Guinée | Abus et chantage sexuel au sein de l’Académie de football de Nongo

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Ces pratiques se passent également dans de nombreux clubs de l’élite en Guinée
Financée notamment par la FIFA et l’AFD (Agence française du développement), l’académie de Nongo, vantée comme un modèle « contre les violences du genre », est en réalité un centre où les jeunes filles, dont des mineures, subissent des abus et du chantage sexuel pour jouer.

Une information confirmée par l’AFD qui a sollicité les autorités guinéennes.

( Cette enquête a été originellement publiée dans le dernier livre de Romain Molina « L’Industrie du Football (tome 2) : Macron, L’Afrique, La FIFA » et actualisée pour Sport News Africa. Un livre que vous pouvez commander ici )

Argentine, Cameroun, Colombie, France, Gabon, Mongolie, RD Congo, Sierra Leone, Zambie : les cas d’abus sexuel – principalement sur mineurs – dans les fédérations de football se succèdent à travers le monde.

Après des mois d’enquête, Sport News Africa peut ainsi révéler que ces pratiques existent aussi à l’académie de Nongo, gérée par la Fédération guinéenne de football (Feguifoot).

Toutefois, contrairement aux autres cas précités, l’académie de Nongo fait partie du programme « Championnes » qui utilise justement le football féminin comme un outil « d’émancipation des filles, de défense des droits des enfants, et de lutte contre les violences basées sur le genre ».

Financée par de puissantes organisations (AFD, FIFA, Plan International), cette académie a été vantée à de multiples reprises comme un modèle dans le domaine. Une opération de communication bien loin de la réalité.

Regroupement des meilleures jeunes joueuses de Guinée, l’académie de Nongo a été promotionnée par l’Agence française du développement comme un « modèle », fruit « de l’excellent travail accompli par la fédération guinéenne de football, qui grâce à l’attribution de fonds Forward de la FIFA, a pu mettre en place la première académie de football pour filles en Afrique ».

Une position qui exaspère de nombreuses filles passées par le centre.

« Je ne sais pas qui a raconté ça, mais ils se moquent du monde », tonne l’une d’entre elles.

« C’était une horreur pour les jeunes filles comme moi. Il suffit simplement de regarder notre historique de conversation Facebook ou WhatsApp pour comprendre le souci. »

Sans aucune vergogne, les coachs employés par la Feguifoot pour l’académie ou les sélections jeunes écrivaient une flopée de messages, bien souvent à caractère amoureux et sexuel, à des joueuses parfois âgées de 15 ou 16 ans.

Laissant clairement sous-entendre qu’il fallait « être gentille » avec l’entraîneur car « ça va t’aider dans ta carrière », les encadrants sélectionnaient certaines filles si elles acceptaient de jouer les amantes.

« Si je ne te pardonnais pas, j’allais te traîner en prison ou à la télévision, mais je n’ai rien fait de tout cela », répondit l’une d’entre elles.

« Je crois que ceci sera mon dernier message pour toi. Une fois de plus, qu’Allah te regarde et me regarde, et juge. »

Parmi les encadrants concernés, Sekouba Camara Nesta, le sélectionneur des U20, était particulièrement visé (ndlr, contactés, la Feguifoot et l’intéressé n’ont pas répondu).

« C’est du chantage », s’emporte une internationale. « Dans notre société, ce sujet est complètement tabou donc ils en profitent. Ils choisissent des joueuses souvent issues de milieux ruraux, n’ayant pas eu accès à une certaine éducation. Ils les manipulent et vu la pression économique, sociale… Être en sélection, recevoir sa prime, c’est quelque chose qui aide une famille. Ils le savent très bien. »

Selon les témoignages recueillis, ce « secret de polichinelle » était « connu de toutes les personnes impliquées dans le football féminin guinéen ».

Quelques années auparavant, une pensionnaire de l’académie s’était d’ailleurs retrouvée enceinte d’un dirigeant qui l’avait « achetée » auprès de sa famille. Embarrassant pour un homme établi qui poussa, avec l’aide de la famille, la jeune fille à avorter.

Apeurée, elle refusa malgré l’insistance des siens. Sans savoir quoi faire, elle décida de s’enfuir du domicile familial, puis de Conakry, sans donner de nouvelle.

Des proches, inquiets, tentèrent de la retrouver, interrogeant le voisinage de son quartier de Dixinn, au cœur de la capitale. En vain.

Disparue, l’ancienne joueuse réapparaissait plus d’un an plus tard dans un camp de réfugiés du Liberia, un pays voisin, tenu par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Après avoir enregistré un message vocal d’une dizaine de minutes sur WhatsApp pour raconter une partie de son périple, son retour en Guinée était planifié. Loin de sa famille, et surtout du football.

Depuis 2021, l’académie de Nongo a pourtant été citée en exemple par ses financiers comme l’un des exemples à suivre du programme Championnes.

« Le projet Championnes, financé par l’AFD, la FIFA et Plan International, mis en œuvre par Plan International France & Guinée avec le soutien des bailleurs, propose à des jeunes de participer à une pratique sportive encadrée et de suivre des formations sur le développement personnel, la confiance en soi, les droits des enfants », explique un porte-parole de l’Agence française du développement à Sport News Africa.

« 1785 jeunes filles au sein de 88 associations sportives sont formées et pratiquent le football sur des infrastructures réhabilitées et équipées. Les jeunes filles développent des clés de communication et d’assertivité qui, associées aux travaux de sensibilisation des 30 comités de soutien – composés des parents, encadrants et autorités religieuses et villageoises – leur permettent d’avoir une nouvelle place au sein des communautés. »

Très joli sur le papier, ce plan était en réalité un fourre-tout de formules toutes faites destinée à des opérations de communication.

Le 16 avril 2021, une conférence de presse fut ainsi organisée en Guinée pour le lancement officiel du projet Championnes avec le sous-titre :

« Promotion de l’émancipation et de la protection des filles à travers la pratique du sport. »

Avec un parterre de politiques locaux, dont les ministres de l’Education Nationale et des Sports ou l’ambassadeur de France en Guinée (Marc Fonabaustier), les organisateurs vantaient « la promotion du football féminin » si chère à leurs yeux et « l’excellent travail accompli par la Fédération guinéenne de football, qui grâce à l’attribution de fonds Forward de la FIFA, a pu mettre en place la première académie de football pour filles en Afrique ».

L’excellent travail de la Feguifoot fera forcément tiquer les suiveurs du football national puisque la fédération est gangrenée depuis une dizaine d’années par des accusations, détournements et luttes de pouvoir entre les divers oligarques (et politiques) régnant sur le ballon rond guinéen…

Contactée, l’Agence française du développement a confirmé les informations de Sport News Africa. « L’AFD a été récemment informée d’allégations portant notamment sur des faits d’abus sexuels et de comportements inappropriés au sein de l’Académie de football de Nongo en Guinée, gérée par la Fédération guinéenne de football, dans laquelle une partie des activités du programme financé par les trois organisations est mise en œuvre.

L’AFD, conformément à ses procédures, a notamment réalisé des diligences sur le bénéficiaire du projet. L’AFD n’a pas été informée de la situation décrite pré-octroi.

Soucieuse de faire toute la lumière sur ces allégations particulièrement graves remontées sur le projet « Championnes » et conformément aux engagements pris marquant une tolérance zéro face aux pratiques dénoncées, l’AFD a pris toutes les mesures de sauvegarde et de vérification qui s’imposent pour préserver l’intégrité des jeunes joueuses et encadrer tout risque sur le projet.

Aussi, l’AFD et ses partenaires dont Plan International ont conjointement travaillé à l’élaboration et la mise en place d’une série de mesures de remédiations visant à renforcer la protection ainsi que la sécurité des jeunes joueuses et à refaire un cycle de formation du personnel sur les questions de sauvegarde et de protection de l’enfance.

Par ailleurs, les autorités compétentes ont été saisies. Cependant, l’AFD ne peut pas fournir plus de détails à ce sujet pour des raisons évidentes de confidentialité. »

Sport News Africa précise que les abus et le chantage sexuel concernent des joueuses mineures et majeures, et se passent également dans de nombreux clubs de l’élite en Guinée, aussi bien dans le football que le basket.

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