Tahiti | Entre l’ile “paradisiaque” et le quotidien sordide, raconté par Titanua Peu,

Un livre assurément à lire

Tahiti : Titaua Peu décrit l’envers du décor

Titaua Peu, qui a publié l’automne dernier Pina, révèle la face cachée de Tahiti.

Un roman qui marque une révolution dans la littérature du Pacifique.

Une femme en colère. Très en colère. Titaua Peu ne s’en cache pas.

Mieux, elle le revendique.

Oui, et comment, dit-elle, en s’agitant avec une moue  presque boudeuse.

Contre notre propre système, notre façon de voir les choses. Je suis indignée par notre mollesse.

On a une autonomie politique et chez nous, c’est Fillon puissance 10 !

Ne comptez pas sur l’auteure tahitienne pour pratiquer la langue de bois.

La langue, justement, celle des mots, qu’elle pratique oralement avec parcimonie.

Quatre phrases, lâchées, d’un coup d’un seul, un exploit pour la romancière.

Elle préfère ceux qu’elle couche sur le papier. Ceux-là, ils restent.

Une famille qui a existé

Pina, ou l’histoire d’une famille peu sympathique.

Un père, un mari, Auguste, un soiffard de première, un mec qui tape sur ses enfants et  sa femme.

Sa femme justement, Ma, qui pousse autant de cris qu’elle a eu d’enfants, neuf au total.

Catherine est vite expédiée, elle a été adoptée par des Français de métropole, exit donc de la carte postale familiale générale.

Restent Auguste Junior, pas très bien parti dans la vie,

Rosa, la jolie, la préférée de Ma, celle qui ramène par miracle des liasses de billets,

Moïra le bébé,

les jumeaux Xavier et Gilles,

Pauro l’ado homo qui défend bec et ongle sa petite sœur Pina, l’avant-dernière de la fratrie.

Celle qui agace le plus Ma.

Il y a enfin Hannah qui a foutu le camp en France et qu’on n’a plus revue depuis longtemps.

Ma s’imagine qu’elle dirige une entreprise, qu’elle est le symbole d’une réussite qui a échappé à ceux restés au pays.

Une famille dysfonctionnelle où la violence règne en pièce maîtresse, où les hurlements remplacent les mots, les coups s’apparentent aux caresses.

“On peut dire que c’est une famille que j’ai connue quand j’avais 10 ans.

Elle habitait  en face de chez nous et je les plaignais.

Surtout la petite qui pourrait ressembler à Pina.

Même si ma maman n’était que femme de ménage, je n’ai manqué de rien et surtout j’avais des livres.”

L’enfant rejeté

L’enfance, les souvenirs de l’auteur, 41 ans, sont à l’origine de ce violent et beau roman.

Mais pas seulement. Un fait-divers sordide dans les années 90.

Un garçon de deux ans meurt sous les coups de sa génitrice.

“C’est une affaire qui  avait bouleversé le pays.

On découvrait un monstre, on ne croyait pas cela possible sous ce soleil paradisiaque.

J’ai voulu en quelque sorte décrire ce processus, ce délabrement social qui conduit à des actes aussi  terribles.

Pina est née ainsi.” Mal née, pourrait-on dire, ou plutôt d’emblée désirée sous les traits d’un garçon.

C’est la guérisseuse qui l’avait affirmé. “Les garçons elle aimait beaucoup ça Ma.

Aussi, quand quelque temps plus tard, Pina vint au monde, elle l’a tout de suite détestée.

Le pire, le rejet de la mère pour son enfant.

Pina aussi noire que Rosa est claire, aussi ingrate que l’autre est dorée, Pina un immonde  bébé aux cheveux déjà très bouclés et qui pleurait sans arrêt.

Ma le laissait dans des langes crasseux et carrément humides”.

Pina qui grandit, voit tout, subit tout, encaisse tout.

Même le viol de son géniteur, ce salopard qui échappe à l’accident et la mort et revient parmi les vivants avec Dieu en porte-drapeau.

A vomir. “La société tahitienne est à la dérive, on avait la réputation d’être une société solidaire mais aujourd’hui, c’est une coquille vide.

La perte des valeurs existe dans tout le monde mais chez nous c’est puissance mille.

La violence gangrène les rapports, y compris au cœur de la famille.

Je dirai même que la violence se tourne d’abord vers les siens. On n’extériorise pas le combat social, il reste confiné à la cellule familiale qui l’étouffe, le noie dans une sorte de ouate de perversion.

Avec Pina, on cesse d’être dans l’exotisme, la fillette a libéré la parole des femmes sur l’inceste.

Un certain nombre est venu me voir après la parution de l’ouvrage. Pour se libérer.”

La politique en toile de fond

La famille métaphore du combat social sans nul doute.

D’ailleurs, l’auteur toute en prudente retenue s’anime dès qu’elle aborde la politique de ce paradis perdu (qui n’a jamais existé selon elle), et ne cache pas qu’elle occupe le camp des Indépendantistes.

Bien qu’elle ne soit plus encartée. trop mou, selon elle. “On n’est pas fichu de faire comme en Guyane!

On est comme anesthésié.” Dure avec les siens, impitoyable avec les Blancs, les Popa’a, les envahisseurs.

“Au début du 19e siècle on avait interdiction de parler notre langue.

Puis les Tahitiens ont commencé à déserter à cause des essais nucléaires.

C’étaient des exodes forcés. On était dans la domination totale du blanc sur le noir.

Aujourd’hui, on est dans une situation peut-être encore plus tragique parce que la réalité que connaissent les jeunes qui naissent sur le sol tahitien, c’est celle du déracinement, d’un entre-deux culturel, d’une forme de déracinement sur leur propre terre.

Ils n’ont plus la connaissance de l’histoire de leurs anciens et des codes nouveaux qui leurs échappent.”

couv-Pinaweb

La littérature n’échappe pas davantage à son courroux.

“Pierre Loti nous a fait beaucoup de mal avec sa vision d’un Eden qui n’existe pas, Gauguin n’en parlons pas.

Je voulais offrir un autre visage, une vérité complète de notre pays.”

Pina est l’enfant universel, il pourrait exister au Liban ou ailleurs, il est celui qui voit ce qu’il ne devrait pas.

La plume de Titaua Peu suinte la violence, le sang et le sexe.

La plume de Titaua Peu résonne dans un silence qu’elle tente de briser avec une prose d’une poésie noire et tourmentée.

Pina par Titaua Peu, Editions Au vent Des Iles, Collection Littératures du pacifique, 372 pages, 21 Euros. 

 

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