Seine-Maritime | Le silence de la justice profite aux agresseurs

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Pédocriminel En liberté

Violée à l’âge de 6 ans sa plainte met plus de 10 ans à être jugée
Un pédophile a été condamné par le tribunal de Rouen (Seine-Maritime), vendredi 9 avril 2021. Son ex-femme a été déclarée coupable de non-dénonciation.
Alix Dehaye a déposé plainte pour des faits de viol et attouchements sexuels, imposés par le mari de sa nourrice alors qu’elle avait entre 4 à 6 ans. Requalifiée par la justice comme une agression sexuelle aggravée, sa plainte a été jugée devant le tribunal correctionnel de Rouen, mardi 17 décembre.

Deux autres victimes ont comparu au côté d’Alix Dehaye  Elle témoigne afin que son histoire puisse aider d’autres victimes de pédocriminalité

Michel Z, âgé de 74 ans, était “accusé d’agression sexuelle par ascendant“, “attentat à la pudeur commis avec violence ou surprise par ascendant” et “atteinte sexuelle par majeur sur mineur de 15 ans“.

Pour ces faits, il encourait jusqu’à dix ans de prison et 150 000 euros d’amende. 

L’homme a été condamné à cinq ans de prison avec sursis probatoire de 24 mois et trois ans d’obligations de soins. Il a interdiction d’entrer en contact avec les victimes pendant trois ans et d’entrer en contact avec des enfants.

Pour les parties civiles, dont Alix Dehaye qui a témoigné pour France 3 Normandie, c’est un soulagement : “il ne pourra plus agresser d’enfants”.

Leur avocate parle d’une peine exemplaire, compte tenu de la jurisprudence, de son âge, de l’ancienneté des faits.

“J’ai hésité à y aller”, confie Alix Dehaye à propos de l’audience qui se tient ce mardi 17 décembre 2024, devant le tribunal correctionnel de Rouen.

Il se sera passé plus de dix ans, entre le moment où elle a porté plainte, pour des faits de viol et d’agressions sexuelles, et son procès.

Celui-ci aurait dû se tenir dans une cour d’Assises, le viol étant considéré comme un crime par la loi. Elle dénonce avoir subi de multiples attouchements sexuels et un acte de fellation de la part du mari de sa nounou, lors de ses 4 à 6 ans. 

Alix a passé son enfance entre Paris et la Normandie, avec des parents peu disponibles pour s’occuper d’elle.

Très occupés par leur activité professionnelle et leur vie mondaine parisienne, il n’était pas rare qu’elle soit gardée par sa nounou le soir et durant les vacances scolaires. Le compagnon de celle-ci aurait profité de ces occasions pour abuser d’Alix.

“J’ai eu un flash”

“J’ai souffert d’amnésie traumatique pendant plusieurs années, je m’en suis rappelée à l’âge de 9 ans”, raconte la jeune femme âgée aujourd’hui de 37 ans. Lorsqu’elle en parle pour la première fois à un des adultes de son entourage, celui-ci lui dit “d’oublier” et met fin à cette discussion. 

Alix Dehaye se décide à déposer plainte en 2014, quelques mois après avoir recroisé son agresseur. “Il était là à l’enterrement de mon père, j’ai vu dans son regard qu’il n’avait pas changé et qu’il était toujours en état de nuire”.

C’est face à “l’énorme culpabilité de ne rien faire” et l’idée “qu’il puisse agresser d’autres enfants” qu’elle trouve le courage de se rendre au commissariat pour en parler. 

Deux ans passent sans qu’Alix n’ait pas la moindre nouvelle de sa plainte : “Au bout de toutes ces années, je trouve le courage de porter plainte. Je me dis que ce poids qui pèse sur mes petites épaules sera enfin dans les mains de la justice. Et finalement je me rends compte qu’il ne se passe rien”. 

C’est finalement après avoir insisté lourdement par téléphone qu’elle apprend que son dossier est jugé comme “non-prioritaire” car les faits décrits sont très anciens. “Ce silence de la justice profite aux agresseurs et alourdit le poids sur les victimes”, selon elle. Une longue attente qui sera décisive dans la suite donnée à son dossier.

Une plainte pour viol mais un procès pour agression sexuelle

Suite à l’enquête réalisée par un juge d’instruction, la Chambre d’instruction puis la Cour d’Appel de Rouen ont statué sur un “non-lieu partiel” de ce viol. Ce fait a été requalifié en délit avec circonstance aggravante.

Lors d’une audition tenue durant l’instruction du dossier, le prévenu, Michel Z. avait pourtant reconnu “avoir mis son sexe dans [s]a bouche (…) avant de préciser que son sexe n’avait fait qu’effleurer sa bouche”. Contactée, son avocate n’a pas souhaité répondre à notre sollicitation. 

En raison de cette contradiction dans cet aveu et du “délai écoulé depuis les faits qui ne permettent pas de confirmer de manière précise (…) les confidences faites à l’entourage”, l’accusation de viol n’a pu être confirmée aux yeux de la justice. De quoi écœurer la victime au plus haut point. Il s’agit selon elle, “d’un dysfonctionnement” de la justice qui révèle l’absence de moyens accordés pour traiter les dossiers dans les temps.  

“Quand on est victime, on nous demande de tout prouver. Et même quand on arrive à justifier ce que l’on a subi, on ne nous entend pas.” et “Je veux parler pour que la honte change de camp, parler pour ceux qui ne peuvent pas et faire honneur à toutes les victimes qui sont mortes car elles n’ont pas réussir à vivre avec ça.” clame Alix

Après ce drame vécu si jeune, l’enfance puis l’adolescence d’Alix ont été “chaotiques” : “je n’avais pas envie de devenir adulte car le monde des adultes m’avait trahie, je n’avais aucun intérêt à vivre”. Très tôt, elle sombre dans plusieurs addictions (alcool, médicaments et cannabis) et tombe dans l’anorexie. “Je me cassais la tête”, raconte-t-elle pour parler de ce mécanisme qu’elle reconnaît aujourd’hui être une “auto-destruction”. 

Alors qu’elle était décrite comme une “jeune fille sérieuse, avec des facilités à l’école”, sa scolarité en prend un coup. Sa relation aux autres aussi : sa confiance envers les adultes est détruite, son rapport à l’autorité difficile et sa relation aux hommes conflictuelle. “Une fois je n’ai pas osé prendre mon train car c’était un homme au guichet [de la SNCF]”, se rappelle-t-elle. Une anecdote symbolique qui illustre l’étendue des dégâts psychologiques issus de ce traumatisme d’enfance.

“Briser l’omerta de la pédocriminalité”

Après un long parcours du combattant, effectué en solitaire, car “aucun adulte ne m’a tendu la main”, Alix a finalement “appris à aimer la vie”. “Même si parfois ça semble impossible, c’est possible d’apprendre à vivre avec ce genre d’histoire et à se libérer peu à peu”, veut-elle dire aux autres victimes de pédocriminalité, “le chemin de la résilience est long mais ça vaut le coup de s’accrocher”.

Alix Dehaye a créé une association il y a quelques années, “Libérons la parole” pour aider les autres victimes et “briser l’omerta” autour de la pédocriminalité à travers des cercles de paroles et des ateliers de sensibilisation. 

 

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