Seine Maritime | Melissa 14 ans placée par l’ASE, prostituée de force, se confie

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“J’avais un pyjama d’enfant, avec des petits nuages et des lapins, ça ne les dérangeait pas.”
ICI Normandie a recueilli le témoignage de cette jeune fille qui avait avait 14 ans quand elle a été enlevée et prostituée en Seine-Maritime.

“J’avais le sentiment que j’allais mourir”, confie Mélissa*, victime d’enlèvement, de séquestration et de prostitution forcée en Seine-Maritime, dans un témoignage exclusif publié jeudi 16 octobre par ICI Normandie.

Dans son rapport annuel, révélé par France Inter, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) a décompté en 2024 plus de 7 200 victimes de traite d’êtres humains notamment à des fins d’exploitation sexuelle.

Il a fallu plusieurs rencontres pour que Mélissa accepte de livrer son témoignage à ICI.

À l’âge de 14 ans, en rupture familiale, elle a été placée dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) du département de Seine-Maritime.

Elle ne parvient pas à se faire des amis, jusqu’à ce qu’elle rencontre une jeune fille un peu plus âgée qu’elle.

“C’était vraiment ma meilleure amie, ma confidente. Elle était comme ma sœur”, confie la jeune fille qui a aujourd’hui 16 ans.

“On me frappe pour que j’obéisse”

Un jour, cette amie lui propose de se retrouver pour sortir, mais au rendez-vous, ce sont deux hommes cagoulés qui l’attendent.

“Je demande quand je vais retrouver ma copine, et un des hommes m’explique qu’elle n’est pas là, qu’elle leur doit des sous et que c’est moi qui vais payer pour elle. Je ne comprends pas trop. On me frappe pour que j’obéisse, tout simplement.”

Mélissa est prise au piège.

Pendant près de trois semaines, elle est déplacée de logements en Airbnb dans le coffre d’une voiture pour être prostituée, via un site internet.

Mélissa raconte à ICI Normandie qu’elle est affamée, droguée, attachée à un lit et que des clients défilent toute la journée, une quinzaine par jour.

“Je ne me rappelle plus de tout, j’ai plus des petits flash-back”, raconte Mélissa. “Je suis attachée, pas dans mon état normal, et des gens que je ne connais pas viennent. Je ne me rappelle pas combien de personnes il y a eu durant ce temps-là. Mais beaucoup, beaucoup d’hommes.”

La jeune fille tente d’abord de se débattre, mais elle abdique sous la violence des coups.

“J’ai pensé à ma survie, confie-t-elle à ICI Normandie. C’est comme si mon cerveau était là, mais sans être là, que je me voyais d’un œil extérieur, de haut. J’avais le sentiment que j’allais mourir.”

Les images et les souvenirs sont très flous, mais Mélissa se souvient des alliances au doigt de certains clients.

Certains sont âgés, des hommes qui ne pouvaient pas ignorer son âge, selon elle.

“J’avais un pyjama d’enfant de 14 ans, avec des petits nuages et des lapins. Ça ne les dérangeait pas plus que ça. Je pense que comme c’était tarifé, ils ont fait abstraction de ça.”

Finalement, c’est Mélissa qui met un terme à son propre calvaire.

Un jour, ses ravisseurs parlent d’un départ dans le sud de la France.

“On ne m’aurait jamais retrouvée”, raconte la jeune fille, encore effrayée.

Elle profite alors d’un moment d’inattention de ses ravisseurs pour s’enfuir et parvient à donner l’alerte.

Aujourd’hui, la jeune fille reprend doucement une vie normale, avec sa famille, loin des foyers de l’ASE.

Le proxénète qui a orchestré l’enlèvement et la séquestration de Mélissa et l’a prostituée de force a été jugé, condamné et incarcéré.

“L’histoire de Mélissa est emblématique à plus d’un titre”,

Fait remarquer le procureur de la République de Rouen, invité dans l’émission Ma France sur ICI pour parler de la prostitution des mineures.

“C’est une victime de 14 ans, c’est un âge très fréquent, et le milieu dans lequel on est venu la chercher, à savoir un foyer, l’est aussi. Une mineure en danger, car en conflit [… ] sans doute en proie à des problèmes de consommation de drogue ou d’alcool, mais aussi en lien avec une autre mineure placée, qui l’a aiguillée vers ces proxénètes”,

Décrit le magistrat, insistant sur le courage de Mélissa et de sa mère pour se dégager des griffes du réseau et se sauver.

Plusieurs associations de protection des mineurs victimes de prostitution, notamment Nos Ados Oubliés, estiment que “plus de 18 000 mineurs sont exploités sexuellement en France”.

*Le prénom a été changé

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