Témoignage | Millet, 46 ans, victime d’amnésie traumatique : “A surgi comme une bombe le souvenir d’un viol que j’avais subi à cinq ans”

Millet, 46 ans, a oublié pendant 32 ans le viol dont elle a été victime lorsqu’elle avait cinq ans. Un jour, les souvenirs ont rejailli brusquement.

Europe1 illustration

Pendant 32 ans, Millet avait tout oublié du viol qu’elle a subi, l’été de ses cinq ans. Puis une rencontre anodine a été le déclencheur d’un torrent de souvenirs.

Celle qui se bat désormais pour la reconnaissance de l’amnésie traumatique en droit a raconté son histoire à Olivier Delacroix.

“Alors que j’avais 37 ans, j’ai vécu un choc émotionnel. Ça a commencé par une rencontre lambda dans un cadre professionnel, qui a provoqué des espèces de remontées de souvenirs hyper précis de ma petite enfance. Il s’agissait de souvenirs un peu anodins, dans la cour d’école, à la cantine… Je ne comprenais pas pourquoi tout ça remontait, comme les vieux jouets d’un grenier. C’était d’une précision incroyable, comme si j’avais une caméra à la main, avec les sensations.

J’avais besoin d’obtenir des réponses, donc je suis allée voir un hypnothérapeute. Dans les deux premières minutes de ma semi-conscience, a surgi comme une bombe le souvenir d’un viol que j’avais subi à cinq ans. J’ai vu la gourmette de mon agresseur, la couleur de ses sous-vêtements… J’ai hurlé son surnom.

Mon premier réflexe a été de me dire : ‘c’est une vieille histoire, c’est hallucinant, mais j’oublie’
Je ne connaissais absolument pas la notion d’amnésie traumatique, j’étais une bleue totale sur ces questions. J’ai vécu ça comme une explosion atomique, je ne comprenais pas du tout ce qui m’arrivait. Quand des souvenirs surgissent de 32 ans en arrière et qu’on n’a pas les clés, ça semble totalement irréel. Mon premier réflexe a été de me dire : ‘c’est une vieille histoire, c’est hallucinant, mais j’oublie.’ Mais en fait, non. Je réessayais d’oublier, mais quand la boîte de Pandore s’est ouverte avec son cortège d’émotions, de cauchemars, que l’on revit le viol même en pleine journée, on ne peut plus la refermer.

J’ai mis plusieurs mois à naviguer entre ‘c’est n’importe quoi’ et ‘si, c’est vrai, ça t’est arrivé’. J’ai vécu tout ce processus jusqu’à ce que j’aille porter plainte.

Ça a été hyper douloureux. Je me disais que je m’apprêtais à porter des accusations graves contre quelqu’un. J’ai été voir la psychologue du commissariat, j’avais des éléments concrets, précis sur le lieu où ça s’était passé, etc. On est à nouveau dans le corps d’une petite fille de cinq ans, et on est à nouveau devant un agresseur de 40 ans. Ce qui est très pénible et difficile, c’est que l’on se croit folle. Il y a un sentiment de déréalisation totale.

C’est fou car après, on refait le puzzle petit à petit. Plein de choses n’allaient pas dans mon adolescence par exemple.

Le regard des autres pèse beaucoup. J’ai eu de la chance car 99% de ma famille m’a crue. Mais énormément de victimes supportent le déni, des phrases du style : ‘mais oublie !’, ‘tu es sûre que ça t’est vraiment arrivé ?’, ‘tu as des preuves ?’

Mon agresseur a été auditionné et a reconnu tous les détails de mes souvenirs, mais il n’a pas reconnu les faits
Mon agresseur n’était plus dans mon entourage proche, mais il est encore vivant. Il a été auditionné et a reconnu tous les détails de mes souvenirs. Oui, il était avec moi cet été-là. Oui, il m’a appris à faire du vélo. Oui, il portait bien une gourmette. Oui, il avait la barbe en collier.
Mais évidemment, il n’a pas reconnu les faits. Il m’a menacée de déposer plainte, ce qu’il n’a jamais fait. Puis il a été auditionné une deuxième fois, car je voulais une confrontation. Mais il n’était auditionné qu’en tant que témoin et a pu refuser la confrontation. L’enquête a été classée sans suite du fait de la prescription.

Etre violé enfant ou adolescent laisse des traces.

On a créé une association qui s’appelle Moi aussi amnésie, pour que l’impact psycho-traumatique de ces viols et l’amnésie psycho-traumatique soient reconnus dans la loi. De telle sorte que quand les victimes retrouvent leurs souvenirs, elles puissent porter plainte si elles le souhaitent. Que la prescription soit donc suspendue. Evidemment, on lutte aussi pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs. Ce serait dire aux pédocriminels que l’impunité n’est plus garantie.”

L’avis du Professeur Francis Eustache

Spécialiste des maladies de la mémoire

“Il faut bien comprendre que lors d’un traumatisme, qu’il soit unique ou répété, il y a une atteinte, une distorsion de la mémoire, qui peut prendre des formes extrêmement variées.

Dans le cas de Millet, c’est une amnésie traumatique qui va durer des années, des décennies. Et puis à un moment donné, parce qu’il y a un déclic, le souvenir traumatique va se dérouler dans la conscience de la personne. Ce n’est pas toujours le cas.

Dans le syndrome de stress post-traumatique, il n’y a pas d’amnésie complète. Dans certains cas, la personne va oublier le contexte de ce qui s’est passé. Il peut y avoir au contraire des phénomènes d’hypermnésie.

Les éléments qui composent la scène traumatique vont s’imposer à la personne de façon récurrente. C’est ce qu’on appelle les intrusions traumatiques. La personne a l’impression de revivre la scène au présent, ce qui va être terrible.”

Source : europe1.fr

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