime qui est aussi passée dans les rangs des exploiteurs.

Elle est soupçonnée d’être l’auteur principal des faits de proxénétisme et de violence commis sur un homme au seul motif qu’il lui aurait mal parlé », note un avocat général parisien qui a suivi le dossier.

« Un monde de violence et de mépris »

Jusqu’à présent, Amel n’avait jamais eu affaire à la justice.

« Elle a bien conscience que les faits sont graves. Elle est en recherche de repères. Aujourd’hui, tout s’est écroulé », souligne son avocate, Me Clémentine Yvon.

Jeune mère maquerelle sous emprise, complice qui agit de son plein gré, ou simple collègue victime des circonstances ?

C’est à ces questions importantes que le juge d’instruction devra répondre, qui reviennent régulièrement sur les bureaux des magistrats franciliens, assaillis par ce type de procédures.

Selon la police judiciaire, en petite couronne, en 2024, plus de 25 victimes ont été recensées par département : Paris, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne sont les secteurs les plus touchés.

En grande banlieue, le Val-d’Oise et la Seine-et-Marne tiennent la corde avec entre 15 et 25 mineures exploitées.

« Mon engagement dans la lutte contre le proxénétisme de mineurs est d’autant plus déterminé que — contrairement à l’image faussement lisse qui peut en être renvoyée sur les réseaux sociaux — la prostitution n’est qu’un monde de violence et de mépris », souligne la procureure de Paris, Laure Beccuau.

L’image glamour de l’escort-girl, « l’effet Zahia », se heurte rapidement à la réalité crue des rapports de domination et d’exploitation, qui s’accompagnent souvent de coups, viols, insultes et autres violences.

Les forces de l’ordre découvrent l’activité d’Amel le 8 juillet 2025, vers 1 heure du matin, lors d’une intervention rue Faidherbe, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne).

Un homme est retrouvé dans la rue, grièvement blessé.

Il souffre d’un enfoncement du plancher orbital, son nez et sa mâchoire sont fracturés.

Il explique qu’il a été agressé par la prostituée avec laquelle il avait rendez-vous, Amel, avant d’être mis dehors par les deux hommes qui assuraient la sécurité de la jeune femme.

Et il ajoute que le trio lui aurait dérobé sa carte bancaire et sa carte d’identité.

L’homme est transporté à l’hôpital Saint-Camille de Bry-sur-Marne, où il est soigné.

Les urgences médico-légales lui accordent 30 jours d’incapacité totale de travail.

Quand les policiers entrent dans cet appartement Airbnb, ils découvrent des traces de sang, des bonbonnes de protoxyde d’azote et des préservatifs.

Une adolescente avec des ecchymoses

Dans les poches d’Amel, ils mettent la main sur la carte de paiement du plaignant.

Et dans l’appartement, il découvre surtout une adolescente de 17 ans.

« Les fonctionnaires remarquent qu’elle présente des ecchymoses au visage et au bras droit et regarde craintivement l’un des deux hommes », précisent les agents.

Cette adolescente affirme qu’elle a été mise à la porte du domicile parental puis hébergée dans cet appartement prostitutionnel.

Amel l’aurait recrutée, selon ses dires.

Les urgences médico-légales lui accordent une incapacité totale de travail de cinq jours physique et 12 jours en ce qui concerne le traumatisme psychologique.

« Elle a été mise à l’abri auprès d’un adulte référent et la justice lui a désigné un administrateur ad hoc pour défendre ses intérêts dans la procédure », explique une source proche du dossier.

Le trio est interpellé et placé en garde à vue.

Amel passe aux aveux.

Elle explique qu’elle a fracassé la tête de son client à coups de bonbonne « parce qu’il lui aurait mal parlé ».

Elle ajoute que les deux hommes arrêtés en sa compagnie sont des agents de sécurité qu’elle a recrutés au fil de l’eau.

« La jeune femme évoque une situation de légitime défense qui aurait nécessité leur intervention », note une source proche de l’affaire.

Quant à la jeune fille prostituée dans le même appartement ?

Elle nie toute implication dans les faits de proxénétisme aggravé.

Amel assure, en contradiction avec le témoignage de la victime, que c’est une collègue et qu’elle « n’est pas sa proxénète ».

« Je rappelle qu’elle et la jeune fille se connaissaient avant de se prostituer », appuie son avocate.

« Elle est très jeune, il faut qu’elle soit accompagnée »

Devant la chambre de l’instruction, le conseil évoque la mobilisation des parents de sa cliente, choqués d’apprendre que leur fille a été incarcérée à Fresnes (Val-de-Marne).

« Elle est très jeune, il faut qu’elle soit accompagnée dans la vie pour donner une nouvelle direction à son existence, plaide son avocate.

Elle s’est trouvée hors du domicile parental mais ils sont en attente de pouvoir l’héberger. Ma cliente a bien conscience que les faits sont graves. Elle est en recherche de repères. »

Et le conseil d’ajouter qu’elle est la seule des trois personnes arrêtées à avoir participé à la manifestation de la vérité.

« Seule ma cliente s’est véritablement exprimée. Et les deux autres se sont désolidarisés des faits. »

Pour rappel, le proxénétisme peut être puni à hauteur de dix ans d’emprisonnement et de 1,5 million d’euros d’amende lorsqu’il est commis sur une mineure.

Complément

« C’est très simple de glisser du côté de l’entremetteuse » – comment des jeunes femmes deviennent proxénètes de mineurs

Des femmes, souvent anciennes victimes, deviennent actrices de ces réseaux criminels.

La prise en charge des mineures exploitées nécessite une approche pluridisciplinaire, mêlant justice, santé et accompagnement social.

Que ce soit en tant que chefs ou complices, les femmes représentent le nouveau visage du proxénétisme en Île-de-France.

Ces nouvelles criminelles s’inscrivent dans la montée en puissance de voyous 2.0.

Les « proxénètes de cité », comme disent les policiers dans leur jargon, sont à la manœuvre aujourd’hui dans la moitié des affaires d’exploitation sexuelle qui sont sur leurs bureaux.

« Le nombre de ces dossiers a décuplé en dix ans et plus particulièrement concernant des victimes de plus en plus jeunes, âgées entre 13 et 14 ans », note un commissaire de police francilien.

Ce spécialiste estime que cette inquiétante expansion date de 2019 et serait concomitante avec celle des réseaux sociaux.

« Le proxénétisme a changé. Aujourd’hui, c’est facile, il suffit d’un téléphone, de passer une annonce et de donner des rendez-vous », ajoute-t-il.

Une « forme d’entraide et de services »

Et pourquoi les femmes sont-elles de plus en plus présentes dans ces petits réseaux criminels ?

« Autrefois, les prostituées dépendaient des hommes qui avaient un ascendant sur elles et parfois les contraignaient physiquement.

Cela existe encore avec des types violents qui les maintiennent dans la peur, concède ce commissaire. Mais les nouveaux proxénètes sont aussi très jeunes et la nature de leur relation avec les mineures prostituées a évolué.

Aujourd’hui, les souteneurs rendent des services et apportent une assistance contre un pourcentage des gains. C’est logique que des jeunes femmes, prostituées elles-mêmes, occupent ce rôle-là puisqu’il s’agit d’une forme d’entraide et de services. »

Plusieurs fois par mois, en région parisienne, les forces de l’ordre arrêtent des proxénètes en compagnie d’adolescentes ou de jeunes majeures en fugue en perte de repères et provenant des foyers de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE).

Elles peuvent être recrutées dans ces structures d’accueil ou sur Snapchat, contre la promesse de gagner facilement de l’argent.

La plupart de ces jeunes « protecteurs » sont des hommes, déjà connus des services de police, notamment pour des faits de trafic de stupéfiants, qui perçoivent le proxénétisme comme un moyen de diversifier leur activité criminelle.

Mais ils peuvent aussi être secondés et peut-être même remplacés par des jeunes femmes.

Un magistrat au parquet de Paris confirme que certaines d’entre elles sont très violentes.

« Ce sont elles-mêmes des prostituées, qui très vite passent à l’organisation, note un autre policier de grande couronne. Elles font bosser les autres parce qu’elles savent passer des annonces où sont douées de capacité pour mettre en œuvre le recrutement. »

« C’est la problématique de l’agressé qui devient agresseur »

Quels peuvent être les mécanismes psychologiques qui font passer une jeune femme exploitée dans le camp des profiteurs ?

Isabelle Teillet, psychiatre, experte judiciaire auprès des tribunaux, estime que:

« Dès lors qu’on est capable de se prostituer soi-même, tout est possible. Psychologiquement, il y a d’abord ce que j’appelle une sorte de solidarité envers son souteneur.

Un peu comme le syndrome de Stockholm, qui fait qu’une jeune femme qui se prostitue peut devenir elle-même proxénète pour le compte d’un homme.

Ce sont des sentiments compliqués à gérer pour une personne qui se trouve entraînée dans des histoires pareilles. Quand on vend son corps, le corps de l’autre n’a guère plus de valeur.

Rien d’étonnant. Je crois qu’ensuite, c’est très simple de glisser du côté de l’entremetteuse. »

Pour la psychiatre, le fait de participer à l’exploitation d’une autre femme est une manière de reprendre le contrôle.

« Le joug se trouve retourné. C’est la problématique de l’agressé qui devient agresseur. En appliquant les mêmes règles à d’autres, elle devient à son tour maîtresse de quelque chose. »

Selon une récente note de la police judiciaire, la sortie de l’exploitation sexuelle des victimes mineures est extrêmement difficile.

Les traumatismes physiques, psychologiques et la dissociation sont particulièrement marqués chez des jeunes encore en construction.

« La dissociation, c’est une notion à l’égard de son propre corps.

C’est d’abord une problématique extrêmement féminine qui peut exister que l’on se prostitue ou pas. La femme se coupe de son corps.

Lorsqu’elle se prostitue, elle mène une sexualité où il n’y a pas de sentiment.

Soit parce qu’elle y est obligée, soit parce qu’elle y a intérêt financièrement, explique Isabelle Teillet. La question du corps est très compliquée.

Dans ce cas précis, c’est toujours une gestion au cas par cas. »

Les proxénètes, « parfois seuls repères affectifs »

La police judiciaire constate qu’en finir avec l’emprise des proxénètes, « parfois seuls points de repère affectifs de la victime, est particulièrement complexe ».

Les prises de risque peuvent également avoir des conséquences sur la santé et entraver l’émancipation (infections sexuellement transmissibles, addictions, etc.).

Néanmoins, selon certains travailleurs sociaux, les victimes pensent le plus souvent cesser l’activité à terme.

Le point d’accroche passe le plus souvent par la problématique de la santé.

Isabelle Teillet rappelle:

« Il existe partout dans la région des centres médico-psychologiques où il y a des assistantes sociales et des psychologues qui peuvent aider. Et surtout de nombreuses associations qui viennent au secours des prostituées dans leurs efforts de sortie de cette activité »

« La protection des personnes les plus vulnérables me tient à cœur, insiste Laure Beccuau, la procureure de Paris.

Et ces mineures, tout aussi difficiles à accompagner soient-elles, en font évidemment partie.

Nous souhaitons depuis longtemps que puissent être instaurées des structures d’accueil adaptées pour les accompagner dans la durée sur ce sujet.

Nous souhaitons aussi développer le partenariat avec les associations pour améliorer les points de repérage des situations de danger.

Mon parquet est à l’initiative du dispositif au départ expérimental de protection en lien avec la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, généralisé en 2022. »

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