Violences familiales | Ces enfants sacrifiés par la justice

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Elles s’appellent Carole* ou Keiko, et, comme beaucoup d’autres anonymes, elles ont perdu la garde de leurs enfants après avoir dénoncé des abus sexuels, physiques ou psychologiques commis par le père.

Comment expliquer que la justice prenne de telles décisions ?

Pourquoi la parole de l’enfant est-elle reléguée au second plan ?

Pourquoi le parent violent passe-t-il pour une victime, quand le parent dit «protecteur» est culpabilisé au point de ne plus voir son enfant?

La raison de ces décisions de justice tient notamment au recours dans les tribunaux à une théorie très controversée venue des Etats-Unis: le Syndrome d’aliénation parentale (SAP) ; et à la négation de la parole de l’enfant en tant que victime, notamment depuis l’affaire Outreau.

Le Figaro a enquêté pour comprendre pourquoi, dans les cas de maltraitance, certains enfants sont, contre toute attente, remis entre les mains de leurs bourreaux. Et sur les conséquences de tels jugements sur l’avenir de ces jeunes sacrifiés.

«Papa bobo titine»

C’est par ces trois mots enfantins que Carole*, une mère de famille du sud-ouest de la France, s’est rendue compte de la situation en 2014.

Avec son vocabulaire d’une enfant de 22 mois, sa petite fille lui rapporte que son père lui aurait fait des attouchements sexuels.

«Ma fille m’a dit l’indicible.

C’était un coup de massue.

Elle n’avait aucune connaissance sexuelle, donc je me devais de la croire.

Mais mon monde s’écroulait»,

Témoigne Carole près de trois ans plus tard, des sanglots dans la voix.

Après un signalement au pénal et plusieurs procès, la mère de famille, séparée de cet homme au moment des faits, finira par perdre la garde de son enfant, remis chez son père.

Le cas de Carole n’est pas isolé en France.

Plusieurs enfants sont régulièrement remis par le juge aux affaires familiales au parent violent, le plus souvent après signalement de la mère auprès de la justice ou des forces de l’ordre.

En France, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon, le Haut conseil à l’égalité Femmes/Hommes, 155.000 enfants seraient victimes de viols ou de tentatives de viol chaque année ; et près de 4 millions de Français se disaient victimes d’inceste en 2015.

Face à ce constat, les tribunaux peinent à protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, censé être la priorité absolue en vertu de l’article 3 la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) ratifiée par la France en 1990.

C’est ce qui s’est passé pour Carole, il y a à peine trois ans.

Face aux accusations de sa fille, elle pense d’abord à un malentendu.

«Au début, on cherche une explication.

Je me disais qu’il avait peut-être eu un geste malencontreux pendant le bain.

Ou qu’elle avait regardé un film avec des scènes sexuelles chez son père»,

Témoigne cette femme, également mère de trois enfants issus d’un autre mariage.

Mais elle se remémore rapidement le comportement de cet homme qu’elle a quitté depuis peu au moment des faits.

«Il est parti pendant ma grossesse.

Puis il est revenu à la naissance, et a voulu connaître son enfant.

Mais il avait changé.

Il était devenu violent et tenait des propos graveleux devant notre fille.

On s’est alors séparé, et il la voyait un week-end sur deux».

Carole emmène alors sa fille chez une psychothérapeute clinicienne réputée en région parisienne.

Lors des séances avec elle, la petite fille est filmée alors qu’elle joue avec une poupée.

Après un suivi de trois mois, les conclusions, ci-dessous, sont sans ambiguïté:

«Cette vidéo représente une petite fille d’environ deux ans présentant, via un jeu traumatique, des manifestations très spécifiques d’enfant agressé sexuellement».

Des dessins de la fillette montrent également l’emprise et la toute-puissance d’un père sur sa famille, selon la psychothérapeute.

Carole décide de dénoncer les faits «pour protéger» sa fille.

Seulement, le juge aux affaires familiales ne rend pas le verdict espéré.

Il confie la garde de l’enfant au père jugeant que Carole a «instrumentalisé» sa fille pour qu’elle ne voit plus son père.

Au pénal, le tribunal de grande instance classe la plainte sans suite, les faits «n’ayant pas pu être clairement établis».

«Rapidement, une omerta se met en place. J’ai cru devenir folle. C’est terrible! On écoute notre enfant, et la justice nous le reprend pour le placer chez son bourreau», explique Carole, bouleversée.

Depuis trois ans, elle ne voit sa fille en point rencontre que quatre heures par mois, soit 48 heures par an.

«La loi nous oblige à dénoncer, mais la justice nous le reproche par la suite. On a l’impression qu’aucune preuve ne suffit face à ces pères tout-puissants. Et le pire est qu’on n’écoute pas les enfants!».

Pourquoi une telle attitude de la justice?

«Dans ces affaires, la notion de Syndrome d’aliénation parentale (SAP) n’est jamais loin. Elle sous-tend toutes ces décisions, même si elle est rarement exprimée en tant que telle»,

Explique une avocate au barreau de Marseille, qui souhaite rester anonyme.

Or, cette pseudo-théorie développée par le psychiatre américain Richard Gardner au début des années 1980, a été largement critiquée par les experts.

Il invente alors une théorie, le SAP, qui va être utilisé par les auteurs de crimes pédophiles dans le cadre familial, et qui va faire florès dans certaines cours de justice occidentales, notamment aux Etats-Unis et, plus rarement, en France.

L’idée est simple: lorsqu’un homme est accusé d’inceste, il est très probablement innocent et les agressions imaginaires sont le résultat d’un endoctrinement de la mère pour s’attribuer la garde des enfants.

Face à tout signalement d’abus sexuel – ou psychologique – sur un enfant, il serait toujours plus probable que ce soit la mère la vraie coupable, manipulatrice et perverse.

La misogynie des masculinistes y trouve donc une justification théorique cohérente.

La pédopsychiatre toulousaine Eugénie Izard, présidente du Réseau de professionnels œuvrant pour la protection de l’enfance et l’adolescence (REPPEA), préfère au terme d’«aliénation» celui d’«emprise».

«Selon Richard Gardner, 90% des parents aliénants étaient des femmes. Ce qui est faux dans les faits. Son raisonnement n’est pas valable scientifiquement», poursuit-elle.

Si l’emprise de certains parents sur leurs enfant existe, ce n’est pas le résultat du SAP, qui a pour but de victimiser les pères violents.

«L’emprise est le fait de parents psychotiques, paranoïaques ou pervers. Or, statistiquement, beaucoup plus d’hommes ont ces comportements», poursuit la pédopsychiatre.

«Je ne comprends pas qu’on puisse prendre au sérieux une théorie sortie de l’esprit d’un illuminé», indique de son côté l’avocate marseillaise.

En France, les magistrats sont de plus en plus influencés par cette notion, alors même que le gouvernement a reconnu dans son 5e plan de lutte contre toutes les violences faites aux femmes que le SAP n’a aucun fondement scientifique et conduit à:

«décrédibiliser la parole de la mère, exceptionnellement celle du père ou de l’enfant, et par conséquent à en nier le statut de victime en inversant les responsabilités».

La ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, a quant à elle demandé au ministère de la Justice que les juges ne fassent plus référence à cette notion «scientifiquement invalidée aujourd’hui».

Pourtant, nous avons pu consulter la décision du juge aux affaires familiales de Perpignan qui cite le docteur en charge d’expertiser Carole.

Il est écrit:

«Ce fonctionnement (de la mère vis-à-vis de son enfant, NDLR) entre aussi dans le cadre des syndromes d’aliénation parentale».

Et le juge poursuit:

«L’enfant apparaît totalement instrumentalisé et il lui est imposé, malgré son jeune âge, des actes d’investigation particulièrement traumatisants»,

Le magistrat se référant ici aux jeux réalisés par la jeune fille sur sa poupée devant la psychiatre.

«Les tribunaux ont recours à cette théorie parce que les repères sont assez simples, voire simplistes, explique Eugénie Izard.

Cela peut expliquer le succès de cette thèse controversée».

Concrètement, la pédopsychiatre juge que le SAP est :

«une négation totale des faits et de la parole de la mère».

Pour l’avocate au barreau de Marseille, l’attitude des juges tient également à la personnalité des «papas SAP».

«Ce sont des personnes souvent très convaincantes. On leur donnerait le bon Dieu sans confession, et les juges oublient les coups, les sévices psychologiques. Au contraire, la mère perd en crédibilité au fur et à mesure de l’audience parce qu’elle ose dénoncer un homme en apparence respectable».

«Mais la justice ne peut pas nier, poursuit-elle. J’ai des dossiers dans lesquelles il est écrit noir sur blanc: “la mère est aliénante”. Le terme de SAP n’est pas utilisé, mais il est clairement identifiable».

 

Autre exemple tragique, celui de Keiko.

Fonctionnaire internationale à l’Unesco, de nationalité japonaise, cette mère de deux enfants de 10 et 14 ans vit à Paris depuis 2001 dans le cadre de sa mission professionnelle.

Ici, nulle trace de violences sexuelles, mais l’histoire se répète, ostensiblement: un couple qui se déchire, une séparation violente, et les enfants retirés à leur mère.

«Mon ex-mari m’a menacé de mort, témoigne la mère de famille.

Il est venu jusque chez moi.

Il était violent verbalement et physiquement devant les enfants.

J’ai demandé une protection et son éloignement».

Seulement, là encore, la justice prend position pour le père.

«Mes enfants fréquentaient les meilleurs lycées parisiens. Ils étaient heureux avec moi. Maintenant, ils vivent chez leur père, dans les Alpes-Maritimes, après avoir été placé dans un foyer», explique-t-elle encore.

Une lettre écrite le 18 juin 2015 par Néo, l’un des enfants de Keiko, prouve l’attachement de l’enfant à sa mère.

Dans cette missive, il appelle les magistrats à ne pas le laisser chez un père

«qui cherche à nous faire du mal».

Après une séance de 20 minutes, l’expertise psychologique a jugé que la mère de famille était «trop sévère», trop «fusionnelle» avec ses enfants, et qu’elle promouvait «une éducation bilingue» (français et japonais) à ses enfants qu’elle n’a pas vu depuis l’audience, qui a eu lieu en janvier 2016.

Ils étaient notamment inscrits dans une école bilingue à Paris.

«Mes enfants sont devenus victimes parce que je suis moi-même victime de la violence de leur père.

Il est toujours le gentil de l’histoire.

Les juges ont dit que s’il était violent, c’était à cause de moi parce que je l’empêchais de voir ses enfants, alors que c’est lui qui est parti dans le sud de la France après notre séparation, en 2015»,

Déplore-t-elle, avant de lâcher, dépitée:

«La justice française protège les pères violents. C’est incompréhensible!»

Après avoir déposé une question prioritaire de constitutionnalité rejetée par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Keiko a saisi les instances européennes sur son cas.

En attendant, elle ne peut plus exercer son métier de diplomate parce que la justice l’a interdit de sortir du territoire.

Au-delà de la parole de la mère, le problème réside dans la négation des propos de l’enfant.

«Depuis l’affaire Outreau, les mots de l’enfant ne sont plus considérés comme parole d’évangile.

Les juges s’en distancient de plus en plus car on considère que l’enfant peut avoir inventé tout ce qu’il raconte», explique l’avocate.

Richard Gardner se basait d’ailleurs sur le principe selon lequel l’enfant ne peut pas dénoncer des abus sans que sa mère l’y ait forcé.

En attendant, le principe suprême d’intérêt supérieur de l’enfant est bafoué.

Selon les chiffres officiels, 98% des signalements de viols sur mineurs sont classés sans suite en France.

En Grande-Bretagne, ce chiffre atteint 35%.

En pratique, les enfants pour lesquels la plainte est classée sans suite ne seront pas pris en charge par la protection de l’enfance.

Par ailleurs, les psychiatres et psychologues en charge d’un enfant ne signalent pas toujours les suspicions d’incestes ou de violences, car en cas d’absence de preuves matérielles ils savent que la plainte sera classée sans suite.

«Aujourd’hui, l’impunité d’un agresseur sexuel sur un mineur de 3 ou 4 ans est pratiquement garantie, d’autant plus si cela concerne son propre enfant»,

Constate, amère, l’avocate marseillaise.

«Ces enfants sont tous très intelligents et très matures pour leur âge, poursuit-elle.

Ils ne sont plus des enfants très tôt dans leur vie.

On leur a volé leur insouciance».

La pédopsychiatre Eugénie Izard va dans le même sens.

«Ces enfants qui continuent de subir des violences parentales sans être protégés développent tous les symptômes post-traumatiques connus, des conduites à risques dissociantes et des risques importants de troubles de la construction de la personnalité.

Les conséquences sur la santé sont énormes à court terme et à long terme.

Ceci alimente sans fin un cycle des violences et des pathologies mentales.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a d’ailleurs reconnu en 2010 que le facteur principal pour subir ou commettre des violences est d’en avoir déjà subi», indique-t-elle.

Le cercle vicieux est tracé.

D’autant qu’en France, on n’arrive plus à suivre les enfants maltraités du fait de l’autorité parentale conjointe qui permet à tous les parents maltraitants de s’opposer aux soins de leur enfant, déplore encore Eugénie Izard.

«Certains professionnels ne signalent pas des situations anormales de peur qu’il y ait un retournement pervers contre l’enfant victime et en faveur du parent maltraitant.

D’autres professionnels craignent encore les représailles de parents paranoïaques ou pervers dont ils ne se sentent pas suffisamment protégés par le système (représailles directes ou par plainte judiciaire ou ordinale).

De nombreux enfants maltraités sont donc livrés à eux-mêmes, sans soin et sans protection adéquate», poursuit-elle.

«Dans quelques années, la France se réveillera, et se rendra compte de l’ampleur de ce scandale qui touche des centaines de familles chaque année»,

Prédit pour sa part Caroline Guesnier, présidente du Collectif international pour vaincre les injustices faites aux femmes (CIVIFF).

Dansant sur les principes d’une justice aveuglée par une théorie largement remise en cause, les bourreaux s’en sortent indemnes, tandis que les victimes, enfants et mères isolées, se heurtent au silence et au déni.

Face à cette situation, certains préfèrent définitivement abandonner le combat, au prix de leur vie.

Mais, un jour ou l’autre, les responsables devront rendre des comptes pour ces vies brisées.

Celles des enfants en premier lieu.

(* Les prénoms ont été modifiés)

Par Yohan Blavignat

Source : Le Figaro

NDLR: Parfois un journaliste se lève et montre à tous les autres qu’on peut aussi faire son travail.
A quand un article sur les réseaux pédosatanistes !

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