La Roche-sur-Yon | Un foyer de l’ASE ferme ses portes en laissant onze mineures à la rue
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
non
- 29/01/2024
- 17:43
Catégories :
Mots clés :
L’histoire se finit donc comme un conte du 19ème siècle, où des enfants, en France, errent dans le froid de la rue, sans famille ni endroit où dormir.
Les onze jeunes retirés de leur famille ont été mis dehors un matin de décembre, sans préavis.
Au foyer, on les a réveillés à 7 heures du matin, sommés de rassembler leurs affaires et de prendre la porte.
Mais où aller ? Tous ont été placés par un juge pour enfant qui a jugé leur situation personnelle dangereuse.
La Brossardière, à la Roche-sur-Yon, était leur dernière chance : l’État, une nouvelle fois, faillit à ses obligations.
Le grand bâtiment aux airs de petit château sinistre abrite, derrière son grand portail vert, le foyer départemental de l’ASE.
Un orphelinat des temps modernes, en quelque sorte, où environ 80 enfants, de 0 à 18 ans, placés par la justice, sont hébergés dans l’attente d’une meilleure solution, comme un placement en famille ou en institut spécialisé.
Ils n’ont pas d’autre recours pour trouver un toit, si ce n’est ce foyer ; même le 115 n’accueille que des adultes.
En cas de problème, c’est la rue. C’est ce qui est arrivé ce 11 décembre.
Le service des filles adolescentes a fermé ses portes et ses résidentes se sont retrouvées sans solution.
Échec ultime de l’Aide sociale à l’enfance.
Un placement difficile
C’est le cas de Manon (le prénom a été modifié), âgée de 14 ans et demi, placée depuis dix mois pour échapper à sa mère.
Là-bas, elle y était victime de violences, de tensions et d’une négligence générale.
Elle a appelé son avocate en fin de matinée, après plusieurs heures à errer dehors.
Son avocate, Meriem Abkaoui, tempête:
« Elle était en train de traîner avec son sac, sans aucune solution.
Je n’avais rien à lui proposer.
Elle a dû retourner chez elle, où elle était clairement en danger,
On l’a confiée à ce foyer pour la protéger.
Elle a besoin de sécurité et d’encadrement. »
La situation des autres jeunes dans la rue ne vaut guère mieux.
L’une d’elles est confiée à son petit ami dealer. Au risque de tomber dans de mauvaises mains.
« Ce sont des proies faciles, avec de récurrentes histoires de prostitution.
On ne peut pas les mettre à la rue du jour au lendemain », poursuit l’avocate.
La Brossardière, pourtant, n’était pas, du moins que l’on puisse dire, le paradis sur terre.
Manon y a vécu un placement difficile, mélange de fugues, de crises de colère et de brutalité.
Le foyer est le théâtre d’une grande violence qui a fini par dépasser les éducateurs eux-mêmes, incapables d’absorber sur le long terme autant de difficultés.
Les années précédentes, plusieurs grèves avaient déjà été enregistrées.
La fermeture du service intervient donc après des mois de difficultés croissantes.
« Oui, et ces jeunes ? », est-on tentés de demander aux éducateurs.
Il ne revient pourtant pas à ces derniers de pallier tout seuls la cécité de l’État sur ces enfants perdus.
« On a vécu une lente descente aux enfers, résume Franck Tesson, délégué CFDT du foyer.
Les agents ont décidé de se mettre en arrêt en même temps pour forcer une fermeture administrative des lieux. »
La dernière chance des incasables
La Brossardière, derrière ses murs élégants, accueille tous les incasables.
Ceux qui ne peuvent être placés en famille d’accueil à cause de leur comportement, de leurs troubles psychiatriques, de leur handicap.
En pratique, ils sont censés rester au foyer entre trois et six mois, le temps de trouver une solution à leurs difficultés.
Dans les faits, ils y restent plusieurs années.
Franck Tesson explique:
« On se retrouve engorgés avec des jeunes qui cumulent des troubles psychiques importants.
Ceux qui ne sont pas suffisamment dangereux pour aller en centre éducatif fermé, pas assez malades pour aller à l’hôpital psychiatrique, mais trop pour pouvoir aller en famille d’accueil,
C’est un cocktail explosif, avec des enfants qui ne peuvent pas rester seuls, se mettent en danger, s’automutilent ou sont violents avec les autres enfants. »
Une éducatrice raconte:
« une violence imprévisible, quotidienne et sans objet où la moindre frustration peut mener à une situation de crise. »
Un jeune qui exige son téléphone après l’heure autorisée ? Il défonce la porte pour le récupérer.
Crachats, injures, dégradations de véhicule…
Un des résidents a allumé un incendie avec des allumettes pour déverrouiller la porte coupe-feu.
D’autres s’enferment dans leur chambre en bloquant la porte avec des meubles, et un a même organisé un trafic de drogue par sa fenêtre.
Les agents, en première ligne, reçoivent des coups, sont quotidiennement griffés et mordus.
Une éducatrice qui ne souhaite pas donner son nom raconte:
« J’ai vécu un décollement du cuir chevelu avec un œdème qui est descendu le long du visage.
J’ai cru être scalpée. La violence n’est pas contenue.
Quand ils sont violents, ils sont vraiment violents. »
On ne s’invente pas du jour au lendemain à la fois agent de sécurité, psychologue et négociateur de conflits.
Il faudrait au minimum un adulte par jeune pour pouvoir contenir la violence.
Dans les faits, on compte deux éducateurs pour six enfants, au mieux.
Si l’un doit s’absenter, au téléphone par exemple, son collègue devra gérer seul le groupe.
« D’autant que 50% de nos agents sont des contractuels, avec une part de non diplômés qui augmente.
Des AESH, des intérimaires qui n’ont que le BAFA, et pas de formation adéquate », poursuit Franck Tesson.
Chaque département alloue, en principe, le budget qu’il souhaite à l’Aide sociale à l’enfance.
On note une certaine tendance de ces derniers à fermer les yeux sur les situations personnelles dramatiques qui se suivent et se répètent.
À l’automne dernier, l’Ain avait par exemple décidé aléatoirement de suspendre l’accueil des mineurs non accompagnés.
La Vendée, elle, a beau avoir été augmenté de 14 % en 2023, et bien que le foyer bénéficie pourtant de 8 millions d’euros de ressources annuelles, la Brossardière demeure structurellement inadaptée au public accueilli, qui aurait besoin d’un accompagnement global incluant des infirmiers, des psys, des éducateurs.
« Qui peut-on appeler à l’aide ? La police ? L’hôpital ?
Ils vont nous renvoyer les jeunes, s’inquiète Franck Tesson.
Ils n’ont nulle part d’autre où aller.
Nous sommes donc le dernier bastion de l’ASE qui doit être sauvé. »
Source(s):