Suisse | Un procureur très « protecteur »

YEUX FERMES  Au nom de «l’amitié», un magistrat du Ministère public peut-il protéger un père et son fils, convaincus de pédophilie?

Ce jeudi 18 août 2016, le père pédophile sera entendu comme prévenu dans une affaire de contraintes et de menaces à l’encontre de son fils, victime d’attouchements.

PJ Investigations, voici plus de deux ans, a longuement traité de cette affaire. A la suite de nos articles, le procureur concerné a quitté ses fonctions.

Pour mémoire, nous publions à nouveau notre premier papier, sorti le 27 février 2014. Avant que d’autres médias ne s’y intéressent. Ce qui semblerait être cette fois le cas…

marteau

Par prudence, nous l’appellerons «Procureur X*». Car c’est au sommet de la hiérarchie judiciaire que nous nous attaquons là. Depuis des décennies, le procureur X est proche d’une famille de notables de la Riviera vaudoise et surtout de Johann*, le «pater familias», un célèbre musicien connu sur le plan international.

En 2006, le fils de Johann, Robert*, né en 1972, est jugé pour «actes d’ordre sexuel avec des enfants et de contrainte sexuelles sur une personne incapable de discernement et de résistance» (art. 187 et suivants du Code pénal suisse). Délits qui peuvent être punis de dix ans de réclusion.

Malgré les évidences, Johann affirme publiquement que son fils est innocent et s’affiche très souvent avec le procureur X.  qui ne sait pas encore que son ami le vertueux musicien n’est pas pour rien dans les penchants déviants de son rejeton.

Robert est condamné à une peine de 18 mois de prison avec sursis, verdict plus que clément quand on sait qu’il a été convaincu «d’actes de violence envers son fils Gary* et surtout de s’être douché de multiples fois avec lui  en lui touchant le sexe d’un mouvement rapide et répété, tout en se masturbant lui-même jusqu’à éjaculation».

Il est même établi que «du liquide blanc, gluant en est sorti. Que Gary en a reçu sur lui et que son papa lui a dit de n’en parler à personne».

Les liens entre le musicien Johann et le procureur X étaient si étroits qu’ils peuvent être considérés comme suspects.

Le jeune Gary, né en 1995, avait quatre ans au début des faits et sa mère, divorcée, les a appris qu’en 2002, date à laquelle elle a déposé plainte pénale contre son ex-mari. A cette époque déjà, le procureur X a son importance dans les procédures.

Non pas que l’on puisse l’accuser d’avoir poussé les juges à la clémence, mais tout de même. Les liens entre le musicien Johann et le procureur X étaient si étroits qu’ils peuvent être considérés comme suspects.

Ainsi, outre les rapports avérés d’amitié, il apparaît que la femme du procureur X était la présidente d’une fondation qui soutenait activement le pianiste Johann. Et cette promiscuité ne cessera d’être troublante.

Un enfer enfantin

Gary a 7ans lors du procès. Il est évidemment dans un état psychique épouvantable et sa condition mentale demeure, aujourd’hui encore, très perturbée.

Bien avant sa condamnation en 2006, Robert, malgré les faits accablants, s’est muré dans un déni total. En véritable manipulateur pervers narcissique, il n’arrive pas intégrer dans sa tête qu’il a pu commettre ce genre d’actes sur son fils.

Et il va tout faire pour que Gary revienne sur ses déclarations.

Bien qu’il lui soit interdit par la Justice de Paix de revoir son fils, Robert va durant des années le harceler, le menacer et tenter de le convaincre qu’il a été «hypnotisé» par des personnes, dont sa mère, qui lui ont «mis ça dans la tête».

Il faudra que Gary revoie les dessins qu’il a fait à l’époque, (et notamment un croquis où il est sous la douche avec son père, avec les sexes reliés) pour que le jeune homme comprenne qu’il n’est pas  «fou» et qu’il n’a rien inventé. Ce harcèlement moral va durer jusqu’à fin 2012.

A cause de toi, j’ai une étiquette de pédophile sur la tête! 

Le 9 novembre 2012, Gary a 17 ans. Il sort de son gymnase vers 16h et se rend à la gare. Il voit son père qui a l’air très «déstabilisé» venir à sa rencontre.

Robert l’entraîne dans sa voiture et démarre. :

«Je me suis fait licencier de mon travail. A cause de toi, j’ai une étiquette de pédophile sur la tête! Je vais me suicider si tu ne retires pas tes déclarations !» Le jeune homme a très peur que son père mette ses menaces à exécution et provoque un accident fatal pour tous les deux.

Plainte pas transmise

Suite a cela –  et pour ne plus avoir à subir les pressions et les menaces de son père – Gary, très ébranlé, va déposer plainte à la gendarmerie. L’officier de police qui l’entend prend note de toute l’histoire et estime qu’il y a là matière à inculpation pour menaces et contrainte.

Mais nouvelle surprise. Le lendemain, le gendarme informe Gary par téléphone que sa plainte ne serapas transmise :

«J’ai présenté le cas à la brigade des mœurs qui connaît déjà cette affaire et ensuite le procureur X m’a demandé de lui faire une note interne !»

Je ne souhaite pas m’impliquer plus dans cette sordide affaire de famille

Tiens, tiens ! Que revient faire le procureur X dans cette affaire ? D’autant qu’en 2008, il avait eu un échange de mail plus qu’ambigu avec Robert qui venait d’apprendre que sa propre sœur, Léa* avait été,  dans son enfance de 7 à 14 ans, victime des agissements incestueux de leur père, le patriarche musicien Johann ! «Je ne souhaite pas m’impliquer plus dans cette sordide affaire de famille», écrit le procureur X.

Il donne pourtant quelques conseils à Robert pour faire établir que si ce n’est pas lui qui a abusé de Gary, cela pourrait bien être son père, Johann. Ambiance !

Et le procureur X conclut : «

Merci de ne plus m’impliquer dorénavant. Je suis dégoûté par autant de bassesse et de trahison de la part de quelqu’un (le patriarche Johann) que j’ai pris pour un homme droit». 

Cette noble intention de magistrat «indépendant» semble toutefois ne pas être aussi absolue que cela : en effet, c’est à titre «privé» qu’il a demandé au gendarme de lui fournir ses notes sur la dénonciation de Gary.

En tous cas, menace, il y a !

Et pour ne pas apparaître en première ligne, il confie l’affaire à un de ses subordonnés : le procureur Buffat. Lequel pendant les interrogatoires de Gary, compatit avec les malheurs du jeune homme et s’exclame :

«En tous cas, menace, il y a !»

Et le procureur accuse le gendarme d’avoir mal fait son travail en ne transmettant pas au ministère public la plainte de Gary. Mais le procureur Buffat se garde bien de mentionner que c’est en fait le procureur X qui a stoppé la procédure en réclamant au policier «une note interne» !

«Avis de prochaine clôture»

Gary s’attend donc enfin à voir sa plainte traitée par la Justice vaudoise. Et bien non ! Car en date du 8 octobre 2013, le procureur Buffat prononce un «Avis de prochaine clôture».

Ce qui signifie que le père de Gary ne sera pas poursuivi pour ses menaces et ses contraintes. Le jeune homme et son avocat, scandalisés par ce déni de justice, font évidemment recours. Mais si on laisse faire la Justice vaudoise, il faudra attendre encore longtemps avant qu’un garçon abusé par son père puisse être entendu.

Et pour que des magistrats, comme le procureur X, admettent que la Justice doit être égale pour tous. Amis ou pas amis!

*Noms connus de PJI

Source : http://www.pjinvestigation.ch

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