France | Enquête: le fléau de la prostitution des mineurs
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 04/02/2024
- 09:14
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Quels mécanismes peuvent conduire une adolescente de 16 ans à vendre son corps à des inconnus ?
Pour Alice* (prénom modifié), le calvaire commence sur les réseaux sociaux. En 2018, elle est en rupture familiale et scolaire.
Et un soir, sa vie va basculer :
“J’ai été recrutée par les réseaux sociaux.
Des hommes sont venus me parler, ils m’ont fait croire à de belles choses – vu que j’étais dans une situation précaire –, que j’allais avoir un appartement et uniquement faire le ménage.”
“Au final, je n’ai pas vécu ça.
Je suis arrivée dans un Airbnb, il y avait plein de monde, il y avait des plus vieilles et des plus jeunes.
Onze ans, oui. Y a un homme qui est entré et une fille qui l’a reçu.
Et moi, je me suis dit que j’allais faire le ménage pour ces gens-là, sauf que ça ne s’est pas passé comme ça.
Moi aussi, j’ai été obligée de faire ces choses là.
A ce moment-là, je me disais : “je me fais juste de l’argent. Et peut-être que plus tard, je m’en sortirai”.
Alors que pas du tout. C’était quelque chose qui était organisé, je faisais ce qu’on me demandait.
J’étais leur chose.”
Jusqu’à dix clients par jour
Pendant six mois, Alice dit avoir été séquestrée et prostituée dans des appartements et chambres d’hôtels en région parisienne, enchaînant jusqu’à dix clients par jour :
“Je me suis fait frapper parce que je ne voulais pas faire certaines choses.
J’étais leur chose. Ils vous tuent à l’intérieur, à l’extérieur.
Le corps, il n’accepte pas, je me sentais sale.
Même si on en pleure, c’est comme ça.
Quand on est dans le besoin, on est prêt à faire n’importe quoi.
Je ne suis pas fière de moi. Je suis vide de l’intérieur, fanée, morte.”
Tombée gravement malade, Alice se retrouve aux urgences.
Elle finit par dénoncer ses bourreaux et porte plainte pour proxénétisme aggravé sur mineur.
Elle tente aujourd’hui de se reconstruire mais, cinq ans après les faits, elle est toujours en attente du procès.
Les réseaux sociaux, première porte d’entrée
Surenchère de photos et vidéos. Visages juvéniles et corps dénudés. Instantanéité des messages, petites annonces sans équivoque…
Pour les besoins de notre enquête, nous nous sommes créé un faux profil sur une plateforme de rencontres pour ados, celui d’une jeune fille de 16 ans.
Un pseudonyme : Lola. Puis une photo de profil fictive, générée par l’intelligence artificielle.
Et quelques minutes plus tard, des dizaines de messages, pour la plupart très explicites :
“Salut, t’es coquine ?”
“Hello, tu veux bz ?”
Des hommes âgés de 18 à 60 ans. L’un m’invite à le rejoindre dans un hôtel parisien :
“J’ai 45 ans. Tu me rejoins au Novotel Paris Les Halles ? Je te propose 250 euros pour deux heures.”
Mais je reçois aussi des propositions pour partir à l’étranger, à Dubaï, pour sans doute rejoindre un réseau de prostitution :
“Je peux te loger chez moi. Y a plein de filles comme toi ici. Y a de l’argent à se faire.
Je peux même te payer le billet d’avion. Envoie-moi photos et vidéos de toi nue d’abord.”
Un mode opératoire bien connu des services de police.
Cet homme de 25 ans qui se présente comme protecteur deviendra sans doute mon proxénète.
Une prostitution des mineurs de plus en plus organisée.
Qui, à la faveur des réseaux sociaux, s’aggrave, selon les autorités.
“Moi, je ne force personne”
Un autre client, qui nous a donné rendez-vous le soir même au bas de son domicile, s’en cache à peine.
Nous le retrouvons au bas de son immeuble.
“Lola ?”, s’enquiert-il.
Je lui indique que je ne suis pas Lola. Mais journaliste. L’homme accepte de se livrer.
Il a 50 ans et reconnaît qu’il est très facile d’avoir des rapports tarifés avec des mineurs grâce à Internet.
A ma question :
“Pourquoi chercher des jeunes filles ? C’est bizarre un monsieur qui cherche des filles mineures pour coucher avec elles, non ?”
Il répond :
“Je les cherche pas mais parfois, je les trouve.”
J’insiste :
“Ce sont pourtant des jeunes filles qui potentiellement ne savent pas ce qu’elles font.”
L’homme rétorque :
“C’est vrai, mais c’est à elle le consentement, c’est pas moi. Moi, je force personne. Moi, je veux rencontrer des femmes.”
“A 16 ans, ce ne sont pas des enfants. Même si c’est hors la loi, ce ne sont pas des enfants.”
Solliciter une relation sexuelle avec une mineure de moins de 18 ans en échange d’une rémunération est illégal.
Cet homme s’expose à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende.
La prostitution des mineurs et la loi (© APCE)
Des mineures issues de tous milieux sociaux
Au siège de la police judiciaire de Paris, la brigade de protection des mineurs (BPM) traque les pédocriminels sur les réseaux sociaux.
Son unité internet a vu le nombre d’affaires multiplié par cinq en dix ans.
Et avec l’arrivée des Jeux olympiques et l’afflux de touristes, Léon Grappe, commissaire de police à la BPM de Paris, s’inquiète :
“On peut s’attendre à ce que cette tendance ne diminue pas.
Ce qu’on constate, c’est une méconnaissance ou une minimisation du risque des réseaux sociaux de la part des mineurs.
Donc, l’arrivée des JO nous mobilise.
La brigade des mineurs prévoit de doubler l’ensemble des effectifs prévus pour gérer les situations urgentes de flagrant délit et les situations de proxénétisme de mineurs.”
Hélène David est responsable de la permanence Ado Sexo auprès de l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE).
Elle accompagne les adolescents et forme les professionnels de l’enfance, souvent démunis.
Cette experte des conduites à risques chez l’adolescent évoque le rôle des réseaux sociaux :
“Aujourd’hui, de quoi les ados de 15 ans ont soif ?
De luxe, de maisons avec piscine, de belles voitures, qu’on leur propose sur les réseaux sociaux.”
“Il ne s’agit pas de mettre les filles sous cloche, mais plutôt d’inviter les parents à avoir une discussion avec leur jeune et de les aider à repérer les prédateurs, leurs techniques pour essayer de les embrigader, de les faire rêver.”
En 2021, le gouvernement a lancé un premier plan interministériel de lutte contre la prostitution des mineurs, doté de 14 millions d’euros.
Mais, selon les associations, la situation demeure toujours plus préoccupante.
Parmi nos sources :
Premier plan gouvernemental contre la prostitution des mineurs (2021)
Le site jeprotegemonenfant.gouv.fr pour lutter contre l’exposition aux contenus pornographiques
Le premier plan national de lutte contre la prostitution des mineurs a été érigé en priorité par la Première ministre, Elisabeth Borne, lors du premier comité interministériel le 20 novembre 2022
La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise)
L’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) et son étude sur l’exploitation et les agressions sexuelles des mineurs en France (2020-2021)
“Y a quoi dans ma banane ?” Tout ce qu’il faut pour dire stop à la violence. La démarche de prévention du Mouvement du Nid.
Mineurs victimes de prostitution : appelez le 119 (Spot du ministère de la Santé et de la Prévention – février 2022)
“La prostitution des mineurs est interdite sur tout le territoire de la République” : L’article 13 de la Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale
Du recours à la prostitution de mineurs (Articles 225-12-1 à 225-12-4 du Code de procédure pénale)
Rapport du groupe de travail sur la prostitution des mineurs du 28 juin 2021
A savoir
Bien que la loi du 21 avril 2021 ait créé un seuil de non consentement aux relations sexuelles à 15 ans, un mineur de plus de 15 ans peut être victime d’exploitation sexuelle.
Le fait de demander ou d’accepter des relations sexuelles d’un mineur qui se prostitue en échange d’une rémunération est réprimé par l’article 225-12-1 du Code pénal.
Le fait d’entraîner, de protéger, d’aider ou de tirer un gain de la prostitution d’un mineur, ou encore de faire l’intermédiaire entre un proxénète et un mineur prostitué est réprimé par les articles 225-4-1 et suivants du Code pénal.
Le fait de vouloir provoquer les pulsions sexuelles d’un mineur ou de pervertir sa sexualité, notamment via internet relève de la corruption de mineurs et est réprimé par l’article 227-22 du Code pénal. (source : APCE)
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